L’Individualité en Mouvement

Plus d’un an après l’ouverture de la galerie éponyme, NörKa présente le nouvel opus de sa série “ L’Individualité en Mouvement ”. Si pour maintenir le lien avec la genèse de ce projet artistique initié dans les années 2015, certaines photographies emblématiques sont à nouveau présentées, une grande partie des oeuvres exposées au regard comme à la vente est en revanche tout à fait inédite. Deux d’entre elles semblent même signifier pour l’artiste l’avènement d’un territoire d’expression légèrement divergent.

Si “ L’Individualité en Mouvement ” peut être apparentée aux visions existentialistes et même humanistes en ce sens que la figure humaine occupe dans chacune des oeuvres une place prépondérante, NörKa s’attache avant tout à capter des instances de vie comme autant de composantes essentielles à la bonne compréhension de notre façon d’être au monde.

L’artiste ne propose évidemment pas ici une observation circonstanciée du monde mais bien une interprétation très personnelle visant à impressionner directement nos sens et notre conscience.

Dans une approche toute Bergsonienne, NörKa propose une oeuvre artistique qui s’inscrit en faux avec les thèses dualistes qui tendent à vouloir dissocier radicalement l’esprit de la matière, la conscience du corps. En figeant le mouvement de l’être dans toute la force de sa propre continuité, “ L’Individualité en Mouvement ” introduit la question de l’espace et du temps.

Notre esprit méconnait le temps car il le spatialise, le segmente en une succession d’instants. Ici, la temporalité s’étire, se fait diffuse, se propage plus ou moins selon les sujets captés, selon que l’objectif est proche ou éloigné de la scène. Le mouvement n’est plus ici déplacement mais représentation du travail de notre conscience qui, retenant le passé, l’enroulant sur lui même à mesure que le temps se déroule, prépare avec lui l’avenir.

“En figeant le mouvement de l’être dans toute la force de sa propre continuité, NörKa introduit la question de l’espace et du temps. »

Artiste instinctive NörKa se joue des codes. En effet, d’ordinaire, en tant qu’entité subjective, notre sens visuel est attiré en premier lieu par l’humain puis par le vivant et finalement par le paysage, l’arrière plan en somme. En utilisant le flou au sein de ses oeuvres pour faire de l’humain un être presque éthéré, NörKa semble vouloir inverser la polarité entre vivant et décor, entre conscience et matière au point que le fond supposément inerte tend à prendre le pas sur l’être en mouvement. Ce rapport ambivalent entre premier et arrière plan, loin de produire une dissonance, rapproche ces derniers pour créer des compositions où règne un sentiment presque symbiotique. Le sujet en mouvement a tendance à se fondre dans son environnement proche, à tel point que l’ensemble ainsi constitué devient un tout cohérent et indivisible qui souvent tutoie les frontières de l’abstraction. Serions nous in fine indissociables de notre propre perception du monde ?

A ce titre l’arrière plan revêt un rôle prédominant dans les oeuvres de NörKa, il en est la composante presque essentielle. Telle une sémionaute, NörKa dans sa démarche créative, navigue et glane au gré de ses pérégrinations les signes fabriqués volontairement ou non par notre société. Ces arrière-plans parfois sobres, souvent chamarrés, altérés, chahutés agissent comme la matérialisation de notre rapport nécessairement parcellaire au monde. Si notre corps nous permet de percevoir le monde il nous en masque également le flux et par conséquent, ne nous en donne à voir que des bribes. « Mon corps est une image parmi les images » disait Bergson.

Si d’aucuns pourraient être tentés de considérer “ L’Individualité en Mouvement ” comme une interprétation contemporaine des vanités et par conséquent de ne s’attacher qu’à l’aspect évanescent des silhouettes qui parcourent les oeuvres, ce serait totalement mésinterpréter l’intention première de l’artiste. Au contraire, loin de vouloir exhaler une vision entropique du monde, NörKa, par le truchement d’un jeu de compositions savamment orchestrées, cherche à rendre explicite au regard le fait que le mouvement n’est pas nécessairement contingenté par l’extérieur mais provient également de l’intérieur. «Le “je” le “moi” qui déborde le corps de toutes parts,[…] dépasse le corps dans l’espace»

– Henri Bergson

Si le noir et blanc a longtemps été l’apanage des photos artistiques eu égard aux traditions argentiques, NörKa au travers de cette série “ L’Individualité en Mouvement ” assume totalement son appartenance à l’ère numérique pour en faire une force. Sans recadrage ni montage aucun mais par un travail assidu et précis de l’image, elle fait émerger sa vision singulièrement picturale de la photographie. C’est ainsi que dans bon nombre de ses oeuvres, NörKa s’emploie à faire de la couleur une vibrance décomplexée. Ces couleurs exacerbées, capables d’irradier l’espace, s’expriment par tous les pores du papier pour faire de ses oeuvres autant d’odes à la vie.

“ L’Individualité en Mouvement ” propose une vision à la fois généreuse et optimiste du monde et pour paraphraser Henri Bergson, au travers de l’universalité de sa démarche artistique, NörKa nous permet d’entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-même.