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Visa pour l’image, un festival sexiste ?
Le Coup de gueule de Jean-François Leroy

Temps de lecture estimé : 6mins

Aujourd’hui, Jean-François Leroy, le Directeur de Visa pour l’image – Perpignan, a un coup de gueule. Il souhaite réagir et défendre le festival, que certains qualifient de « machiste ». Et cela concerne deux aspects : la présence des femmes photographes au sein de la programmation de Visa et le fait qu’il n’a pas attendu le mouvement #metoo pour condamner les agissements de certains photographes…

Depuis plus de vingt ans à Visa pour l’image, lorsque Sylvie Grumbach du 2ème Bureau reçoit ses jeunes stagiaires qui sont à l’accueil du festival, nous leur communiquons une liste de photographes qui sont un peu « lourdingues« . Nous n’avons pas attendu #metoo pour signaler et condamner les comportements déplacés de certains. Aujourd’hui que la parole se libère, je lis des témoignages sur les réseaux sociaux « à Visa pour l’image, j’ai reçu des mains aux fesses, personne n’a rien dit« … Personnellement, je n’ai jamais été témoin de cela, mais c’est une attitude que je ne supporte pas, je la condamne et bien évidement si j’étais informé de ce genre de comportements, je m’en mêlerais… C’est la première chose que je tenais à dire.

« Tant que je serais à la tête de ce festival, la parité n’existera pas, moi c’est la photo et le sujet qui m’intéressent ».

La seconde, c’est que du coup, on a dévié depuis plus d’un an, sur le fait que les femmes photographes seraient « mal traitées » par rapport à leurs homologues masculins. Lorsqu’un magazine – dont je tairai le nom – dit que Visa ne consacre que 25% de ses dernières expos aux femmes photographes, je trouve cela d’une muflerie et d’une grossièreté insoutenable. Delphine Lelu, mon associée, avait fait les comptes, sur les 3 dernières années, nous avions reçu 22% de dossiers de femmes photographes, et nous en avons exposé une vingtaine. Si elles sont sous représentées à Visa pour l’image, c’est aussi parce qu’elles sont peu à présenter leurs sujets. Si elles représentent un petit quart des dossiers soumis, il est difficile d’assurer la moitié de la programmation !
Je voudrais rappeler que lorsqu’on reçoit des dossiers sur le FTP, on les regarde tous, un par un, et c’est la qualité des photos et la pertinence du sujet qui fait qu’on le sélectionne, et pas le genre qui est derrière.

Quand on nous accuse d’être machistes ça m’emmerde un peu, parce que je trouve que c’est dénier la réalité. J’ai une équipe qui n’est pas uniquement composée d’hommes, mon associée est une femme (ndlr : Delphine Lelu) et la première exposition qui a inauguré l’espace de la Grande Arche du photojournalisme, c’était Stéphanie Sinclair. On a exposé à Visa de nombreuses femmes, il n’y a pas eu une année sans que nous n’en n’ayons pas présentées. L’an passé, elles représentaient 8 expositions sur les 24, ce n’était pas fait exprès c’est juste que les boulots étaient très bons. Et d’ailleurs, l’une de mes expositions préférées était celle de Meridith Kohut, sur le Vénézuéla. On ne se sent concernés, alors quand je vois passer sur les réseaux sociaux que Visa est un festival sexiste, ça me fait du mal, parce que je considère que c’est de la malhonnêteté intellectuelle.
Ce qui est étonnant c’est qu’en 2001, lorsque nous avons créé le Prix Canon de la Femme photojournaliste, on nous a accusé de ségrégation entre les hommes et les femmes. Alors comment agir pour être bien vu de tout le monde ?

« De tous temps, nous avons eu des femmes photographes géniales, mais je me refuserai toujours à faire des quotas ! »

Les camps de la mort ont été photographiés par deux femmes : Lee Miller et Margaret Bourke-White, la guerre du Vietnam a été couvert par Catherine Leroy, le Cambodge par Christine Spengler, le Liban, par Françoise Demulder, la Yougoslavie par Alexandra Boulat… De tous temps, nous avons eu des femmes photographes géniales, des femmes photojournalistes – encore plus – géniales. Alors c’est un fait, les femmes photographes peuvent accéder à des sujets auxquels les hommes n’ont pas accès, je pense à Alexandra Boulat sur les femmes de l’Axe du mal, à Mary Ellen Mark sur les prostituées de Bombay, à Stéphanie Sinclair sur les mariages de petites filles ou encore à Brenda Ann Kenneally avec Upstate Girls. Mais nous, nous voyons les photos en fonction de la qualité et de l’intérêt du sujet, et je me refuserai toujours à faire des quotas, je ne choisirai jamais un sujet parce que c’est celui d’une femme au détriment d’un meilleur sujet réalisé par un homme. C’est impossible et surtout injuste.
Je me réjouis que le festival d’Houlgate « Les Femmes s’exposent » existe, surtout quand on voit la qualité du plateau réunit cette année, mais je dirais humblement que je ne sais pas si on peut remplir un festival qu’avec des femmes photographes pendant dix ans. Une femme comme Alexandra Boulat par exemple, a toujours refusé de participer au Prix Canon de la Femme Photojournaliste, parce qu’elle disait qu’elle souhaitait être reconnue comme une photographe et non comme une femme.

On est bien évidemment sensibles à tout ce qu’il se passe et au mouvement #Metoo, dire qu’il n’y a pas de machisme chez les photographes, ce serait une contrevérité terrible. C’est en effet un métier de machos, et il y a des histoires qui sortent en ce moment que je trouve absolument épouvantables. Maintenant est-ce que ça nous condamne tous ? C’est arrivé une fois à Visa au sein dans mon équipe j’ai réglé ça très vite et très sévèrement. Il y a peu, une photographe s’est plaint d’avoir eu une main aux fesses par un autre photographe lors de Visa. Je lui ai demandé de me donner le nom de l’auteur de cet acte mais elle a refusé. Alors que puis-je faire ? Si j’avais vu cela, j’aurai réagit, mais en même temps, est-ce que je dois le virer du festival ? Que dois-je faire ?

INFORMATIONS PRATIQUES

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Pour ceux qui ne peuvent se rendre à Perpignan, pour cette édition anniversaire, Visa pour l’image s’expose à La Villette lors du week-end du 15 et 16 septembre !

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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