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Arghh 31 août ! Une date qui sonne le glas. Le glas du calme, luxe et volupté, des eskimos glacés goût basilic-Immortelle (la fleur) pour que l’été dure toujours. Le glas de la french way of life : rosé, tomates-burrata et eau miroir.
Le glas de notre image resplendissante : « tall and tan and young and lovely » protégé des uv screens à l’indice boursier. Tandis que d’autres screens nous insolent à frôler la surexposition.
De retour dans les quotidiennes shades of grey, on se mire encore : écran, mon bel écran : suis-je encore tall and tan and etc..? Impitoyable réponse de l’oracle à la pomme : mmmhhouais…

Mais alors, que faire pour éviter de swiper devant les figures grises comme d’avant 1967 (date de la 1ère diffusion télévisuelle en couleur)?
Se réveiller le 31 juillet 2022?

Ou encore oublier, laisser chuter les likes (il paraît qu’Instagram a commencé à les masquer), les views, les comments, les follow oh oh oh, les repost. Refuser la surenchère déjà 50 milliards de photographies partagées sur Instagram depuis sa création en 2010.
Abandonner la partie, retour à l’analogique dirait-on. Plus besoin de confirmer que vous êtes humain, bien humain, trop humain juste pris au jeu de Narcisse and Co. C’est pas ma faute ! C’est eux! En pointant du pouce levé pour dire OK, I’m knock out par le screen. Lost in the screen. Jeté aux alouettes le miroir, ses ventes auraient-elles fondues comme notre image pixellisée qui peine à reconstituer notre identité parfois ?

Screen vs miroir, le combat a peu duré. On se mire, on se poste, effet moiré, blurred sans défauts aucuns. Alors que le miroir ne mentait pas, on se souviendra de l’ire de la belle-mère de Blanche-Neige et sa suite tragique, le screen nous flatte, nous susurre aux pixels, nous enivre de son filtre magique. Quelle potion! Est-ce qu’Obélix en aurait bu ? Faudrait-il bientôt créer les F.A. Filtres Anonymes tellement on est addicts?

Après une rehab, et un passage par les F.A., que restera-t-il de notre image? Saurons-nous de nouveau oublier l’objectif? Etre naturel comme on disait. Georges Eastman en 1888 en lançant le fameux slogan de Kodak : « Press the button, we do the rest » tenait aussi cette promesse. Oui the button est « the place where to exist ». Le bouton qui atteste de votre réalité, votre corporalité celui qui met votre corps en jeu une petite seconde alors que votre portrait sera avalé par les milliards d’autres.
Et dans dix, vingt, cinquante cent ans à quoi ressembleront les portraits photographiques? Il y a une telle conscience et usage de son image aujourd’hui que l’on pourrait décemment penser que peut-être les portraits à venir ne seront plus jamais les mêmes. La désinvolture et la non-conscience de l’autre ont permis de créer des chefs-d’oeuvres de portraits photographiques, qu’en sera-t-il au futur?

Dis Insta, sois sympa dis-moi encore que ma photo est la plus likée, dis-moi oui, lève le pouce, bats du coeur, applaudis à deux mains, déchaine les flammes de la célébrité. Dis-moi que je suis la plus belle pour me regarder.

Selma Bella Zarhloul
Après une double formation en Information et Communication à la Sorbonne et histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, elle choisit de se consacrer à la photographie. D’abord, en tant que praticienne afin de bien comprendre et maîtriser les spécificités du médium pour pouvoir s’exprimer avec. Parallèlement, en 2001, elle rejoint la Donation Henri Lartigue, sous tutelle du Ministère français de la Culture. Pendant plus de 10 ans, elle contribue au développement, assurant la production et la distribution de la collection à travers le monde. En 2017, elle commence à travailler en tant qu’ indépendante endossant plusieurs casquettes : commissaire d’exposition, critique d’art et cheffe de projet spécialisée dans la photographie contemporaine. Entre autres, elle assure le rôle d’administratrice générale du Festival Voies Off à Arles en 2018-2019. En 2021, sa passion pour la photographie contemporaine la pousse à ouvrir La Volante à Arles, une galerie d’art dédiée à la photographie et autres arts.