Septembre, 2025

Robert Doisneau

ven19sep(sep 19)13 h 30 min2026dim15fev(fev 15)18 h 30 minRobert DoisneauGentillyMaison de la Photographie Robert Doisneau, 1, rue de la Division Général Leclerc 94250 Gentilly

Détail de l'événement

Photo : Les Deux Garagistes [Les frères Boyer], avenue Pasteur, Gentilly, mai 1990
© Atelier Robert Doisneau

Au moment où la grande rétrospective « Robert Doisneau, Instants donnés » du musée Maillol ferme ses portes (le 12 octobre), la Maison de la Photographie Robert Doisneau présente un projet dévoilant le travail réalisé tout au long de sa carrière par Robert Doisneau sur sa ville natale, Gentilly.
Présentée du 19 septembre au 15 février, cette exposition propose un ensemble de 76 épreuves, dont de nombreuses tirées par Robert Doisneau lui-même, la plupart inconnues du grand public voire inédites.
Cette exposition et le livre qui l’accompagne rendent hommage à un projet inachevé sur Gentilly sur lequel Robert Doisneau travaillait avant son décès en 1994.
Se pencher sur les photographies réalisées par Robert Doisneau à Gentilly, c’est aborder un véritable cas d’école. L’histoire de ces images s’ouvre dans ce coin de banlieue parisienne qui l’a vu naître et s’y referme soixante ans plus tard, à l’issue d’un parcours photographique exceptionnel par sa richesse et sa longévité. Bien que profondément lié à Gentilly et à la banlieue populaire parisienne, son travail ne s’y limite pas. Doisneau a souvent été qualifié de « photographe de banlieue » ou « d’amoureux de la banlieue », des étiquettes réductrices qui simplifient son rapport complexe à ce territoire. Il serait plus exact de parler ici d’un ancrage biographique, affectif et artistique, alliant familiarité et distance critique.
Si Robert Doisneau choisit très tôt de porter son regard sur la banlieue populaire de Paris, c’est d’abord parce qu’il en connaît intimement les lieux, les rythmes et les visages. Mais il sait aussi combien cet espace demeure en marge des représentations, combien il est ignoré et délaissé. C’est dans cet esprit qu’il entreprend, dès les années 1940, ses premières photographies consacrées à ce territoire.
Quarante années séparent le premier ensemble d’images exposées ici des ultimes prises de vue réalisées par Robert Doisneau à Gentilly dans les années 1980. La ville s’est profondément
transformée au fil de ces quatre décennies.
Cette banlieue de « glaise » qu’évoquait l’enfance de Robert Doisneau, où proliférait la tuberculose, où l’accès à l’eau courante demeurait un luxe, ne présente plus le même visage. Résidant depuis longtemps à Montrouge, la commune voisine, Doisneau a été témoin direct de cette métamorphose qui s’inscrit dans un large mouvement touchant l’ensemble des villes de la banlieue parisienne.
En 1992, alors que Gentilly célèbre en grande pompe les 80 ans de Robert Doisneau, l’équipe municipale et le photographe évoquent de manière informelle un projet de livre et une exposition rassemblant les images qu’il a prises dans la ville. On envisage de présenter l’exposition dans la future « Maison de la photographie Robert Doisneau ». Mais Doisneau ne voit pas l’aboutissement de ce projet : il s’éteint en 1994, alors que la maison n’a pas encore ouvert ses portes.
Des centaines de négatifs conservés à l’Atelier Robert Doisneau à Montrouge permettent de retracer l’histoire de ces images. Des tirages, dont beaucoup réalisés par Doisneau lui-même, indiquent qu’un premier travail de sélection avait été amorcé. Mais nous ne saurons jamais si ce travail était considéré par Doisneau comme achevé ou encore en cours. La présente exposition ainsi que l’ouvrage qui l’accompagne rendent hommage à ce projet inabouti, à cette exploration d’un territoire qui fut à la fois origine, matière et miroir pour le photographe.

Michaël Houlette,
Directeur de la Maison Doisneau

A l’endroit où l’histoire commence
Doisneau et Gentilly

Robert Doisneau naît à Gentilly en 1912, au 21 avenue Raspail (aujourd’hui le n°39, l’immeuble porte depuis 1996 une plaque commémorative qui le signale). Sa famille maternelle appartient à la petite bourgeoisie locale : son oncle, Auguste Gratien, deviendra maire de Gentilly puis conseiller général et enfin député de la circonscription. Sa mère décède alors qu’il n’a que 8 ans. Il n’a fait connaissance de son père que quelques temps auparavant, à son retour du front. C’est ce père remarié qui élève Robert. Les souvenirs que Doisneau conserve de cette période sont empreints d’une sorte de mélancolique lucidité : Gentilly représente pour lui « une enfance grisâtre dans une banlieue de plâtre mou ».
Le décor de son enfance, partagé entre l’immeuble bourgeois où il grandit et les terrains vagues où il s’invente librement, à l’écart des normes, sera plus tard décrit par Doisneau comme une sorte de désordre, confus et pathétique. La ville de Gentilly, à l’instar des autres communes populaires de la périphérie, s’affiche sans cohérence architecturale, sans temporalité définie. Si ce n’est son église gothique ou sa mairie, elle ne présente pas de monuments remarquables. Elle donne plutôt à voir une compilation de manufactures (celles qui bordent la Bièvre notamment) et de bâtisses diverses s’imbriquant les unes aux autres sur deux coteaux opposés et au centre duquel se trouve un vaste et profond terrain vague, vestige des anciennes carrières qui sert de dépotoir aux excavations parisiennes. C’est pourtant dans ce territoire informe auquel il est attaché malgré tout, que se cristallise l’intérêt photographique de Doisneau pour la banlieue.

L’attention portée à la périphérie
La banlieue de Paris

Observer le monde et lui donner forme par la photographie, c’est d’abord le questionner. C’est une manière de penser le réel, de le contempler avec attention pour mieux en révéler le sens. Dans les années 1940, Robert Doisneau accumulent les photographies prises dans les banlieues populaires parisiennes dont quelques-unes à Gentilly. Ce travail, d’abord mené seul, trouve par la suite un écho remarquable à travers sa collaboration avec Blaise Cendrars et la parution, en 1949, du livre La Banlieue de Paris.
En couverture de l’ouvrage figure un photomontage de Doisneau réunissant deux de ses clichés : d’un côté, une vue emblématique de la tour Eiffel ; de l’autre, les HBM (Habitations à Bon Marché) du « 162 » rue Gabriel Peri de Gentilly, avec, en contrebas, la pente terreuse du grand terrain vague transformée en circuit de cyclo-cross. La juxtaposition de ces deux images peut surprendre : elle ne repose ni sur une continuité géographique réelle, ni sur un point de vue plausible. Dans cette composition, le symbole par excellence de la grandeur parisienne, chef-d’oeuvre d’ingénierie et vitrine du prestige national, surgit à l’arrière-plan, derrière les logements populaires, derrière la foule anonyme. Deux mondes s’opposent ainsi : d’un côté, la monumentale affirmation de Paris, capitale des arts, de l’industrie et de l’économie ; de l’autre, le quotidien modeste de la banlieue, celui des ouvriers et employés, spectateurs massés devant les barres d’immeubles fonctionnelles qui leur sont destinées ; cette population sans laquelle, pourtant, la réussite parisienne ne serait qu’un mirage. En montrant cette part méconnue et cachée de la vie au-delà de la zone, les photographies de La Banlieue de Paris procède à un rééquilibrage social : elle souligne cette interdépendance entre la Capitale et sa banlieue, entre un centre glorifié et une périphérie laborieuse que tout semble opposer en apparence mais que tout, dans les faits, relie en profondeur.

La ville transformée
Un regard critique

Un des moments marquants qui lie Robert Doisneau à la banlieue parisienne se situe entre 1984 et 1989. À cette période, il fait partie des douze photographes sélectionnés par la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) pour documenter les paysages français. Cette commande Doisneau choisit justement de la consacrer à la petite couronne parisienne et à quelques villes nouvelles plus éloignées. Les images qu’il livre viennent bousculer les clichés (« photographe du noir et blanc », « photographe humaniste ») que journalistes, critiques et historiens s’étaient habitués à lui accoler. Elles montrent délibérément une forme de déshumanisation soulignant la standardisation, la démesure des barres d’immeubles et la place prépondérante laissée à la circulation automobile.
Certaines de ces photographies réalisées pour la DATAR sont prises à Gentilly. Les vastes ensembles d’HLM (Habitations à Loyer Modéré) des quartiers Frileuse, Reine Blanche, Chaperon Vert et Victor Hugo, érigés dans les années 1950 et 1960 pour répondre aux besoins de la population, ont transformé la commune. Pour illustrer son changement d’échelle et sa densification, Robert Doisneau monte parfois sur les toits des tours afin d’adopter un point de vue surélevé, inédit. À la logique des grands ensembles, il répond par une vision d’ensemble où blocs, rues, places et espaces verts s’organisent selon une géométrie presque abstraite.
L’église Saint-Saturnin de Gentilly, qu’il photographie à de multiples reprises, joue dans cette série puis, plus tard, à l’occasion de nouvelles déambulations, un rôle de motif à la fois visuel, historique et symbolique. Sa flèche fine, élancée vers le ciel, tranche avec l’orthogonalité rigide et fonctionnelle des immeubles qui l’enserrent. Elle apparaît comme un motif anachronique, peut-être une forme de résistance : non pas un simple vestige du passé mais un contrepoint discret à un monde moderne nécessaire, certes, mais singulièrement dénué de poésie aux yeux de Doisneau.

Les déambulations dans la ville
Les prémices d’un projet

À la fin des années 1980, un rapprochement s’opère entre Robert Doisneau et la municipalité de Gentilly. Le photographe revient régulièrement
sur les lieux de son enfance qu’il parcourt de manière plus systématique. Il vient alors d’achever un travail de longue haleine sur la ville de Saint-Denis, commandé pour son musée d’art et d’histoire, dont il est satisfait. Émerge alors l’idée d’un projet similaire à Gentilly : un livre qui montrerait la ville telle qu’elle est devenue mais aussi un livre sur ceux qui l’habitent et y travaillent.
Sans commande explicite et avec une grande liberté, Robert Doisneau photographie de 1989 à 1991 les gentilléens dans leur quotidien. Peu à peu, se tisse un lien de proximité, au point d’être simplement appelé par son prénom, « Robert », par de nombreuses personnes qu’il rencontre. Gentilly abrite encore des petites entreprises et des ateliers d’artisans qu’il visite avec curiosité. Il participe aux fêtes locales, aux cérémonies, aux instants de la vie communale. En pénétrant dans les cours d’immeubles, en s’attardant devant les pavillons et en photographiant les occupants, Doisneau voit certainement resurgir, par fragments, des souvenirs d’enfance, une mémoire ouvrière et petite-bourgeoise peut-être mais désormais atténuée, parfois méconnaissable. Il est difficile de dire quelles réminiscences précises ces lieux ravivent en lui alors qu’il les explore à nouveau, à des années de distance.

Photographier les autres
Un rapport humain avant tout
Quelle que soit l’époque, Robert Doisneau demeure un homme profondément ancré dans son temps et dans l’action, fidèle à une manière constante de percevoir le monde et de regarder ses semblables. L’une des constantes que l’on retrouve dans de nombreuses photographies de Doisneau mettant en scène des personnes réside dans la relation manifeste qu’il établit avec autrui, une relation dont la qualité humaine transparaît avec clarté, notamment dans les photographies prises dans les années 1980.
Doisneau possède cette rare capacité à tisser un lien, discret ou plus affirmé, parfois éphémère mais toujours sincère, avec ses sujets. Dans différents entretiens, Doisneau explique que pour photographier des personnages dans un bistrot, il faut d’abord consommer comme n’importe quel autre consommateur. Cette recommandation, traduit une philosophie de la discrétion : se fondre dans le décor, adopter le même niveau, devenir un semblable parmi les semblables. Il ne s’agit pas seulement de se faire accepter mais d’instaurer une proximité authentique. C’est avec une même attention courtoise, une absence totale de posture, qu’il réalise dans Gentilly, entre 1989 et 1991, un
travail patient et modeste : malgré sa renommée alors bien établie, il réalise, trois années durant, des centaines de prises de vue, toujours animé par ce désir de rencontrer l’autre à hauteur d’homme.
L’autre fait remarquable chez Doisneau est aussi cette culture de la spontanéité. Photographe-marcheur, il arpente les villes prêt à capturer les formes que l’imprévu vient poser devant lui. Il se rend disponible à l’événement, un appareillage léger à la main (un boitier, parfois quelques objectifs, rien d’autre), toujours prêt à revenir sur les mêmes lieux, à scruter encore et encore une scène déjà vue, parfois maintes fois photographiée. Doisneau pratique ainsi un art singulier de la répétition. Non pas pour figer une image, mais pour mieux saisir celle qui semblera la plus spontanée, la plus naturellement surgie et par conséquent, la plus significative à ses yeux.

Michaël Houlette
Directeur de la Maison Doisneau

Dates

19 Septembre 2025 13 h 30 min - 15 Février 2026 18 h 30 min(GMT-11:00)

Maison de la Photographie Robert Doisneau

1, rue de la Division Général Leclerc 94250 GentillyEntrée Libre. Ouvert du mercredi au vendredi : 13h30 - 18h30 et le samedi et dimanche : 13h30 - 19h Dermée les jours fériés

Maison de la Photographie Robert Doisneau

Get Directions