Voyages au Pays d'Emma. Par les chemins et par les rêves

« On pouvait arriver promptement à la Huchette, y rester une heure et être rentré dans Yonville, que tout le monde serait encore endormi. Cette idée la fit haleter de convoitise, et elle se trouva bientôt au milieu de la prairie, où elle marchait à pas rapides, sans regarder derrière elle. »
Gustave Flaubert, Madame Bovary

Eric Bénard propose une interprétation photographique de la relation entre son oeuvre et ses lieux d’inspiration. Le parcours de l’exposition présentera des photographies grand format qui seront exposées sur les murs extérieurs des communs du Château de Martainville. Une seconde section de l’exposition, plus intimiste et présentant des photographies de « fragments », sera présentée au3è me étage du musée avec des formats plus petits. Des panneaux d’exposition accompagneront les photographies afin de présenter le photographe et son projet artistique.

Propos du photographe Eric Bénard :
De son repère du Croisset sur les bords de la Seine, Gustave Flaubert a écrit pendant cinq ans l’une de ses oeuvres les plus puissantes, Madame Bovary. Publiée en 1856, cette étude de « moeurs de province » (sous-titre du roman), a révolutionné la littérature par ses audaces. L’histoire d’Emma, héroïne tragique moderne, s’inscrit dans un bourg normand « à huit lieues de Rouen ». Le décor occupe une place primordiale dans Madame Bovary, il est omniprésent et indissociable du personnage. Les descriptions de paysages, d’objets, d’intérieurs et d’évènements de la vie locale reflètent les états d’âme d’Emma, ses passions et ses illusions, ses rêveries et ses craintes, ses désirs et son ennui.
Emma cherche à échapper à son quotidien ennuyeux et étouffant, à la fois concrètement et par l’imagination. Elle s’évade de chez elle en empruntant les chemins qui la mènent vers ses deux amants successifs, elle s’invente une nouvelle vie par des rêves nourris de littérature romantique.
Son insatisfaction ne lui laisse que peu de répit, elle est sans cesse en mouvement.
C’est cette tension psychologique permanente d’Emma que j’ai souhaité suggérer en filigrane dans mes photographies, par l’alternance de paysages et de fragments. D’un côté, des vues amples captées en Normandie au rythme des saisons, des atmosphères évoquant les sensations de liberté et d’évasion. Et en contrepoint, des vues de proximité, plus serrées, verticales, d’objets, de gestes traduisant la contrainte, l’enfermement.
Quant aux chemins, j’ai choisi de leur accorder une place particulière. Pour Emma, ils représentent le trait d’union entre son univers réel et celui fantasmé, la promesse de plaisirs cachés mais aussi la tristesse de désillusions. Empruntés dans des tenues peu adaptées à la marche et dans des conditions parfois difficiles, ils sont parfois semés d’embûches. Ces chemins la mettent en contact avec une nature à la fois belle et rugueuse.

Enfin, en adoptant une palette de couleurs légèrement désaturées et granuleuses, j’ai voulu distiller un charme suranné, une certaine mélancolie, une suspension du temps. Quelques images en noir et blanc pourront s’intercaler afin d’apporter une certaine âpreté. Cet ensemble photographique sera ponctué de citations de Madame Bovary et d’extraits de la correspondance de Flaubert.

Eric Bénard est à la fois photographe et rédacteur en associant texte et image. Cette vision sociologique le pousse à réaliser plusieurs reportages sur le portrait avec Les gens de l’eau (2013) et Les gens du lin (2016), le geste et le paysage. Il porte un intérêt au lien entre l’homme et son environnement et son empreinte sur le paysage mais aussi à la littérature avec deux expositions consacrées à Palerme et Maupassant et à Marguerite Duras (Des journées entières en Indochine, 2014) où il propose une interprétation personnelle de la relation entre son oeuvre et les lieux de son enfance, et de la genèse de son oeuvre littéraire : l’Indochine.

Commissariat d’exposition : Caroline Louet et Eric Bénard