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Meero, vers une uberisation de la photographie ?
Rencontre avec ses photographes

Temps de lecture estimé : 12mins

La semaine dernière, nous laissions la parole à Thomas Rebaud, co-fondateur de la start-up française Meero, afin d’évoquer différents points au cœur de la polémique. Aujourd’hui, nous avons décidé de donner la parole aux photographes qui collaborent  avec la plateforme, pour notamment lever le voile sur les véritables tarifs pratiqués.

Comme nous le rappelle son créateur dans notre interview, Meero a pour ambition d’être un outil pour faire gagner du temps aux photographes (et donc de l’argent). Avec l’aide de la technologie, Meero permet aux photographes d’être mis en relation avec des clients situés dans leur secteur géographique. Ces missions proposées concernent en grande majorité le secteur de la restauration et de l’immobilier dont la rémunération pour le photographe est en moyenne de 50€. La plateforme promet un règlement rapide pour en finir avec les longs mois d’attente, voire les nombreux impayés, désagréments que connaissent tous les indépendants.

Comment ça marche ?

Alors pour être photographe chez Meero que faut-il ? Vous devez être muni d’un numéro SIRET pour être en mesure d’éditer des factures, vous devenez ainsi prestataire de service. Comme nous l’a précisé Maxime Riché, directeur de la Photographie chez Meero, « il n’est pas obligatoire d’avoir un statut d’auto-entrepreneur, un auteur peut disposer d’un numéro SIRET, et n’importe qui peut monter une société« . Il n’est donc pas obligatoire comme lu ici ou là, d’être en auto-entreprise. Cependant, dans les faits, ce statut est aujourd’hui le moins lourd administrativement, et le moins coûteux en terme de charges. Pour un prestataire de service, il faut compter 24,4% de charges (sociales et  imposition) sur le chiffre d’affaire (et non des bénéfices, vous ne pourrez donc déduire aucun frais!). N’oublions pas que depuis peu, chaque auto-entrepreneur est soumis à la CFE, taxe foncière professionnelle, dont le montant est décidé par votre commune et pouvant aller jusqu’à 2000€ par an. (Si vous ne dépassez pas les 5000€ de CA vous en serez exonéré, et ça c’est sympa !).

Une fois, muni de votre numéro SIRET, vous devez être en mesure de répondre à des commandes strictes et détaillées dans des « guidelines » Meero très strictes ! L’homogénéité est un axe important chez Meero, cela leur permet légalement de ne pas payer de droits d’auteur (cf : notre interview).  Il vous faut donc du matériel de prise de vue et d’éclairage exigeant – notamment pour l’immobilier. Etant propriétaire de votre matériel vous en avez la charge et devrez l’assurer mais surtout le renouveler. Car l’un des points négatifs du numérique c’est tout de même que le matériel vieillit vite et qu’il est plus fragile…

Votre smartphone deviendra le lien « précieux » entre vous et vos « clients ». L’application Meero vous fera parvenir les missions et vous aurez 20 minutes pour les accepter, avant qu’elles ne soit proposées à un autre photographe. Autant dire qu’il faut être réactif ! Bien entendu, Meero ne vous enverra pas n’importe où sans connaître vos compétences. Lors de votre inscription, vous devrez passer un test et leur soumettre des travaux, qui seront validés ou non. Meilleur vous serez, plus vous passerez de « badges », et mieux vous serez rémunéré !

Une fois votre mission réalisée, vous devrez envoyer vos fichiers RAW sur la plateforme, qui se chargera de la post-production et de l’éditing. Mais attention, le nombre de fichiers à envoyer est limité, si vous multipliez les prises de vue, vous devrez passer un peu de temps à l’éditing. Et le principe chez Meero c’est de réduire le temps de travail, ne l’oublions pas.

Qui sont les photographes Meero ?

Nous avons souhaité interroger ces photographes qui acceptent d’être payés si peu pour une prestation photographique, où un matériel coûteux et un savoir faire est exigé. Nous avons lu beaucoup de témoignages sur les réseaux sociaux qui ont un point commun : celui d’avoir effectué une seule et unique mission. Si beaucoup souhaitent garder l’anonymat, tous restent estomaqués des tarifs perçus face aux tarifs de prestation perçus par Meero.
Sur Facebook, des photographes témoignent « Je m’y suis inscrit l’hiver dernier pendant une baisse d’activité… Et lors de ma première et dernière mission le client m’a dit combien il avait payé… Pour une mission de deux heures, j’étais payé 50€ alors que le client avait payé 380€… », « 60€ pour une mission culinaire, je me suis arrêté là… »… Un autre mentionne le problème de statut exigé « Pour tester, je me suis inscrit sur leur site et dès que j’ai parlé de mon statut d’auteur, on m’a claqué la porte au nez : « Il faut être autoentrepreneur ». J’ai tout compris à ce moment-là. Je leur ai fait un couplet sur la protection de notre métier mais j’avais des sourds qui m’écoutaient… ».
Pour beaucoup l’expérience s’arrête là, une mission pour un reportage immobilier payé 30€ brut, même pour un client qui est à côté de chez soi c’est difficile à accepter !
Mais alors qui sont les photographes qui travaillent régulièrement avec Meero ?

Le profil type du photographe Meero

Nous avons interrogé Grégory Viguié, salarié en CDI dans une entreprise. Depuis un an, il collabore avec Meero en tant qu’auto-entrepreneur. Cela lui permet de s’adonner à sa passion, la photographie, tout en lui assurant un petit complément de revenu. Voici ce qu’il nous a confié :

« J’ai été photographe indépendant mais j’ai dû arrêter car je ne m’en sortais pas, j’ai donc gardé la photo comme passion. Avec Meero je peux me consacrer à ce que j’aime vraiment : le prise de vue. Certes c’est de la photo immobilière et de la restauration, ce n’est pas des plus passionnants… »
Lorsque nous le questionnons sur les tarifs proposés et sur l’uberisation de la photo avec Meero, voici ce qu’il nous répond : «
« Il y forcément une uberisation du métier, car les photographes indépendants ne pourront jamais être aussi compétitifs, ils devraient facturer le double, voire le triple pour dégager des bénéfices. Aujourd’hui, les gens veulent du pas cher, du qualitatif et du rapide ! Ça fait déjà 10 ans que la tendance est à casser les prix… Moi ça me convient car je suis salarié en CDI et c’est juste un complément de revenu. Comme les missions tournent autour de 30€, j’ai calculé qu’il faudrait en faire 80 par mois pour arriver à avoir 2300/2600€ brut (ndlr autour de 2000€ après charges). Pour gagner mieux, il y a le système de badge, meilleur on est et plus on accède à des missions intéressantes financièrement.
On va dire qu’en 1h30 on fait notre mission. Ça comprend le trajet, la prise de vue et l’envoi des fichiers sur la plateforme. 
Dans leur système, il y a une chose que je regrette, c’est que le client ne puisse pas demander à nous avoir sur les missions suivantes. J’essaye de faire minimum 20 missions par mois, pour que ça me fasse un vrai complément de revenu. Mais ce que j’aimerais c’est pouvoir en vivre ! Mais malheureusement, Meero ne peut pas garantir une mission par jour et par photographe, on ne peut donc pas en vivre. »

Grégory Viguié est vraisemblablement le profil type du photographe chez Meero, qui répond aux missions dans l’immobilier et dans le fooding payés 30€, car lui, n’accède pas aux missions à 50€. Il y passe ses vacances et ses week-end, pour 450€ net de revenu chaque mois. Et comme il nous le dit, chaque mission prend environ 1h30. Ces informations viennent contredire le discours de Thomas Rebaud, qui parle de mission à 50 € pour 45 minutes de travail, la différence est importante. D’après nos calculs, il est payé 15,2€ net de l’heure. Deux fois plus que le smic donc, et ce résultat le satisfait car la photographie est pour lui une passion, qui finalement lui rapporte un peu d’argent. Mais les photographes professionnels à qui s’adresse Meero, n’ont à priori pas de CDI à côté pour au moins s’assurer de payer leur loyer…

Cas particuliers : les privilégiés

Le cas de Vincent NVan est particulier, et c’est lui qui tient à le préciser dès le début de notre entretien, car il est photographe et vidéaste. « Je pense faire partie des privilégiés. Comme ils sont satisfaits de mon travail, je profite de leur verticalité : j’ai commencé comme tout le monde, en bas de l’échelle, à faire du fooding pour JustEat. En grande majorité Meero c’est JustEat et Airbnb, ceux qui ont d’autres prestations de type événementiels, lifestyle ou corporate à produire ce sont ceux qui ont la chance d’avoir été repérés par les équipes de Meero. Mais à la base c’est du JustEat à 50€ ou de l’immobilier à 80/90€ mais pas plus – j’ai d’ailleurs été surpris de voir des tarifs à 30€ dans la presse. Comme je trouvais que le tarif était léger, je m’étais fixé de rester dans un périmètre proche de mon domicile, il n’y a aucun intérêt à faire du trajet pour ces prestations, il ne faut pas aller à plus de 10km, ça n’est plus intéressant.
Rapidement, une personne chez Meero m’a fait un retour sur la qualité de mon travail, et ils ont commencé à me proposer des projets sympas qui m’ont permis de ne plus faire des missions à 50€, et ça fait longtemps que je ne connais plus ces tarifs là.
Meero se positionne comme un complément de revenu. Penser qu’on va en vivre c’est partir du mauvais pied, c’est pas avec Meero qu’on va gagner sa vie ! La plus longue mission que j’ai eu, c’était de la vidéo de 9h à 22h30 et j’ai été payé 750€, uniquement pour tourner les images. J’ai aussi fait des prestations événementielles de 18h30 à 22h30 en photo pour 250/300€ et personnellement, je m’y retrouve. Ça ma permis de faire de bons mois, dernièrement j’ai fait plus de 4000 euros – il ne serait pas concerné par le plafonnement à 1500€. Moi je trouve intéressant qu’une société comme Meero ait levé ces centaines de millions d’euros dans un secteur où c’est apparement la crise. C’est à nous de nous adapter, et d’en profiter à partir du moment où c’est intéressant. Ce n’est pas parce que les fast food existent que les gens ne vont plus au restaurant !
Si j’avais suffisamment de missions chaque mois pour faire cela à temps plein je signe tout de suite ! Pour moi en tant qu’indépendant c’est ma petite bulle rêvée, j’ai une plateforme qui me mets en relation avec les clients et financièrement je m’y retrouve, car je fais en sorte que ça ne me prenne pas trop de temps. Ce que j’ai gagné en peu de temps m’a permis d’investir dans du matériel ! »

Sigried Duberos, quant à elle, est photographe à temps plein et elle a choisi le statut d’auto-entrepreneur pour sa facilité administrative. Elle est spécialisée dans la photographie de concert et collabore avec Meero depuis quatre mois à la demande de Maxime Riché, directeur de la photographie. Sa première mission a été de couvrir le salon VivaTechnology. « Je travaille uniquement pour de l’événementiel ou du corporate, j’ai eu plus de chances que les autres car je n’ai pas eu à passer par la food ou l’immobilier, Maxime connaissait mon travail. Je comprends que certains photographes trouvent que les tarifs ne sont pas assez élevés, mais quand je reçois une mission dont la rémunération ne me convient pas, je la refuse. Dernièrement, j’ai perçu 550€ pour une mission sur deux jours de 18h à minuit (mais le travail effectif était de 19h à 23h) et le lendemain de 11h30 à 14h. Pour moi, Meero, c’est vraiment très ponctuel, tout en étant une source de revenus intéressante. »

Vous l’aurez compris, chez Meero, il y a plusieurs types de photographes. Ceux qui font du gros volume dans la restauration et l’immobilier. La tarification étant tellement basse qu’elle ne peut que s’adresser qu’à des non professionnels, comme Grégory Viguié, qui s’offre un complément de revenu. D’autres,  plus « privilégiés », ayant accès à des missions mieux rémunérées.

Au cours de notre enquête une autre question s’est posée. Pourquoi Meero tente t-il de se développer sous la forme d’une Fondation avec des masterclass, notamment dirigées en collaboration avec l’agence Noor, ou en réalisant des films d' »inspiration » qui traduisent le quotidien de photographes ? Pourquoi proposent-il des rémunérations, cette fois-ci très élevées (10.000 euros) à des photographes professionnels n’ayant aucun lien avec Meero ?
La réponse de Meero tient au fait de se positionner comme une marque de confiance.
N’est-il pas question de s’acheter une certaine légitimité ? Mettre en avant des photographes de talent dans leur magazine ou dans leurs films – qui ne sont pas des photographes Meero – ne risque t-il pas d’entraîner une confusion auprès de leurs clients ?

Fait amusant, sur le site MyMeero, plateforme d’échange dédiée à tous les photographes, des témoignages de photographes figurent sur la page d’accueil. Parmi eux, un nom nous paraît familier, celui de Théo Gosselin. Nous décidons donc de l’interroger pour avoir son point de vue en tant que membre de la communauté. Il nous répond qu’il est surpris en ajoutant avec humour « Ce n’est pas moi ahaha mais bizarre comme homonyme« . Aujourd’hui ce témoignage n’est plus sur le site…

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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