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Quadrille, la restitution d’une résidence de Letizia Le Fur aux éditions Filigranes

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Chaque année dans le cadre du festival Portrait(s) de Vichy, une résidence est proposée à un.e photographe avec pour cadre le territoire de la ville. Le résultat de celle-ci fait l’objet d’une exposition et d’une publication chez Filigranes Éditions. Pour la dernière édition c’est Letizia Le Fur qui a dû travailler sur le thème des seniors actifs à l’invitation de Fanny Dupêchez la directrice du festival. Son livre, Quadrille, interroge donc la place de ceux-ci dans l’espace vichyssois tout en prenant pour fil conducteur le motif du carreau Vichy. Il est par ailleurs accompagné d’un texte de Natacha Wolinski.

© Letizia Le Fur

© Letizia Le Fur

Main dans la main, elle portant une chemise noire aux délicats motifs à carreaux brodés fil d’or, ils s’aiment pour l’éternité. C’est aussi une dame très digne dans sa robe aux rayures vertes et aux mains couvertes de tatouages. Puis la ville, un Vichy onirique, un Vichy de détails oscillants entre l’incongru et le surprenant. Le motif est partout et nulle part, on le guette, on le suit, on le traque, des carreaux des vitres à ceux des lunettes, des sièges carrés aux façades avec des treilles, sur les chemises et la nappe d’un restaurant.

Comme l’écrit Letizia Le Fur il y a quelque chose de la recherche de Charly dans ce livre drôle et émouvant.

© Letizia Le Fur

Avec ces résidences, les lecteurs ont accès à un Vichy nouveau, déroutant et ça même s’ils connaissent la ville depuis bien longtemps. Alors que la plupart du temps quand on donne le nom de Vichy, on obtient régulièrement des réponses ayant trait à la carotte, la pastille, l’eau gazeuse ou dans les cas les moins agréables la sinistre mémoire des années 40, ici la magie de la résidence opère et on déambule dans une ville inconnue, peuplée d’hommes et de femmes très attachants. La ville devient mystère, terrain de jeu plutôt que de chasse où les motifs à carreau se transforment en une quête obsessionnelle et labyrinthique. Il y en a partout, partout. Et nous qui n’avons peut-être pas assez l’habitude de regarder un quotidien qui nous échappe, nous saisissons ces images comme un jeu coloré. Quadrille est d’abord une invitation à regarder notre environnement, à y cherche ces détails qui en font le sel et le charme.

© Letizia Le Fur

Il y a ensuite le regard tendre et délicat que Letizia Le Fur pose sur ses modèles. Les personnes photographiées si elles sont âgées d’un strict point de vue chronologique, n’en paraissent pas moins dynamiques, en pleine santé et heureuses. Ici c’est une dame à la robe fleurie, regard singulier qui nous fixe, là une autre avec le magazine Vogue dans la main, ou un homme avec un ballon de basket ; tous sont apprêtés, vivants, joyeux. La vitalité éclatante qui semble les animer, ce fil rouge du motif Vichy de leurs vêtements, tout concoure à donner un côté très positif, humain au travail photographique. On peut-être âgés et actif, dynamique. Alors que Vichy a longtemps eu une réputation de ville « de vieux » (justifiée par la présence massive de curistes et une vie culturelle assez pauvre), il n’en est plus rien. C’est maintenant un espace en pleine mutation, qui multiplie les propositions sportives et culturelles. Et d’une certaine manière les personnages peuplant les photographies de Letizia Le Fur sont dans ce rôle. On est très loin de l’image du vieillard grabataire hantant les couloirs d’un EHPAD. Au contraire, nous avons à faire à des personnes pétillantes (un peu comme l’eau de Vichy donc…) qui sont en phase avec la ville et l’époque. Et par capillarité ce motif des carreaux à l’imagerie surannée, un peu vieillotte, se renouvelle dans une forme de renaissance.

© Letizia Le Fur

Quadrille est un travail réussi. Il se joue des codes, des lieux, des époques. Il permet un voyage aussi loufoque que réflexif dans une ville qui n’est plus un musée. Letizia Le Fur s’y amuse et ses modèles avec, merci donc à eux tous pour ce moment de joie délicate qui nous embarque dans la fantaisie et nous laisse espérer que notre vieillesse sera aussi active et pleine que celle des protagonistes du livre.

INFORMATIONS PRATIQUES
Quadrille
Letizia Le Fur
Éditions Filigranes
Français
Couture Singer apparente
41 photographies en couleurs
48 pages
ISBN : 978-2-35046-609-5
27€
https://www.filigranes.com/livre/quadrille/
https://www.letizialefur.com/quadrille

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr