Septembre, 2022

Thomas Jorion

jeu29sep(sep 29)12 h 00 minsam19nov(nov 19)19 h 00 minThomas JorionNo Man's TimeGalerie Esther Woerdehoff, 36 rue Falguière, 75015 Paris

Détail de l'événement

Le photographe Thomas Jorion ajoute avec la série « No Man’s Time » un chapitre à un corpus remarqué. Ce travail sur la ruine nous invite à nous interroger devant le sublime de lieux dont l’histoire ne se lit plus que dans leur étiolement et leur abandon. Dévorés par la nature environnante, les palais, cinémas, usines sont des memento mori qui nous proposent un voyage dans lequel se lient plusieurs trames temporelles.
La ruine devient le centre d’une réflexion plus large sur notre rapport à notre environnement et à notre histoire commune.

L’exposition No Man’s Time présente une série particulière du travail de l’artiste, les ruines photographiées à la chambre grand format sont ici des constructions souvent démesurées qui n’ont jamais été achevées. À l’instar d’un réacteur nucléaire grand ouvert sur le ciel leur fonction transparaît en creux, ou laisse le spectateur face à une ambition architecturale sans conclusion.

Les lieux, passés de chantiers à ruines, sont aussitôt imaginés et aussitôt abandonnés. À la nature tentaculaire, s’offre le béton contemporain de lieux qui n’ont pas plus d’histoire que leur conception, nous invitant à penser notre rapport à l’empreinte que laisse notre génération sur le monde que nous habitons.

Pour la première fois, Thomas Jorion dévoilera un travail inédit de sculptures inspirées par ces lieux en dialogue avec onze photographies grand formats. La sculpture est l’occasion pour l’artiste de saisir une forme dans l’espace et de donner corps à sa matière privilégiée : le béton. Les monolithes explorent divers aspects de ce matériau notamment celui d’enregistrer des images photographiques.

Un travail exposé à la galerie Esther Woerdehoff à Paris du 29 septembre jusqu’au 19 novembre qui donnera lieu à une programmation spéciale comprenant un vernissage le jeudi 29 septembre et une table ronde en présence de Bruce Bégout chercheur et spécialiste de la ruine contemporaine qui signe le texte de l’exposition et des visites commentées tout au long de la présentation. Parallèlement à l’accrochage de ce travail inédit, une vingtaine de tirages grands format de la série « Veduta » seront exposés à quelques pas de la galerie dans l’espace Roche Bobois avenue du Maine.

Adieu les ruines ?

Depuis deux siècles, l’explosion démographique mondiale s’est accompagnée d’une croissance exponentielle de constructions en tous genres. Il a fallu bâtir encore et encore, aux quatre coins de la Terre, pour loger ces milliards de nouveaux êtres humains. Mais cette situation a surtout conduit à édifier, le plus souvent dans l’urgence et l’absence de planification, des bâtiments peu solides et non pérennes. Aussi la modernité s’est-elle caractérisée par une expansion sans précédent de la construction et, dans le même temps, de la fragilisation accélérée de tout ce qui s’est construit dans la précipitation. Il existe de nombreuses raisons qui peuvent expliquer l’apparition des ruines : des raisons naturelles, politiques et économiques. Mais si l’on met de côté les événements hasardeux (catastrophes naturelles, guerres, etc.), on se rend compte que la plupart des ruines actuelles, à savoir des ruines des bâtiments construits depuis le début de la révolution industrielle, se dégradent d’elles- mêmes sans l’intervention d’une cause destructrice extérieure. L’abandon lui-même ne résulte pas d’un changement brutal de société ou de modèle économique, il appartient au sort inexorable de l’architecture obsolescente.

Nous vivons donc, disons depuis cinquante ans, où ce phénomène s’est accéléré, le paradoxe d’une propagation des ruines des constructions récentes et de leur disparition annoncée. Le globe se couvre sans cesse de nouveaux bâtiments désaffectés, et ceux-ci, loin de durer comme les ruines antiques ou médiévales, se détériorent si vite qu’ils ne laissent plus place qu’à des décombres informes.

Peut-être est-ce ce moment inédit dans l’histoire qui explique l’enthousiasme contemporain à parcourir les friches industrielles et les bâtiments délaissés de la modernité ? Les adeptes de l’exploration urbaine se pressent vers ces lieux avec le pressentiment obscur que ces derniers vont bientôt disparaître et qu’ils constituent de facto la dernière génération des véritables ruines. Dès lors, ce n’est pas tant le passé que ces explorateurs cherchent ici à contempler mais le futur, celui de la programmation de l’obsolescence de l’architecture contemporaine. Il s’agit pour eux de voir, avec l’état d’esprit du tourisme de la disparition, les derniers vestiges d’une époque vouée à l’oubli. Ils s’appliquent ainsi à repérer, visiter et archiver ces lieux qui, à la fois, prolifèrent partout et exhibent leur extrême précarité historique. Car ce n’est pas la ruine qui constitue l’état de choses central de la modernité, son cœur ardent et générateur, mais les gravats, ce qui succède à la ruine et ne possède pas sa valeur.

Thomas Jorion appartient à cette génération fascinée par la disparition rapide et massive des constructions de la modernité tardive. En tant qu’artiste, il intervient au moment où le bâtiment bascule de l’état fonctionnel vers les décombres, où il forme une ruine encore visible et visitable. Dans cet entre-deux, ce qui a servi ne sert plus, mais il n’est pas encore rien. Il subsiste comme une chose dégradée et pourtant encore identifiable. Nul besoin d’esthétiser ici, d’employer les techniques de la scénographie, de la grandeur sublime ou de la dramatisation post-romantique. Cet état de chose sans fonction ni usage rapproche inéluctablement les édifices abandonnés, parfois au bord de l’effondrement, du statut des œuvres d’art. Les ruines précaires de la modernité tardive, qui renvoient à un passé pas si lointain formant encore, par bien des aspects, le socle matériel et symbolique de notre époque, exhibent, dans leur perte de fonction, leurs formes, leurs matières, leurs détails, leurs richesses visuelles, retrouvant une puissance sensible, physique, expressive que les usages antérieurs avaient masquée derrière les finalités pratiques.

Comparée à la dégradation naturelle, la ruine ne nous est donc pas étrangère. Elle est fille de nos rêves et de nos besoins, elle est le résultat d’une quête de sens qui se niche au cœur de nos existences. D’un point de vue matériel, elle est certes dépendante de la nature qui détruit tout, mais, face à l’obstination des ruines, la nature destructrice s’avère impuissante en raison de son absence de but. A l’inverse, la ruine comme symbole de l’impuissance humaine, voire de son impéritie coupable, résiste à la néantisation, et, en fin de compte, son impuissance face au temps et à la nature se retourne en puissance d’affirmation d’une volonté de durer éternellement soustraite au flux destructeur.

Dans No man’s time, Jorion ausculte plus modestement les constructions abandonnées, celles qui, laissées en plan, n’ont pas connu le stade du fonctionnement, le bruit et la ferveur des utilisations quotidiennes. Dévoyés dès le départ, ces édifices subissent eux aussi la dégradation du temps, des intempéries, de la naturalisation, mais ils ne contiennent pas les traces des usages qui n’ont pas eu lieu. Ces coques vides brouillent la frontière entre le chantier et la ruine. A l’inachèvement, elles y ajoutent le désachèvement, créant des lieux étranges, aux aspects à la fois lisses et détériorés, doublement inhumains.

Dates

Septembre 29 (Jeudi) 23 h 00 min - Novembre 19 (Samedi) 6 h 00 min(GMT-11:00)

Galerie Esther Woerdehoff36 rue Falguière, 75015 ParisOuvert du mercredi au samedi, de 12h à 19h