Mars, 2026

Par-delà le mur de son. Fêtes techno

ven13mar(mar 13)13 h 30 mindim31mai(mai 31)18 h 30 minPar-delà le mur de son. Fêtes technoCha Gonzalez, Julie Hascoët, Rebecca TopakianMaison de la Photographie Robert Doisneau, 1, rue de la Division Général Leclerc 94250 Gentilly

Détail de l'événement

4h46, Pont l’Evêque, août 2022. © Cha Gonzalez

Née à Détroit, façonnée par les territoires de Chicago puis de l’Europe, la techno est une forme musicale mobile. Elle se nourrit de funk, de disco, de house et s’invente au gré des lieux qu’elle traverse. Des clubs américains aux raves anglaises, des free parties aux temples de la nuit des capitales, elle s’ancre provisoirement dans des friches industrielles, entrepôts désaffectés, plages, champs, forêts, night-club, tout en appelant à danser sans relâche. Souffle continu, la techno impose un temps scandé : vinyles, boîtes à rythmes et enceintes massives portent un battement puissant et grave qui se propage à travers le « mur de son », façade emblématique de ces rassemblements. Les basses sculptent l’espace et invitent à danser jusqu’à l’aube.

Sur le « dancefloor », stroboscopes, faisceaux lumineux et écrans d’images enveloppent la foule de lueurs et de pénombre. Guidés par la gravité sourde du « beat », les corps oscillent entre gestes amples et saccadés, piétinement et suspension, se frôlant dans la masse. Le temps d’un éclat de lumière, on s’offre au regard d’une foule anonyme avant de redevenir silhouette fugace, corps à corps aussitôt dissous. Là où musique, mouvement et décor se mêlent, tout concourt à l’immersion : l’air vibre, le mur résonne, les corps répondent. La fête n’est plus seulement un lieu ni une musique, mais un milieu traversé et traversant, où se tissent expérience collective, paysages de teuf et plongée intérieure.

C’est à cette manière de vivre la fête techno que l’exposition est consacrée. En croisant regards photographiques (Julie Hascoët, Rebecca Topakian, Cha Gonzalez) et anthropologique (Aurélie Chêne), elle propose de se déplacer par-delà du mur de son. Non pour nier les questions d’illégalité mais pour donner voix à ce qui demeure souvent invisible : une traversée, comme manière sensible, musicale et dansée d’habiter le monde.

Aurélie Chêne

Parcours de teufeurs

S’engager dans un chemin boueux, se faufiler entre les buis, percevoir un grondement entre deux cimes, avancer à tâtons et découvrir, avec stupéfaction, le battement d’une musique au coeur d’une clairière : c’est ici que se déroule la teuf. Un peu plus tôt dans la soirée, seuls les phares d’un convoi balisaient la route vers une destination floue. Le périple fut ponctué de messages codés, écrits ou vocaux, dévoilant par bribes l’emplacement à rallier. D’étapes en détours, un lieu finit par émerger, où le mur de son sculpte les contours éphémères de la fête clandestine. Dressée au pied des arbres, l’architecture compacte d’enceintes sera démontée puis transportée, telle une borne mouvante, vers d’autres sites : plage déserte, bâtisse abandonnée, vaste champ, voûte d’un tunnel.
Le mur, géant de métal et de rythme, s’élève autour d’espaces aménagés pour les heures à venir. Une bâche translucide, tendue entre quelques piquets, abrite de la bruine : on s’y retrouve tandis que les pulsations du kick résonnent, sourdes et régulières, tout près. On y vit un moment suspendu avant de rejoindre à nouveau le dancefloor, ses faisceaux et la masse dansante portée par la musique.
Surprise par la pâle montée du jour, la teuf révèle un tout autre paysage. Entre les arbres, un campement de caravanes apparait ; sur le littoral, un bunker échoué attire les regards ; les briques humides d’une usine à l’arrêt luisent sous le soleil naissant. La musique se déploie encore au milieu d’un lieu qui, peu à peu, vient habiter celles et ceux qui l’ont foulé la nuit durant, comme un paysage de teuf inscrit en mémoire.

Julie Hascoët (née en 1989 à Douarnenez) mène un travail protéiforme qui déborde le cadre strict de la photographie pour embrasser les domaines de l’édition, de l’installation et des pratiques curatoriales. Diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie (Arles, 2012), son regard se porte sur les territoires en marge et les formes générées par leur occupation, mêlant une approche poétique, liée au paysage, à une dimension humaine plus politique.

Au coeur du dancefloor

Après avoir franchi les portes d’une bâtisse abandonnée, l’air change brusquement d’épaisseur. La lumière se compacte en un éclat laiteux qui enveloppe le dancefloor où des corps se meuvent, pris dans un tempo assourdissant. À mesure que l’on avance, les faisceaux rouges, verts ou bleus révèlent un univers saturé de gestes exaltés, de voix, de sueur et de chaleur : des torses se dénudent, des postures oscillent, entre deux beats. En se frayant un passage vers le mur de son, on traverse une foule qui dévoile une diversité d’apparences : visages striés de maquillage, paillettes, tissus légers, fragments de dentelle ou de cuir, piercings, tatouages et mèches colorées surgissent au rythme des effets visuels. Les images projetées glissent sur les peaux, surfaces provisoires où s’impriment les jeux de couleurs et de formes, jusqu’à dessiner les contours d’une expérience immersive. L’identité y prend une forme instable, entre exposition de soi et dissolution dans le collectif.

En plein air, le décor change mais l’élan
demeure : un champ, une friche ou un terrain vague se transforme en panorama vibrant. La distance entre le dancefloor et les arbres s’abolit au profit d’un flux de sons et de mouvements qui traverse l’ensemble du site, de l’herbe sèche au ciel de l’aube. Les teufeurs piétinent le sol poussiéreux, éprouvent la fraîcheur de l’air et la sonorité jouée. Au petit matin, les traits sont tirés, les vêtements portent les marques de la nuit. L’espace se resserre : ici, des silhouettes infatigables près des enceintes, là des corps étendus ou des conversations murmurées. Plus tard, le souvenir d’un rayon de soleil, d’un visage aperçu ou d’une odeur de béton chauffé subsistera comme la trace d’un paysage intime où la fête continue de résonner.

Photographe française, Cha Gonzalez passe son adolescence au Liban, avant d’intégrer les Beaux-Arts de Bordeaux puis l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, dont elle sort diplômée en 2010. Depuis 2015, elle documente les fêtes, clubs et raves pour sa série “Abandon”, qui a été lauréate du Prix Virginia en 2018 et reçu la bourse du ministère de la culture et de la BnF dans le cadre de la Grande Commande photojournalisme en 2022. « Abandon » a aussi fait l’objet de multiples publications et expositions au fil des années. En dehors de cette série, elle travaille en commande pour Libération, L’Obs, Elle, Arte, Reporterre… entre autres.

Des corps-images

Danser en suivant son propre rythme, sentir le mouvement d’un corps nous frôler, se tenir au plus près du son qui gronde. Les yeux à demi-clos, les teufeurs se penchent, se dressent, s’accoudent aux enceintes comme à leurs propres gestes, tour à tour amples, lents, à peine perceptibles. La musique guide les pieds qui écrasent le sol puis s’en détachent. L’obscurité s’installe, étrange moment suspendu où la foule se réduit à un souffle, à la chaleur d’une main posée contre l’épaule, au léger déplacement d’air signalant la présence à nos côtés d’un corps devenu invisible. Brusquement, les immenses colonnes de lumières tournent à pleine vitesse et frappent du sceau de l’éclair un fragment de scène : un visage surgit, figé dans une grimace ; un sourcil froncé, une tête penchée, deux silhouettes accolées jaillissent comme un éclair.

La musique vibre, le mur crache, tout s’agite. Les silhouettes continuent d’apparaître comme des formes arrachées à la masse, composant un décor évanescent de gestes brefs et d’états passagers. Immergés au coeur de ce battement entre ombre et éclair, nous sommes soudainement saisis par une attitude, un acte, dont il ne reste qu’une image. Éminemment visuelle, l’expérience mobilise la perception de chacun. Entre ce que l’on voit et ce que l’on ressent, la frontière se brouille : saisis au vol par le rythme et la lumière, les corps dansants résonnent à la fois avec le paysage nocturne de la fête et avec notre propre intériorité, devenant des corps images qui s’impriment en nous comme les fragments d’un rêve éveillé.

Rebecca Topakian est une artiste franco-arménienne diplômée de l’ENSP Arles en 2015. Elle explore des thématiques liées à l’identité personnelle dans son rapport à l’identité collective, dans ses dimensions mythologiques et fictionnelles dans des projets photographiques et vidéo. Son travail a été récompensé par de nombreux prix et a fait l’objet de nombreuses expositions en France et à l’étranger, dont au Mac Val, au Casino Luxembourg, au Chicago Cultural Center ou aux Rencontres d’Arles. Elle est lauréate du programme de résidence Villa Kujoyama 2026.

Dates

13 Mars 2026 13 h 30 min - 31 Mai 2026 18 h 30 min(GMT-11:00)

Maison de la Photographie Robert Doisneau

1, rue de la Division Général Leclerc 94250 GentillyEntrée Libre. Ouvert du mercredi au vendredi : 13h30 - 18h30 et le samedi et dimanche : 13h30 - 19h Dermée les jours fériés

Maison de la Photographie Robert Doisneau

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