Juillet, 2023

Carol Müller

sam01jul11 h 00 minsam04nov(nov 4)19 h 00 minCarol MüllerRetour au Snaefells : de l’imaginaire à la scienceMusée Jules Verne, 3, rue de l'Hermitage 44100 Nantes

Détail de l'événement

VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE EXPLORATION II
Carol Müller, artiste et Jacques Marteau, physicien

Le Snaefellsjökull est un volcan très célèbre en Islande, surmonté par un glacier qui lui donne sa forme si reconnaissable. Son nom signifie « montagne de neige ». Il est véritablement l’icône du pays, une sorte de mont Fuji que tous les peintres islandais ont révéré et représenté. Prophétiquement, Jules Verne en a fait la porte d’entrée de son « Voyage au centre de la Terre ». Aujourd’hui, du fait du réchauffement climatique, la physionomie du Snaefellsjökull pourrait être gravement affectée. L’objet de notre projet est de reprendre le « Voyage au centre de la Terre » pour créer une oeuvre où, s’aventurant pas à pas derrière la fiction scientifique de Jules Verne, art et science dialoguent et pensent la question du paysage à l’aune des bouleversements climatiques. En associant les techniques de tomographie par muons avec la photographie, nous créons un dispositif In-and-out dans le paysage où se révèlent la volatilité du visible et la réalité de l’invisible.
Nous entendons ainsi retendre l’axe fictionnel et temporel du récit de Jules Verne en donnant à voir les points de contact entre une appréhension scientifique du monde et une appréhension sensible.

«Nous n’avons pas cru devoir adopter un cadre invariable prévu d’avance mais bien susceptible de se plier à diverses exigences » Paul Gaimard, Voyage en Islande et au Groenland exécuté pendant les années 1835 et 1836 sur la corvette « la Recherche»

Mon travail d’artiste et de photographe porte sur la question du paysage. Dans chaque projet, il s’agit toujours de mettre en jeu l’expérience du paysage et de l’éprouver comme un territoire de conscience. Mes projets sur la Scandinavie ont appréhendé des enjeux de lumière, de climatologie et d’écologie tandis que mes recherches sur les forêts de Lettonie, de Lituanie, et sur la Russie ont touché des questions relatives aux enjeux mémoriels des territoires.
En 2019, une résidence d’artiste, à SIM, en Islande, m’a donné l’occasion d’expérimenter une nouvelle forme de rencontre avec le paysage, où la question de l’exploration photographique rejoignait celle de l’exploration scientifique.
Un lieu est à l’origine de ce renouvellement de mon approche : un volcan d’Islande, le Snaefellsjökull. Il a retenu mon attention car Jules Verne en fait la porte d’entrée de son célèbre « Voyage au centre de la Terre ». Sous la trame fictionnelle, ce roman appréhende le voyage en Islande avec les connaissances géophysiques de l’époque.
Le paradoxe veut que Jules Verne n’ait jamais mis les pieds dans ces « tristes régions ». Homme du XIXe siècle, il les envisageait même à la manière, très partagée par ses contemporains, d’un « nowhere », d’un lieu où la civilisation balbutiait face aux forces de la nature. En grand lecteur, cependant il avait assimilé une documentation précieuse : les récits des premières explorations scientifiques de l’Islande. En 1835, Paul Gaimard (responsable de l’expédition scientifique) et M. Tréhouart (capitaine de La Recherche) quittent Paris pourvus d’une double mission : d’une part, retrouver les traces de la Lilloise, le navire explorateur du capitaine Jules de Blosseville disparu, d’autre part de répondre à toutes les questions des académies de France concernant l’Islande et le Groenland alors méconnus.
Les explorateurs sont chargés de rapporter quantité d’échantillons, de mesurer les crânes, de dire s’il subsiste dans ces cavernes glacées des dinosaures vivants, si les femmes reçoivent le droit d’héritage, si les Islandais connaissent les règles d’hygiène, si leur sang coagule en hiver… physique, chimie, médecine, linguistique, anthropologie… leurs rapports d’expédition portent la marque de toutes les avancées et de toutes les inquiétudes du XIXe siècle. En plus de 1000 pages, ils dressent un panorama complet des connaissances sur cette possible Thulé.
Jules Verne a puisé allègrement dans ce matériau de premier choix pour élaborer une fiction scientifique bruissant de cette source encore fraîche. Le voyage en Islande de Jules Verne ouvre tout un laboratoire d’expérience. À distance de notre présent, il offre un creuset idéal pour éprouver les modalités d’un dialogue avec un lieu.
Le roman commence par la découverte fortuite par le professeur Lidenbrock du grimoire de l’alchimiste danois,
Arne Saknussemm qui lui révèle l’existence d’un passage vers le centre de la Terre en Islande, se poursuit par une enquête scientifique et s’achève sur des questions philosophiques. Nous voulons opérer la stricte projection contemporaine de cette trajectoire.
Notre grimoire est l’oeuvre de Jules Verne. Nous entendons activer la faille temporelle de ce fabuleux carnet de voyage pour faire dialoguer la vision de l’artiste et l’imagination du scientifique.

1/ Eprouver un lieu : le Snaefellsjökull

On a beaucoup écrit sur la fascination de Jules Verne pour les volcans et les jeux de mots mais dans « Voyage au centre
de la Terre » le choix par l’écrivain du snaefellsjökull ne relève pas de ces registres. Le Snaefellsjökull n’a rien d’un lieu fantaisiste. C’est un volcan-glacier réel, identifié comme son nom l’indique comme une « montagne de neige »
(littéralement « montagne de Neige-glacier »). Les Islandais le vénèrent, depuis des temps anciens, à la manière d’une sorte de mont Fuji. Les sagas le mentionnent comme le lieu de la disparition du dieu Bardur Snaefellsas. Sa notoriété qui, au XVIIIe siècle, dépasse les frontières du pays doit beaucoup au récit d’exploration qu’en livrèrent pour la première fois deux naturalistes autochtones, Eggert Olafson et Bjarni Palson. Bravant la traditionnelle « peur des montagnes », les deux Islandais en réalisent l’escalade en 1754 et diffusent le compte rendu extraordinaire de leur aventure. Traduit en danois, puis en allemand, en français, en anglais, l’ouvrage devient une sorte de best-seller européen qui lance la mode de l’Islande.
Une aquarelle du Snaefellsjökull attribuée à Jon Svefneyingur Olafsson accompagne ce récit. Il s’agit de la première oeuvre picturale islandaise. L’histoire de l’art islandaise commence donc avec une vue de ce volcan-glacier. Le Snaefellsjökull devient l’icône de l’Islande. Il est l’amer que tous les nouveaux explorateurs, arrivés par la baie de Reykjavik, décrivent ; il est le volcan paisible, enfoui « sous ses mamelons blancs » que tous les peintres islandais représentent. En 1874, la visite du roi du Danemark Christian IX visant à donner à l’Islande une constitution est naturellement immortalisée par une marine monumentale de Carl Frédérik Sörensen, au fond de laquelle on distingue très clairement le Snaefellsjökull. Cette oeuvre est déposée aujourd’hui dans la résidence du Premier Ministre et c’est avec pour toile de fond ce volcan-glacier emblématique que tous les moments marquants de la politique islandaise sont célébrés. Le Snaefellsjökull est bien un monument de l’Islande.
Pour suivre le Professeur Lidenbrock (littéralement le « briseur de paupière », celui qui ouvre les yeux), il faut donc d’abord monter les pentes du Snaefellsjökull. Arpenter, tel le géographe, éprouver le lieu est le premier terme de cette expédition.

2/ S’engouffrer : le projet scientifique
« Voyage au centre de la Terre » rêve d’ouvrir un passage à l’intérieur d’un volcan. Boussole, chonomètre, manomètre, thermomètre sont les instruments du professeur Lindenbrock parce qu’ils sont les outils de la géophysique du XIXe siècle. Aujourd’hui leurs variables sont intégrées à des expériences complexes. Le Physicien Jacques Marteau et -le laboratoire de l’INP2I à Lyon ont développé une technologie de pointe basée sur les propriétés des Muons, des particules de haute énergie qui se forment, à cause du rayonnement cosmique, au contact de notre atmosphère pour étudier la structure interne, dynamique et statique des volcans. Mise en oeuvre depuis 10 ans avec succès sur le volcan de la Souffrière en Guadeloupe, cette technologie expérimentale n’a jamais été éprouvée en Islande. L’idée est donc de suivre la proposition de Jules Verne pour recueillir des données d’expérience qui pourront par la suite permettre d’approcher d’autres volcans d’Islande. Voir à travers la matière est l’objet de la tomographie à Muons. On peut ainsi espérer produire des images inédites et donner une nouvelle réalité au « Voyage au centre de la Terre ».
D’un point de vue scientifique, l’expédition présente un réel intérêt puisque ce volcan célébré est ausi le plus proche de Reykjavik. Il figure dans les rapports du GIEC sur le réchauffement climatique. La fonte de son glacier summital constitue un sujet majeur de préoccupation. Actuellement, les scientifiques pensent que le glacier aura totalement disparu en 2035. Ils spéculent sur les modifications de masses qu’un tel événement ne manquerait pas de produire et sur ses conséquences quant à une possible relance de l’activité éruptive du Snaefellsjökull.
Le projet artistique nait dans la survivance à l’état de traces de l’exploration vernienne. Il s’agit tout autant de documenter les tatonnements d’une expédition scientifique, d’en écrire la mémoire, que de garder l’empreinte de la science en train de se faire. S’intéresser à ce volcan, c’est s’intéresser à une part radicalement instable et spectaculaire du paysage. En associant les techniques de tomographie par muons avec la photographie, nous créons un dispositif In-and-out dans le paysage où se révèlent la volatilité du visible et la réalité de l’invisible. L’oeuvre nous permet de repenser l’habitation d’un paysage.
Grâce à une collaboration avec le parc national du Snaefellsjökull et avec l’institut de météorologie d’Islande, un premier volet de l’expérience scientifique et artistique a vu le jour en juin 2022. Un détecteur fonctionne actuellement sur les pentes du Snaefellsjökull. Il recueille des données qui sont traitées au laboratoire de l’INP2I.
Des repérages tout autour de l’immense volcan nous ont permis de désigner de futurs lieux de prises de données, une manière de tourner autour de l’image mythique du volcan et d’enquêter sur les étonnantes applications de la physique des particules.
L’espace de proximité que partage la Muographie – puisqu’il s’agit d’impressionner un détecteur avec des particules cosmiques qui traversent la matière –avec la photographie est la marge dans laquelle s’inscrit notre collaboration.

3/ Resurgir : établir l’archive vive d’une catastrophe
« Voyage au centre de la Terre » se termine par la rocambolesque expulsion des voyageurs des entrailles de la Terre qui resurgissent sur les pentes du Vésuve. Est-il lieu plus marqué par la mémoire occidentale que le Vésuve qui ensevelit Pompéi sous ses cendres ? Jules Verne choisit ce débouché final, parce qu’il considère que le voyage dans la matière doit ramener à la civilisation. Pour l’humaniste qu’il était, enquêter sur la création du monde, c’est indubitablement se recréer en tant qu’humain. La question philosophique travaille donc aussi notre projet. Snaefells signifie « montagne de neige » et c’est ce cône blanc avec ses deux pics qui accompagne l’imaginaire islandais. Paul Gaimard, l’une des sources de Jules Verne, parle en 1835 « d’un grand nuage blanc en forme de mamelle ». Qu’en sera-t-il si, dès 2035, le glacier du Snaefellsjökull a entièrement fondu, s’il ne laisse plus paraître que deux pics noirs en lieu et place de ses cimes immaculées ? Qu’en sera-t-il si le volcan entre en activité et supprime d’une coulée tout paysage humain ? La question du paysage acquiert ici toute son importance. L’effacement à plus ou moins grande échelle du Snaefellsjökull ouvre une béance, un espace de désincarnation, une désarticulation du symbolique. L’archive que nous aurons constituée à travers le processus de création de cette oeuvre forme une archive vive, une icône de la rupture mémorielle. A la manière des fresques de
Pompéi, notre projet dessine un corridor de mémoire pour l’anthropocène.

Photo : Snaefellsjökull versant sud © Carol Müller

Dates

1 Juillet 2023 11 h 00 min - 4 Novembre 2023 19 h 00 min(GMT-11:00)

Musée Jules Verne

3, rue de l'Hermitage 44100 Nantes

Musée Jules Verne

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