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Fred Stein, la philantropie élégante

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Fred Stein, naît le 3 juillet 1909 à Dresde, en Allemagne. Brillant élève en droit, il se voit refuser l’accession au barreau par le régime en raison de ses origines juives et de son engagement politique. La rencontre avec Liselotte Salzburg, “Lilo”, en 1933, est scellée par un cadeau de mariage annonciateur, un appareil photographique aisément transportable, le Leica.

L’histoire des Stein croise sans cesse la grande Histoire. La menace du régime allemand se faisant plus pressante, ils prennent prétexte de leur voyage de noces pour fuir et s’installer à Paris. Le Paris d’alors est l’épicentre où convergent intellectuels et artistes du monde entier et c’est naturellement que le couple se lie avec Robert Capa, Gerda Taro, Philippe Halsman et les groupes intellectuels socialistes militants. Ils installent un studio photographique, le Studio Stein, dans un petit appartement parisien avec le laboratoire attenant dans la salle de bain.
Cependant, l’Histoire les rattrape une fois encore et ils s’échappent de justesse en 1941 pour les Etats-Unis où ils resteront jusqu’à la fin de leur vie. Dans leur fuite, ils sont contraints de laisser la majeure partie de leurs archives aux Pays-Bas qui seront détruites lors d’un bombardement.
New-York est alors le foyer de l’art, grâce à l’arrivée massive de nombreux artistes européens menaçés par la guerre. Quitter le Vieux Continent pour un nouveau monde qui défie les lois du ciel offre un terrain de jeu excitant pour qui ose s’y frotter. Et Fred Stein affûte sa vision humaniste aux perspectives architecturales contrastées. A partir des années 50, un souci de santé le limite dans ses déplacements et sur les conseils de Philippe Halsman, il ouvre un studio dédié au portrait. Un millier de personnalités politiques, artistiques, scientifiques défilent devant ses yeux. Stein vend les portraits à la presse mais refuse de s’affilier régulièrement à un commanditaire. Tout au long de sa vie, il gardera farouchement son indépendance et sa liberté de photographier.

La photographie de Fred Stein s’inscrit dans la droite lignée de la photographie humaniste. Née dans les années trente à Paris, portée par Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Edouard Boubat, Willy Ronis…, ce courant se veut tourné vers et pour l’être humain. Attentif à l’homme dans ses accomplissements quotidiens : dans la rue, au labeur, durant ses loisirs (naissants), les photographes le laissent se raconter par lui-même. En ces temps bientôt troublés et dévastateurs pour la foi en l’humanité, la photographie, largement relayée par la presse illustrée grandissante, opère comme une réconciliation et un espoir. Sans jugement, sans esthétisation excessive, sans afféterie, l’artiste est complice ou témoin du sujet et s’attache à rendre compte de son intrinsèque humanité.

Fred Stein occupe une place particulière car il excelle véritablement à l’exercice, et pose élégamment son oeuvre en un classique, tel que définit par Eugène Delacroix : “J’appellerais volontiers classiques tous les ouvrages réguliers, ceux qui satisfont l’esprit non seulement par une peinture exacte ou grandiose, ou piquante des sentiments et des choses, mais encore par l’unité…” Simplicité, épure de la composition, qui suppose une grande maîtrise technique, disponibilité et liberté du regard apte à capter l’exact moment, rarement on a un accès si direct, si fluide aux personnages d’une composition. On attribue généralement ces qualités à la capacité de l’auteur de faire oublier son existence au sujet. Or, il me semble que cela suppose non pas une abnégation de l’auteur mais tout au contraire sa participation active. L’artiste se met en jeu avec les personnages comme un metteur en scène-acteur, il est avec eux puisque la meilleure façon de se fondre et d’atteindre à la vérité est d’occuper la même position, de traiter l’autre d’égal à égal.
Stein croit fermement que la photographie est un langage et comme Werner Bischoff qu’elle est “un message philantropique dont les signes doivent émouvoir avec tempérance, évoquer avec discrétion, exprimer sans insistance.”

L’histoire de la photographie s’écrit chaque jour, gageons que Fred Stein sera inscrit au panthéon
parmi les plus grands.

INFORMATIONS PRATIQUES
Fred Stein Paris, New York
Jusqu’au 24 septembre 2017
Maison de la Photographie Robert Doisneau
1, rue de la Division du Général Leclerc
94250 Gentilly
http://www.maisondoisneau.agglo-valdebievre.fr

Selma Bella Zarhloul
Après une double formation en Information et Communication à la Sorbonne et histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, elle choisit de se consacrer à la photographie. D’abord, en tant que praticienne afin de bien comprendre et maîtriser les spécificités du médium pour pouvoir s’exprimer avec. Parallèlement, en 2001, elle rejoint la Donation Henri Lartigue, sous tutelle du Ministère français de la Culture. Pendant plus de 10 ans, elle contribue au développement, assurant la production et la distribution de la collection à travers le monde. En 2017, elle commence à travailler en tant qu’ indépendante endossant plusieurs casquettes : commissaire d’exposition, critique d’art et cheffe de projet spécialisée dans la photographie contemporaine. Entre autres, elle assure le rôle d’administratrice générale du Festival Voies Off à Arles en 2018-2019. En 2021, sa passion pour la photographie contemporaine la pousse à ouvrir La Volante à Arles, une galerie d’art dédiée à la photographie et autres arts.

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