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Rencontre avec Valérie Knochel Abecassis à la Maréchalerie : « Il est fondamental pour nous, quelle que soit notre échelle, de faire émerger les acteurs du Grand Paris en matière d’art et de culture »

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Valérie Knochel Abecassis à l’occasion du finissage de la fascinante exposition de Stéphane Thidet, est revenue à la veille des 15 ans de la Maréchalerie, sur ce projet artistique inédit d’un centre d’art rattaché à une école d’architecture et l’image souvent figée de la ville de Versailles alors que la création contemporaine y est bien présente à travers notamment l’ambitieux projet d’une Biennale d’architecture et de paysage à partir de mai 2019, rassemblant plusieurs pôles (Château de Versailles, musée du Louvre, ENSA V, la Maréchalerie, Ecole Supérieure de Paysage) et commissaires dont Djamel Klouche, architecte emblématique du Grand Paris.

Elle s’est penchée sur plusieurs temps forts comme « Taches aveugles- Paris, Beyrouth et retour » proposition interdiciplinaire portée par l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Paris et la Maréchalerie dès 2016, qui va donner lieu en 2019 à un objet éditorial à part entière, rassemblant les voix d’architectes, anthropologues, artistes, chercheurs, poètes liés au Liban, selon l’axe transversal défendu par La Maréchalerie autour de chacune de ses expositions.

Et l’invitation faite dans le cadre de « Cycles de débats Manèges » 2018 aux collectifs « Suspended Spaces » (Paris) et « Dans le Sens de Barge » (Ile de France)autour de projets création et mobilité à partir de plusieurs exemples dont la navigation fluviale.

1. L’ADN et la vocation de la Maréchalerie :

-Offrir un centre d’art contemporain au coeur d’une école d’architecture

La Maréchalerie est le centre d’art contemporain de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles, projet initié au début des années 2000 par la direction et le conseil d’administration, lors de la mise en place d’un nouveau projet d’établissement et de travaux de réaménagement, en concertation avec le Ministère de la culture. Les bâtiments de La Maréchalerie et la Forge étaient désaffectés depuis plusieurs années sur ce site de la Petite Écurie. Appelée à la préfiguration du projet auprès de Nicolas Michelin, architecte-urbaniste, directeur de l’école à l’époque, nous avons proposé un lieu qui inviterait des artistes à travailler aux coté des architectes. Le souhait était d’ouvrir l’école vers l’extérieur et de participer à travers la production d’œuvres, à la transversalité des pratiques artistiques et architecturales.

-Participer et générer des échanges de points de vue entre artistes et architectes et favoriser des passerelles pédagogiques

L’ambition est d’ouvrir l’architecture à d’autres pratiques contemporaines, ce qui explique que nous ayons axé le projet artistique de La Maréchalerie sur des invitations à productions d’œuvres in situ, contextuelles, de comme réponse au lieu qui est atypique, loin du white cube. Des caractéristiques architecturales et spatiales inédites, hybrides, et dans un contexte plus large : une école d’architecture, à Versailles, sur un site patrimonial, à la frontière de l’espace urbain et du site du domaine national de Versailles.

Concrètement, l’artiste est invité à produire une œuvre qui donne lieu à un temps d’exposition de 2 ou 3 mois et au delà à tenter des expériences pédagogiques inédites sous différentes formats : de visites d’expositions en sa présence jusqu’à des workshops courts et intensifs de plusieurs semaines voir des groupes de projets sur plusieurs mois comme par exemple l’année dernière autour de Beyrouth et du Liban, une expérience emblématique de La Maréchalerie.

-Concevoir des projets éditoriaux, pour chaque projet, sous la forme d’un outil inédit autre que le catalogue. Libre aux artistes de s’en saisir à chaque fois.

2. L’exposition de Stéphane Thidet « Orage »

Ceux qui fréquentent les expositions d’art contemporain connaissent son important projet à l’Abbaye de Maubuisson, au collège des Bernardins, à la Conciergerie plus récemment et dans le parc du château de Versailles avec « Voyage d’hiver » où il avait investi un bosquet. Je ne doutais pas qu’il saurait prendre en compte ces questions spatiales fondatrices du lieu, ce qui s’est avéré par la suite gardant en mémoire son intervention pour le parc du château et ces enjeux du paysage. Dans un processus d’inversion entre intérieur et extérieur, comme si notre lieu devenait le revers, le négatif, d’une architecture, caractérisée par une hauteur sous plafond imposante, comme un puits, il a d’emblée pensé à une suspension et à la construction d’une sorte de jardin intérieur et minéral. Ayant toujours en tête son expérience au Château de Versailles, et ce que Le Notre avait produit autour des questions de représentation, de réappropriation du paysage par l’homme en quête de pouvoir.

Il souhaitait dans un process usuel de sa pratique, utiliser des objets préexistants, les renverser et inverser ces sculptures classiques d’animaux en bronze que nous nous sommes procurés chez un artisan dans les Yvelines. Son idée était d’emmener le visiteur dans une sorte de situation, un événement. Un temps en suspens. Le visiteur se trouve coupé du monde extérieur de façon sonore et visuelle, les fenêtres à la Mansard ayant été obturées et la grande baie vitrée fermée. Il a travaillé autour de la question de la mise en lumière à partir de son titre « Orage » et l’ambiance ressentie par le spectateur renvoie à des expériences intimes et oniriques. Le sol est occupé de plusieurs épaisseurs de gravier qui déséquilibre d’emblée son appréhension et bruisse sous les pas, donnant une dimension sonore au dispositif. Ce que nous avons mesuré au fil des réactions des visiteurs individuels ou en groupes est l’impact immédiat de l’œuvre qui oblige à se poser, à baisser la voix, à devenir attentifs les uns aux autres.

Dans la seconde salle, à travers des pièces réactivées Stéphane nous parle des enjeux de la domestication de la nature, de la confrontation nature-culture à travers un langage d’une grande force et sensibilité, comme avec cette vague d’eau qui reprend le dessus et traverse ce mur dans une image vidéo en boucle, à la hauteur de notre regard. Un environnement étrange qui se prolonge avec ce plancher et cette bougie déversant une cire activée le temps de l’exposition, devenant sculpture. Le plancher renvoie à une forme de domestication, évoquant la maison ou le cocon. La dernière pièce s’inscrit dans le prolongement d’une résidence de Stéphane au Brésil cet été avec le collectif « Suspended Spaces » où artistes et chercheurs portent un regard sur des territoires tendus ou empêchés, comme le site de Ford-landia pensée par l’industriel américain pour la production de caoutchouc devenue un échec d’utopie moderniste. Parmi les ruines de cette cité Stéphane a ramené un ossement de mammifère marin, posé sur un petit socle, et estampé du message « je ne suis pas toi ». Dernier volet, la phase éditoriale sur laquelle nous travaillons à présent, à paraître en 2019 sous la forme d’un objet sonore inédit. Ce projet dans son ensemble illustre la grande générosité de l’artiste.

3. Les temps forts et le bilan des 15 ans de la Maréchalerie

Si Stéphane Thidet est reconnu sur la scène de l’art contemporain, ainsi que d’autres artistes d’envergure internationale comme Felice Varini ou Tadashi Kawamata, les frères Campana, les Orta, j’ai souhaité en parallèle donner la parole à de plus jeunes artistes, certains jeunes diplômés comme Charlotte Charbonel, Perrine Lievens.. qui ont eu envie de se confronter à ce défi.

A l’international après un projet développé avec l’artiste d’origine sénégalaise Cheikh Ndiaye dans l’idée d’un partenariat avec l’école et Dakar, j’ai accompagné, sur une suggestion d’ Emmanuel Saulnier des Beaux Arts de Paris, un projet d’échange avec le Liban, transversal et exceptionnellement collectif, en plusieurs temps de 2016 à 2019. Nous avons produit les œuvres de ces 6 artistes répartis en 3 binômes, réalisé un document éditorial autour de l’exposition, accompagné l’équipe pédagogique au Liban, conçu un accrochage des recherches des artistes et architectes réalisées sur place, dans la grande nef de l’école d’architecture et actuellement nous travaillons à un projet de publication Beyrouth in situ, qui invite des personnalités à faire part de leur expérience de la ville. Un exemple très riche et porteur de notre manière d’œuvrer à ces connexions, même si cet échange pédagogique artistes-architectes n’est pas implicite et engage des débats d’idées. Susciter le regard critiques pour générer ces échanges de points de vue qui nourrissent un projet personnel est l’une de mes préoccupations constantes.

Autre exemple collectif à 3 lieux avec Micro Onde et le Frac Grand Large-Hauts de France à Dunkerque autour du Japon sous le commissariat de Vincent Romagny qui a réalisé une recherche sur la question des Aires de jeux, recontextualisée à l’échelle internationale, sous le titre « Kodomo No Kuni ».

4. Programmation 2019

De Janvier à mars nous accueillerons Edouard Sautai qui à travers le projet « CMJN/H20 » aborde la question du point de vue et de la vision, de la perception et de la couleur. Réalisant un bassin d’eau dans la Maréchalerie à hauteur de la Place des Manèges.

De mai à juillet 2019, se déroulera un ambitieux projet porté par la Région Ile de France et la Ville de Versailles, celui de la Biennale d’architecture et de paysage, dont le commissaire général par François de Mazieres, s’appuie sur plusieurs entités : l’école d’architecture et l’école de paysage de Versailles, le château de Versailles et le musée du Louvre à travers la gypsothèque (implantée sur le site de la Petite Ecurie). A l’école d’architecture c’est Djamel Klouche architecte emblématique du Grand Paris, porte le commissariat de l’exposition qui se tiendra sur le site de la Petite Ecurie. Dans le cadre de ce projet où il sera question du durable, de l’écologie et de l’engagement des architectes, j’ai proposé d’inviter Didier Faustino à investir notre lieu, réactivant une pièce et la développant en contexte, sur des problématiques environnementales, la question du déplacement et celle des migrants. Un geste sociétal et social très engagé, entre utopie et dystopie, à l’instar de son parcours. A la rentrée 2019 nous travaillerons avec Jérôme Poret sur un projet inédit autour de la maison hantée, et l’expérience du dessin réalisé sous hypnose avec les étudiants.

5. Le Grand Paris, utopie ou réalité culturelle ?

Nous y réfléchissons déjà beaucoup avec le réseau Tram qui rassemble plus de 30 lieux de production et de diffusion d’art contemporain en Ile de France. A l’appui de l’expérience de TRAM, la Drac Ile de France a engagé un diagnostic à travers la réalisation d’un SODAVI, schéma d’orientation des arts visuels. Le 30 janvier un temps de rencontre est organisé autour de la présence des arts visuels et plastiques sur ces territoires. Il est pour nous fondamental de faire émerger les acteurs du Grand Paris en matière d’art et de culture (centres d’art, fondations, musées..) mais aussi les espaces de formation des artistes, les écoles d’art, les pratiques amateurs, les associations..C’est à chacun d’entre nous de devenir acteurs de cette visibilité auprès des publics notamment par le biais de nos missions avec l’Education nationale.

Quand on regarde Versailles on pense aussitôt au château synonyme pour la plupart du patrimoine alors que la ville accueille sur son territoire une école d’architecture qui forme les concepteurs de demain, une école de paysage, un vrai enjeu d’avenir, une école des Beaux Arts très active. La Ville a créé également l’Espace Richaud avec une activité culturelle forte et La Maréchalerie qui travaille en proximité des Versaillais. Des voisins proches, comme le centre d’art Micro Onde à Vélizy Villacoublay développe également une offre culturelle sur le territoire yvelinois.

Un autre exemple de projet qui active les territoires du Grand Paris, celui du collectif Dans le sens de barge » récemment invité dans le cadre d’un cycle de débats Manèges : un collectif d’artistes et de chercheurs qui à travers une embarcation fluviale le long de la Seine développe l’activité artistique et culturelle de la région Ile de France au Havre. L’idée est de mettre en action une nouvelle logique transversale de territorialité et de proximité par le biais des compétences spécifiques d’un territoire. Le Grand Paris c’est aussi ce genre d’activations que nous pouvons potentiellement susciter.

INFORMATIONS PRATIQUES
Stéphane Thidet, Orage (événement terminé)
En ce moment : Edouard Sautai, CMJN H20
Jusqu’au 17 mars 2019
La Maréchalerie / ENSA V
5, avenue de Sceaux
78000 Versailles
Ouverture
Du mardi au dimanche
La semaine de 14h à 18h
le week-end de 14h à 19h
Entrée libre
La Maréchalerie fait partie de TRAM. Réseau artcontemporain Paris / Île-de-France
http://lamarechalerie.versailles.archi.fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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