Avril, 2025

La gare d'Orsay au printemps 1945

mer02avr(avr 2)9 h 30 mindim15jui(jui 15)18 h 00 minLa gare d'Orsay au printemps 1945Théâtre du retour des rapatriésMusée d'Orsay, 1 Rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris

Détail de l'événement

Le musée d’Orsay raconte le retour des rapatriés d’Allemagne au printemps 1945 à travers des images inédites de l’ancienne gare d’Orsay. Réunis pour la première fois dans une présentation, ces œuvres et documents d’époque retracent des histoires singulières et offrent autant de points de vue sur cet épisode marquant. Ils donnent à voir successivement la douleur, l’euphorie et le désarroi liés au retour à la liberté.

En 1981, alors que les équipes préparent l’ouverture du futur musée d’Orsay, Jacques Rigaud, président de l’établissement, fait une promesse à Paul Vignaud, un ancien rapatrié de guerre : l’histoire de la gare sera évoquée dans le musée. Cette promesse se concrétise par une exposition retraçant l’histoire de cet édifice aux multiples usages : gare, hôtel pour l’Exposition Universelle de 1900, décor de films dans les années 1960, parking, havre pour la troupe de théâtre de Renaud Barrault, salle des ventes. Conçu par l’architecte Laloux, l’édifice a aussi servi de centre d’accueil au printemps 1945 pour des milliers de déportés.

« L’histoire de la gare d’Orsay sera évoquée dans le futur musée ; et les événements que vous évoquez y auront leur juste place. »

Jacques Rignaud, président du musée d’Orsay de 1981-1987

À partir d’avril 1945, des déportés et d’anciens prisonniers arrivent à la gare d’Orsay. Accueillis par les Parisiens et parfois leurs proches, ils suivent un parcours d’accueil : vérification d’identité, décontamination, visite médicale et déjeuner. Après réception de cartes de rapatrié et de bons de transport, ils peuvent repartir vers leur domicile.

« Là, l’individu hébété que j’étais s’est imaginé d’avoir avalé son extrait de naissance, il s’est imaginé d’être conduit par un ange blanc de la Croix Rouge Française devant le concierge du paradis. Je ne savais plus où j’étais, je me pinçais pour savoir si c’était vrai, pour savoir si j’étais vivant. »

Paul Vignaud à son arrivée à la gare d’Orsay

La gare d’Orsay au printemps 1945 : théâtre du retour des rapatriés
Premier trimestre 1945 : les troupes nazies sont prises en étau par l’Armée rouge à l’Est et par les armées américaine, britannique et française à l’Ouest. Les territoires annexés par le Troisième Reich, puis l’Allemagne elle-même, passent sous le contrôle des Alliés, entraînant la libération progressive de millions d’hommes et de femmes. À partir d’avril, les principaux camps de concentration et d’extermination sont découverts et, dans le chaos, les survivants errent alors à pied ou en train.
Près de deux millions de ressortissants sont attendus en France : environ 950 000 prisonniers militaires, 500 000 travailleurs requis du Service du Travail Obligatoire, 300 000 Alsaciens-Lorrains enrôlés de force sous l’uniforme allemand, 50 000 rescapés des camps ou des Kommandos (déportés politiques, résistants et « raciaux », parmi lesquels 3 500 Français juifs). Avec l’aide des forces alliées et des moyens attribués par l’armée américaine, le Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés (PDR), dirigé par Henri Frenay, et le Ministère de la Guerre, organisent une gigantesque opération de rapatriement et de réintégration à la vie nationale. Hormis les personnes malades transportables et des responsables politiques évacuées par avion, les « PDR » qui se trouvent à l’Ouest, doivent gagner des points de rassemblement en Allemagne, traverser la Belgique et les Pays-Bas, et emprunter les trains affrétés dans des gares proches de la frontière (Douai, Cambrai, Reims, Lunéville, Belfort) qui les mèneront à Paris. Ceux qui ont bénéficié de l’avancée de l’Armée rouge à l’Est arrivent à Marseille par bateau.
Plusieurs centres de transit ou d’accueil sont ouverts à Paris pendant quatre mois : les cinémas Gaumont-Palace et Grand-Rex, la piscine Molitor, la caserne de Reuilly, le Vélodrome d’Hiver, le lycée Michelet, ainsi que la gare d’Orsay. La condition physique, à la limite de la survie, et la détresse matérielle des déportés occasionnent une prise en charge spécifique : certains sont conduits à l’hôtel Lutetia.

La Douleur
Au printemps 1945, à l’Est du Rhin, anciens prisonniers de guerre, déportés, réfugiés, du nom du ministère qui organise leur retour, sont sur les routes et se dirigent vers la France. On les désigne également par les mots de « rescapés », de « survivants » et même de « revenants », des termes qui évoquent explicitement leur expérience personnelle du système concentrationnaire nazi.
C’est à partir du mois d’avril, lorsque la presse diffuse des reportages sur la découverte des camps, que la réalité de la barbarie nazie est progressivement comprise par ceux qui attendent, parfois depuis près de cinq années, leurs « absents ». Chaque jour, dans la rubrique « Le retour des absents », la presse régionale publie les noms des enfants du pays dont on a retrouvé la trace, afin d’avertir les proches de leur retour. À la gare d’Orsay, comme dans les autres centres d’accueil et d’hébergement, à chaque arrivée de rapatriés, « chacun vient là avec l’espoir de voir arriver le ‘‘sien’’ », comme le rapporte un journaliste de l’agence photographique Keystone.
Les acteurs de ces moments passés par la gare d’Orsay sont nombreux et divers : des hommes et des femmes, des adultes et des enfants. Ils sont Français hexagonaux et des colonies, étrangers ; soldats et hommes politiques ; membres de l’administration publique, bénévoles d’associations ; artistes, écrivains, photographes… D’eux, il ne reste aujourd’hui que quelques images et des récits. Leur mémoire est devenue notre histoire.

Le doux baiser de la France
Si une partie des rapatriés revient en France par avion, bateau, camion ou à pied, l’écrasante majorité prend le train. Le réseau ferroviaire étant partiellement désorganisé, cela nécessite de les faire transiter par la capitale avant de leur faire prendre un nouveau train qui les ramènera chez eux.
La SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer Français) passe commande auprès du photographe Willy Ronis afin de témoigner des efforts de l’entreprise et de ses cheminots. Ronis a à son actif de nombreux reportages parus dans la presse illustrée et progressiste d’avant-guerre. Fils d’immigrés juifs, il s’est réfugié en zone libre pendant l’Occupation pour ne pas porter l’étoile jaune.
Début avril, muni de son Rolleiflex, un appareil au format carré dont le large viseur lui permet de travailler la composition, Ronis suit durant quelques jours le parcours de rapatriés du centre d’accueil de Longuyon (proche de la frontière de la Belgique, du Luxembourg et de l’Allemagne) et de celui de Revigny-sur-Ornay dans la Meuse, jusqu’à Paris. Des arrêts multiples du train, notamment à Metz, de l’arrivée des camions au centre d’Orsay puis des transferts dans les gares de l’Est et de Montparnasse, Ronis retient essentiellement les gestes d’amitié, les corps fiers, les expressions joyeuses des visages. Sans spectaculaire, avec une simple contreplongée ou par un plan rapproché, il magnifie les hommes et les femmes qu’il rencontre.

Le Centre d’accueil
Au cours du mois d’avril, un photographe de l’Agence France-Presse documente le circuit suivi par les rapatriés lors de leur arrivée à la gare. L’Agence a tout juste quelques mois d’existence : le 20 août 1944, l’immeuble parisien qui hébergeait l’Office Français d’Information, créé par le régime de Vichy et devenu officine de propagande de l’occupant, avait été pris d’assaut par un groupe de reporters clandestins. Ces résistants annonçaient par ce geste la renaissance d’organes de presse libres.
La vérification de l’identité des rapatriés est minutieuse, car des collaborateurs, des miliciens et des espions allemands ont pu s’infiltrer. Ils sont ensuite désinfectés, passent une visite médicale (les plus contagieux sont dirigés vers un hôpital), lavés, nourris, blanchis. Ils se font remettre un paquet de tabac, des coupons alimentaires et des billets de transport pour regagner leur éventuel foyer, munis d’un modeste pécule calculé en fonction de leur statut. En moins de deux heures, tout est censé être réglé.
Les prises de vue de l’AFP, composées en plan moyen, décrivent chaque station par laquelle transite le rapatrié, ainsi que les nombreux personnels impliqués : bénévoles (scouts, infirmières), militaires (médecins), agents du Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, employées des Postes, Télégraphes et Téléphones. Le reportage vise à mettre en valeur l’efficacité de l’organisation et la satisfaction des rapatriés, conscients d’être photographiés. Si la presse est émancipée à cette date, les images produites ici sont clairement au service du pouvoir politique.

La Liberté
Compte tenu de l’immensité de la tâche, transporter en quelques mois deux millions d’anciens captifs et les réinsérer, le Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés invite dès la fin 1944 tous les Français à participer à l’effort national. Un immense élan de générosité se manifeste sur tout le territoire à travers bénévolat, aide matérielle, don d’argent et soutien affectif. Ainsi, dans chaque gare traversée par les convois de trains en provenance de la frontière allemande une fanfare locale est présente, on offre à boire et à manger, on tend des bouquets de fleurs aux « revenants ».
Très vite pourtant après l’euphorie vient le temps du désarroi. Les rapatriés sont confrontés à des traitements administratifs tatillons, s’inquiètent de la forme que prendront les retrouvailles avec les proches. Ils découvrent aussi l’image ambivalente qu’ils ont auprès de la population civile. Les prisonniers apparaissent moins comme héros que comme victimes expiatoires de la défaite de 1940 ; les requis du Service du Travail Obligatoire sont suspectés de compromission ; les rescapés des camps ne parviennent pas à partager avec leurs compatriotes la mesure de l’assassinat industriel d’êtres humains.
Envoyé par le Service cinématographique des Armées, l’opérateur militaire Jean-Jacques Tourand saisit avec empathie la dispersion des rapatriés quittant le centre d’Orsay. Certains embarquent dans des véhicules mis à leur disposition, d’autres partent à pied, pour rejoindre un centre d’hébergement temporaire ou une gare qui les ramènera en province. Avec ces hommes anonymes, engoncés dans leur uniforme défraichis, encombrés par leur barda de couvertures et de valises en carton, dont se détache parfois une figure, ces clichés révèlent l’envers cruel du spectacle.

Le Millionnième
Alors que l’Allemagne nazie s’effondre, des centaines de milliers d’individus libérés se retrouvent sur les routes. Pour qu’ils ne gênent pas la progression des convois militaires, l’US Army Air Force utilise à partir du 11 avril 1945 ses avions de transport pour les rapatrier. Objectif : déposer sur le sol français 8 000 hommes par jour puis redécoller pour apporter ravitaillement et matériel vers les zones de combat. Le 1er juin, un Douglas C-47 Dakota dépose sur le tarmac de l’aérodrome du Bourget Jules Garron et une soixantaine d’anciens captifs. Sous un déploiement de drapeaux et au son des hymnes militaires, celui que l’on désigne comme le millionième rapatrié, et que l’on salue au nom de tous les prisonniers, est accueilli par les généraux des quatre armées alliées.
Le cortège composé de motocyclistes, de voitures des Alliés et des Actualités cinématographiques traverse Paris sous les acclamations de la foule, invitée à ce rendez-vous patriotique par des tracts lancés par avion. On offre à Jules Garron fleurs, cigarettes, vin et pain. On l’embrasse. Puis, escorté jusqu’à la gare d’Orsay, il est confié aux autorités françaises. Cette mise en scène, orchestrée par le Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, doit montrer l’étroite coopération entre l’état-major interallié et le gouvernement français dans l’organisation de la plus grande migration humaine de l’histoire du pays. Le ministre Henri Frenay y prononce ces mots : « La France n’oubliera pas le dévouement dont ont fait preuve les admirables équipes des armées alliées qui ont dû garder, soigner, alimenter, transporter ces millions d’hommes appartenant non seulement à la France mais encore à toutes les nations alliées ».

Cette présentation rassemble 18 objets originaux (tirages photographiques d’auteur, planches contact, correspondance, magazines, cartes de rapatrié), des reproductions d’images (négatifs, affiches, articles de presse), un extrait de film en couleurs, ainsi qu’un extrait radiophonique qui laisse entendre la voix du millionième rapatrié.

Elle bénéficie des prêts de la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, de l’Institut national de l’audiovisuel, de La Contemporaine, de l’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense, de l’Agence France Presse, du Musée de la Libération, des Archives départementales des Hauts-de-Seine, des National Archives de Washington, du Musée de la Libération de Paris – musée du Général Leclerc – musée Jean Moulin, de de Gamma Rapho Keystone, et du Musée d’Orsay.

Cette exposition est labellisée dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Libération.

Dates

2 Avril 2025 9 h 30 min - 15 Juin 2025 18 h 00 min(GMT+00:00)

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