Juin, 2021

La photographie et ses dérives II

sam05jui(jui 5)14 h 00 minsam17jul(jul 17)19 h 00 minLa photographie et ses dérives IIExposition collectiveL’Espace d’art Chaillioux Fresnes 94, 7 rue Louise Bourgeois 94260 Fresnes

Détail de l'événement

Pour conclure la première année d’activités en ces lieux, en novembre-décembre 2018, nous avions proposé une exposition intitulée La photographie et ses dérives. Dans le catalogue de cette manifestation, nous soulignions le caractère non exhaustif de la vision proposée par les huit photographes alors exposés. Ce deuxième volet se propose de poursuivre ce voyage dans l’univers de la création photographique, en empruntant des chemins de traverse, sans pour autant épuiser le sujet.

Cette fois-ci, nous présentons les travaux de six photographes qui ont une pratique non conventionnelle de leur médium, qui le détournent de son usage habituel. Ce sont quelques-unes de ces nouvelles dérives – toujours non exhaustives – que les visiteurs sont invités à découvrir à travers des travaux dont la diversité devrait les surprendre et les convaincre de la richesse d’un médium trop souvent méprisé ou sous-estimé.

Comme nous l’écrivions en 2018, c’est la présence de sens dans les œuvres qui nous a fait choisir les six plasticiens dont les travaux sont exposés. Chacun d’entre eux, à sa manière, réussit à arracher le médium photographique à son ghetto traditionnel de représentation prétendument objective de faits visuels, à en finir avec cette fatalité d’aliénation historique et sociale, pour, à l’instar des autres médiums plastiques, en faire un outil d’investigation et de remise en cause de notre monde. Pour reprendre les mots de Barthes : « il s’agit de produire – par une recherche difficile – un signifiant qui soit à la fois étranger à l’art (comme forme codée de la culture) et au naturel illusoire du référent. » Signifier plutôt que représenter…

Les six artistes que nous présentons illustrent un spectre très large des pratiques photographiques contemporaines : photocollage chez Philippe Chardon, imbrication de la photographie et de la peinture chez Georges Dumas, création d’univers oniriques par détourage et superpositions d’images chez Catherine Larré, dépigmentation par grattage de la surface du tirage chez Aline Isoard, volonté de contrer le caractère multiple de la photographie chez Pilar du Breuil, recours aux techniques de la préhistoire de la photographie chez Évelyne Coutas.

Les photocollages de Philippe Chardon exhalent la bonne humeur et une vision positive, ludique et souvent hilarante du monde. Là où d’autres ne voient que tourments et souffrance, il apporte sa vision exprimée avec des couleurs et des images qui pourraient servir d’illustrations pour les aventures d’Alice de l’autre côté du miroir ou pour les explorations d’autres fureteurs de rêves colorés qui, s’ils ont les pieds sur terre, ont souvent la tête dans les nuages. Mais il ne faut pas se leurrer, s’il procède ainsi ce n’est pas par inconscience. Bien au contraire, son pseudonyme est là pour nous rappeler qu’il veut nous piquer, nous rappeler que les plus belles choses peuvent irriter et contenir une dimension tragique. Il développe ainsi une pédagogie à l’opposé du dolorisme, visant à nous faire prendre conscience des aspects douloureux de notre monde par des voies dénuées de toute emphase, de tout pathos.

Évelyne Coutas ne cesse d’expérimenter les frontières de la pratique photographique et ses relations avec la peinture et le dessin. Pour ce faire, elle n’hésite pas à revenir à la préhistoire de la photographie, aux clichés pris sans caméra ni objectif. Ses photogrammes sont réalisés à la lumière pure, que ce soit celle de la pleine lune ou des étoiles, plus ou moins parcimonieusement mêlée à l’éclairage artificiel résultant de l’industrie humaine. Elle peut aussi recourir au miel comme support sensible, tout comme ses ancêtres utilisaient le bitume. Elle pratique aussi l’anthotype – plus rudimentaire que le cyanotype, ces deux techniques datant de 1842 – en créant des images à partir de matériel photosensible de plantes. Devant ses travaux, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec les Anthropométries d’Yves Klein, réalisées avec des pinceaux vivants. La technique est réduite à son essentiel. L’éphémère et la transformation incessante sont au cœur des préoccupations d’Évelyne Coutas. Elle cultive le flou et l’indétermination comme méthode pour susciter des interrogations chez le spectateur, provoquer le doute, donner le vertige…

Les travaux de Georges Dumas échappent à toute classification. Dans ses paintographies, son matériau de départ est une prise de vue numérique qu’il traite informatiquement. Il pétrifie ses sujets dont les poses sont le plus souvent inspirées par la statuaire antique ou classique. Il leur appose aussi des petites marques carrées qui font penser aux repères que certains sculpteurs sur pierre ménagent sur leurs ébauches ou aux traces laissées par des échafaudages sur des ouvrages monumentaux. Les images retravaillées sont alors imprimées sur toile puis reprises à la peinture acrylique avec des glacis qui évoquent le travail de la laque. Les petits carrés sont alors complétés avec des ajouts de pigment qui leur donnent du relief. Les images de Georges Dumas matérialisent plusieurs ambiguïtés paradoxales. Tout d’abord l’opposition entre l’instantané, habituellement associé à la prise de vue photographique, et le long processus mis en œuvre pour aboutir au résultat souhaité. Mais aussi entre la vitalité des sujets saisis dans un présent fugitif et leur traitement qui les pétrifie, les monumentalise et leur confère cette immuabilité atemporelle que Sartre développe dans L’Être et le néant.

Aline Isoard se définit ironiquement en tant que photographe gratteuse. Sa technique est complexe et minutieuse. Elle prend des clichés photographiques, les travaille sur son ordinateur, puis les imprime en haute résolution avant de se livrer à un travail de dépigmentation de certaines plages en ôtant l’encre des parties qu’elle juge inintéressantes ou de nature à nuire à l’équilibre de sa composition. Les photographies sont prises depuis le siège du passager à l’avant d’une automobile à l’arrêt ou roulant. La position dans l’habitacle d’un véhicule offre plusieurs points de vue, en avant, en arrière ou latéralement, à travers les fenêtres que sont le pare-brise, la lunette arrière, les rétroviseurs et les portières. Le travail de grattage élimine l’essentiel des autres détails, ne laissant subsister que quelques traces du tableau de bord, du monogramme, des vignettes ou du volant, juste pour rappeler le contexte de la prise de vue. Dans ces prises de vue, les apparitions fugaces et inattendues cherchent à être des témoins et non des voyeurs. La présentation linéaire des images incite aussi le visiteur à une déambulation dynamique en contrepoint au déplacement du véhicule, pour construire une narration dont la clé d’interprétation lui appartient.

Les productions de Catherine Larré se situent aux antipodes de la grandiloquence de certains courants de la photographie contemporaine qui veulent faire de cet art un digne successeur du genre de la grande peinture d’histoire. Catherine Larré collecte des images, souvent de sujets insignifiants, qu’elle archive pour former un catalogue dans lequel elle puise la matière première pour ses compositions. Elle y choisit des clichés, les détoure, les découpe, les altère, les colle, les superpose, les projette, les suspend pour constituer de fragiles et subtiles constructions qu’elle photographie. Dans les œuvres résultantes, baignées dans une atmosphère simultanément onirique et menaçante, il est souvent question d’enfance, de fluides, de dissolution des images, de perméabilité entre la réalité et la fiction. Elles illustrent pleinement le concept freudien d’Unheimliche, cette inquiétante étrangeté, ce malaise né d’une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne. Au-delà de l’apparente joliesse de ses clichés, Catherine Larré laboure des terres plus profondes, nous parle de mort et de résurrection, de disparition et de réapparition, de transformation, de destruction et de reconstruction, de renouvellement et de perpétuation… Tous thèmes relatifs au cycle de la vie et de la mort qui sont au cœur de la réflexion des grands mystiques…

Après s’être intéressée à des sujets à caractère social – prostitution, solitude, souffrance, racisme, féminisme, lieux désaffectés, peur de l’avenir… –, Pilar du Breuil s’est récemment penchée sur des peintres majeurs de l’histoire de l’art : Caravage, Rembrandt et Goya. Il ne s’agit pas de relectures des travaux de ces grands maîtres, mais d’une immersion dans leur art. Dans ces séries, elle abandonne la notion de tirages multiples pour faire de chacune de ses œuvres une pièce unique, intervenant avec des dentelles, du crochet, des tulles, des fils de laine et de la peinture acrylique… Elle remet ainsi en cause la notion, développée par Walter Benjamin, de reproductibilité technique qui a longtemps prévalu dans le domaine de la photographie afin de lui redonner toute son aura perdue.

Philippe Chardon – Évelyne Coutas – Georges Dumas – Aline Isoard – Catherine Larré – Pilar du Breuil

Photo : © Catherine Larré

Dates

Juin 5 (Samedi) 1 h 00 min - Juillet 17 (Samedi) 6 h 00 min(GMT-11:00)