Anne Greuzat

Le Jardin botanique de Meise, l’un des plus grands jardins botaniques au monde, accueille en ce moment l’exposition « Herbarium » de l’artiste photographe Anne Greuzat, visible dans la tour du Château de Bouchout du 4 avril au 31 août 2025. Une trentaine de photographies sont présentées dans ce domaine historique exceptionnel, offrant aux visiteurs une rencontre à la fois esthétique, contemplative et symbolique avec le monde végétal.

La série Herbarium se déploie comme une exploration intime du vivant, à la fois proche et lointaine, simple et énigmatique. Au-delà d’une simple observation botanique, Herbarium nous plonge dans un jeu visuel et symbolique où la végétation ne se donne pas à voir telle qu’elle est, mais en tant que porteuse d’autres images, d’autres significations.

Chaque plante, isolée de son environnement naturel, est photographiée sur un fond blanc uniforme, avec une attention particulière au détail, capturant des nuances de couleur, des courbes délicates, des textures subtiles. La lumière est douce, homogène, effaçant les ombres pour souligner la pureté et la complexité de chaque feuille, chaque tige, chaque inflorescence. Ce fond neutre et lumineux, dépouillé de toute distraction, agit comme un révélateur. Il met en exergue les lignes, les formes, les textures et les contrastes, conférant au sujet une présence tactile. Imprimées sur un papier coton de type Canson, les photographies brouillent les pistes : le blanc du fond se confond avec celui du support, créant une ambiguïté visuelle qui interroge le regard. S’agit-il d’une photographie ou d’une illustration botanique à l’aquarelle ? Ce trouble est le premier jalon d’une exploration des apparences.

La photographie est utilisée ici comme un outil d’observation minutieuse, un mécanisme pour sonder le réel avec précision. Pourtant, derrière cette rigueur scientifique se dissimule une dimension plus intime. Ce qui captive, au-delà du sujet, c’est son potentiel d’évocation. Chaque image d’une plante est une métamorphose visuelle : elle évoque autre chose. Le cliché d’une plante peut, selon l’oeil du spectateur, évoquer des figures aussi diverses qu’une araignée, une dentelle, des poils pubiens, un phallus, des oiseaux, une grotte, une flamme, un poumon… ou encore le soleil noir de la mélancolie. Ces associations ouvrent un espace où le sens se dérobe, où chaque image devient une projection de l’imaginaire: c’est la photographie d’une plante qui ressemble à autre chose, un vecteur de l’invisible. Lacan, dans ses écrits sur le regard et le visible, parlait de cette fracture entre ce qui peut être perçu et ce qui, dans ce qui est visible, nous échappe. Herbarium s’inscrit dans cette tension. Tout est fait pour centrer l’attention sur le sujet – la plante, l’objet de la photographie – et pourtant, ce n’est jamais uniquement la fleur que l’on voit. C’est ce qui lui échappe, ce qui s’y cache et se dévoile à chaque nouveau regard, à chaque nouvelle lecture de l’image.

Ce jeu de dérobement et de résonance fait écho à une symbolique des plantes que nous avons progressivement oubliée. Autrefois, les plantes étaient porteuses de significations profondes, liées à la guérison, à la sexualité, aux cycles de la vie et de la mort. Dans Herbarium, la fleur n’est plus seulement une simple fleur, mais elle rappelle, par ses formes et ses évolutions, les forces invisibles de l’existence.

Ce travail nous invite à ralentir, à prendre le temps d’examiner de près chaque floraison, à apprécier les nuances de couleur, les différentes textures qui font le propre de chaque espèce. En entretenant une tension entre observation minutieuse et évocation poétique, cette série nous invite à repenser notre relation à la nature, au vivant, à l’éphémère et à la beauté. Elle nous confronte à l’invisible, à l’inconscient des formes, aux multiples significations qui émergent d’un simple portrait végétal.

Née en 1979 à Paris, Anne Greuzat vit et travaille à Bruxelles depuis 2008. Elle est représentée par la galerie The Palm Beach. Diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, elle expose son travail en Belgique et à l’étranger (Autriche, Croatie, France, Suisse). Elle a publié deux ouvrages : Tempo Largo chez Yellow Now en 2017 et Rhizomes en 2022. L’exposition Herbarium est incluse dans le billet d’entrée quotidien du Jardin botanique de Meise. C’est donc aussi l’occasion idéale de (re)découvrir les collections vivantes du Jardin, qui s’étend sur plus de 90 hectares et rassemble des milliers d’espèces végétales du monde entier.