Lumen Botanica

« Dans un livre fondateur, Par-delà nature et culture, Philippe Descola, dès 2005, invitait, en anthropologue, à dépasser un dualisme ancré dans notre société occidentale : l’Homme serait culture, et considèrerait de l’extérieur une nature immuable qu’il exploite, qu’il asservit en la domestiquant, qu’il utilise pour son loisir, qu’il décide seul, en « maître et possesseur », de détruire ou de protéger.

Ce que l’on appelle aujourd’hui la biodiversité, n’est-ce pas plutôt tout un monde vivant, tissus de relations à la passionnante complexité entre des familles innombrables d’êtres singuliers, dont les humains font partie parmi tous les autres ? Un monde qui évolue depuis l’apparition de la vie sur terre, il y a près de quatre milliards d’années. Un monde où la diversité du vivant est menacée aujourd’hui d’effondrement.

Brenda Hoffman fait, dans son travail, toute sa place à cette vision du monde vivant. Elle cherche, dans toutes les formes de son expression, à dépasser d’autres idées reçues : la photographie « immortaliserait » l’instant, elle « fixerait » l’image. Ce qu’elle nous montre aujourd’hui met en cause ces truismes : elle dit de ses photogrammes de flore qu’ils sont « une concentration de vie, d’un temps fragile et éphémère ». Elle a travaillé avec les botanistes du CNPMAI de Milly-la-Forêt pour choisir les plantes les plus précieuses, parfois les plus menacées. Et elle nous propose un dilemme : nous ne pouvons résister à regarder ces frêles images, fût-ce en hâtant leur disparition. »
François Letourneux

Avec le photogramme, procédé technique aussi ancien que la photographie elle-même, Brenda Hoffman dresse un portrait de la flore autochtone d’Île de France. Cette recherche nous mène jusqu’aux spécimens menacés d’extinction.

Les oeuvres : chaque photogramme représentant une espèce menacée est présenté dans une boîte de conservation, posée sur une table. En ouvrant les boîtes pour les regarder, nous les faisons disparaitre. Sur deux des murs, on peut découvrir une sélection de photogrammes de la flore autochtone d’Île de France et des plantes introduites dans la région. Près du troisième mur, on trouve enfin un mobile construit avec des photographies de plantes qui font partie de la mission de conservation du CNPMAI. Celui-ci est constitué d’images contrecollées sur une couverture de survie et se déplaçant dans l’espace.

Les photogrammes abrités dans ces boîtes ont été réalisés par contact de plantes rares ou précieuses, dont la survie dans notre voisinage est fragilisée. Le changement climatique, le béton et le goudron, l’effet des herbicides, et beaucoup de nos comportements y contribuent.
Ces photogrammes ont été révélés au laboratoire, pour nous permettre de les découvrir. Ils n’ont pas été fixés, pour évoquer cette fragilité. Chaque exposition à la lumière contribue à les estomper, à les faire progressivement disparaître.
Je vous invite donc, après avoir ouvert chacune de ces boîtes, à la refermer sans tarder. Les images que vous y laisserez ne seront plus tout à fait les mêmes. – Line Lavesque

Pour compléter l’exposition, une vitrine exposera des livres d’autres photographes sur la flore, les fleurs et les plantes, tous issus du Fonds photo.

Anna Atkins (1799 – 1871), peut-être la première femme photographe de l’histoire, commença en 1843 la publication des British Algae : Cyanotype Impressions, le premier ouvrage publié à utiliser des photogrammes réalisés par cyanotype, une technique tout juste inventée. À partir des plantes parisiennes visibles dans sa propre exposition, Brenda Hoffman propose de reprendre le procédé et d’en transmettre les rudiments au public de son exposition.

L’expérimentation physique du support photographique est au centre du travail de Brenda Hoffman.
Après une maîtrise d’Audiovisuel en Argentine, son pays d’origine, elle se forme en France aux techniques photographiques en laboratoire auprès de Georges Fèvre et Guilaine Miot.
« Pour moi, l’expression est une nécessité, et la photographie sa forme. La peinture, le dessin, le collage, la photographie m’accompagnent depuis que ma conscience s’est éveillée. Je revois encore ma grande mère et ses roses jaunes en été. Enfant, j’étais fascinée par le rouge des feuilles des arbres que je savais éphémères. Je craignais le moment inéluctable où la pluie ferait tomber les pétales des roses et laisserait les arbres nus. Mes photogrammes sur la flore sont une concentration de vie, d’un temps fragile et éphémère, un court instant dans le grand mouvement des saisons en éternelle évolution. La création est infinie, ma vie est courte ! » Brenda Hoffman Artiste visuel, enseignante, elle a été lauréate d’une bourse de la Ville de Paris en 2003 (« Paris jeunes aventures ») pour son photoreportage « Cartoneras » (à propos des femmes qui ramassent du carton dans la ville de Buenos Aires)
Elle a été sélectionnée pour la Foire Saint-Germain en 2010 où elle a reçu le 1er Prix de la Nuit de la Photographie (Place Saint-Sulpice, Paris), et pour le Festival International de la photographie de Bievres en 2017, où elle a été primée.
Ses oeuvres font partie de plusieurs collections publiques (Museo de Arte Tigre, Argentine, etc.), et privées (Espacio Foto Arte, Uruguay, etc.)

Editions

Absence (éditions Arnaud Bizalion et livre d’artiste, 2018). Six cyanotypes et dessins illustrant un poème de Françoise Fajac. La Promenade de Rilke (éditions Arnaud Bizalion et livre d’artiste, 2015).
Dix photographies en noir et blanc peintes à la main accompagnant un poème de Rainer Maria Rilke.
Le Tigre derrière la brume, livre d’artiste comprenant dix-sept paysages en noir et blanc, 2012.Face à la mer (éditions Akié Arichi, 2009) livre d’art avec six poèmes d’Alfonsina Storni et six photogrammes originaux à six exemplaires