Février, 2024

Jean Pierre Favreau

jeu01fev10 h 00 minsam18mai(mai 18)18 h 00 minJean Pierre FavreauDans l'infini des songesMusée Hèbre, 63-65 avenue Charles de Gaulle 17300 Rochefort

Détail de l'événement

De l’ouest à l’est, du sud au nord, du désert à la mégapole, Jean Pierre Favreau invite dans ses photographies à parcourir le monde. Il initie ainsi une quête singulière, celle d’un songe indéfiniment relancé qui parviendrait à dire l’émerveillement devant la beauté du monde et l’incertitude devant ses béances et ses failles. Du désert des grands espaces aux villes désertées, le photographe trace un cheminement qui reconduit l’appréhension de chemins plus intérieurs, ouvrant sa pratique à une forme d’« autobiographie sans événements » selon la belle formule de Pessoa.

Si le voyage nourrit la photographie, inversement, la photographie nourrit un voyage qui n’est pas seulement géographique, mais intérieur ouvrant à l’imaginaire et au symbolique. Ainsi, les photographies de Jean Pierre Favreau donnent à voir une route, un chemin, les traces d’une marche, les tentatives d’ouvrir le cadre ou d’en sortir, le seuil et son franchissement. Mer ou ciel apparaissent pour figurer une échappée belle, un point de fuite, une perspective dans cet infini turbulent qu’est la vie.

La photographie elle-même serait peut-être cette échappée belle, ce geste de saisie paradoxale du réel, d’appréhension tout à la fois de sa présence et de son essentielle beauté, au moment même de sa disparition et de son évanescence. En définitive, les photographies de Jean Pierre Favreau invitent non pas tant à décrire le monde qu’à en révéler sa part indicible et mystérieuse.

C’est en effet à un monde en partance qu’invitent ces photographies, un monde pris dans le regret ou l’envie d’un ailleurs, qu’il soit temporel ou spatial, tels cette femme en tailleur beige semblant fuir la menace imminente de ces hauts immeubles qui l’écrasent ou cet homme au chapeau noir comme arrêté dans le mouvement même de son départ. Un monde qui semble déserté, à l’abandon ou vidé de toute présence, un monde où tout s’effrite, se craquelle et se délite, un monde devenu œuvre d’art par mégarde ou par hasard – que l’œuvre prenne la forme du drapé d’une statue, de la boucle d’un câble ou d’un rideau échappé d’une fenêtre. C’est là un monde qui s’invente et se réinvente sans cesse.

Ainsi, entre lignes et courbes, ombres et lumières, mouvement et immobilité, ces photographies sont traversées par une tension qui n’est pas seulement esthétique, mais métaphysique. Jean Pierre Favreau photographie le monde et les hommes en funambule, sur un fil tendu entre terre et ciel, donnant à voir l’infiniment grand et l’infiniment petit, le monumental et l’insignifiant, ce qui demeure et ce qui disparaît, l’humain et ce qui le dépasse. Il nous confronte ainsi à une intranquillité.

Cette intranquillité est perceptible dans une forme de présence-absence. Intranquilles, tels sont en effet ces visages qui refusent le regard, le retournent vers l’intérieur, ou le projettent vers l’horizon. Intranquille aussi, cette inscription de la perte et de l’absence dans l’épiphanie d’un visage. Intranquille encore, le surgissement d’une spectralité qui interroge la présence et, plus radicalement, la vie. De ces êtres esseulés, seuls dans la foule, perdus dans leurs pensées quand les autres dansent ou courent à leurs activités, Jean Pierre Favreau capture la faille, le moment d’un effondrement intérieur qui fait tanguer le monde.

Ouvrant le visage à une anamorphose dans le cri et dans la bouche d’ombre, ou à un devenir-fantôme par la pâleur qui parfois le caractérise, ouvrant le visage à un ilot d’étrangeté, le dévisageant en somme, la photographie remonte ici aux origines de l’image, l’imago, ce masque mortuaire qui tout à la fois se souvient de la vie et consigne la mort. Ainsi, les photographies de Jean Pierre Favreau sont traversées par une inquiétante étrangeté, à l’image de cette voiture recouverte d’un drap noir entraperçue entre les colonnes blanches d’une ville lointaine, telle une allégorie de la mort, inquiétante étrangeté à laquelle fait contrepoint le surgissement de la merveille, si ce n’est du merveilleux, comme le suggère le dessin de Magritte sur les murs de Rochefort et comme reflété par l’ombre du mobilier urbain lui-même.

Si, conformément à son étymologie, photographier, c’est écrire la lumière, l’écriture photographique de Jean Pierre Favreau redéfinit le rapport au monde et les arêtes du temps sur un fond de ténèbres. Photographier, c’est alors faire surgir du quotidien une poésie dont on le croyait exsangue, rencontrer l’ailleurs au détour d’une rue, dire l’humanité dans sa beauté et son ambivalence fondamentale, saisir l’harmonie de l’homme quand il fait corps avec la nature ou un cheval.

Alors la photographie apparaît comme une façon d’habiter le monde en poète, de secouer notre accoutumance, de proposer des associations inédites entre des réalités lointaines et insoupçonnées. Face aux arêtes du réel et du temps, le mouvement circulaire d’un manège où s’ancre et s’échoue le regard, où s’arriment le mouvement et la répétition, et que vient mimer une petite fille arrimée à un poteau, ouvre à l’éternel retour et au cycle de la vie, et nous dit le divertissement de l’homme dans un ciel sans dieu.

Sylvie Loignon

Photo : Cuba, La Havane, 1991
© Donation Jean Pierre Favreau, Ministère de la Culture (France),
Médiathèque du patrimoine et de la photographie

Dates

1 Février 2024 10 h 00 min - 18 Mai 2024 18 h 00 min(GMT-11:00)

Get Directions