Juin, 2025

Bertien van Manen

jeu26jui(jui 26)10 h 00 mindim12oct(oct 12)15 h 30 minBertien van ManenLes échos de l'ordinaireCentre d'art GwinZegal, 4 rue Auguste Pavie 22200 Guingamp

Détail de l'événement

Photo : Bertien van Manen, Let’s Sit Down Before We Go, Ljalja, Odessa, 1991

Les photographies de Bertien van Manen (1935-2024) ne tiennent ni du journal intime, ni de l’album de famille. Si certains codes visuels peuvent y faire penser, elles ne répondent à aucun de leurs prérequis. Il n’est question ni d’elle, ni de rituels, d’événements ou de mises en scènes planifiées. Elles ne correspondent pas non plus aux canons du spectaculaire et aux lieux communs du photojournalisme ; les événements historiques ou politiques sont bien absents du centre de l’image. Son oeuvre pourrait se définir comme une chronique intime et subjective de la vie des gens ordinaires, qui, ballottés par les vents d’une histoire qui s’écrit sans eux et parfois les dépasse ou les écrase, tentent de s’en sortir du mieux qu’ils peuvent — et c’est souvent bien plus héroïque qu’on ne le croit. Le hasard d’un autoportrait nous montre la photographe, une femme audacieuse, les cheveux en bataille, manches retroussées : on l’imagine libre, forte, rebelle et tenace. Une éphémère carrière de mannequin conduit Bertien van Manen à passer de l’autre côté de l’objectif pour commencer une vie de photographe de magazine. Elle montre vite cependant une acuité sociale et un engagement en réalisant plusieurs reportages sur des femmes migrantes, turques, marocaines, yougoslaves… venues aux Pays-Bas pour travailler et échapper au déterminisme de leur condition. C’est en feuilletant Les Américains (1958), livre de Robert Frank, que Bertien van Manen aura le déclic de la photographie qu’elle veut réellement faire et du monde qu’elle souhaite raconter. C’est dans cette distance et cette proximité qu’elle souhaite désormais s’inscrire. Elle ne cherchera plus à illustrer le monde, mais à le vivre en étant au plus proche des êtres et des choses, des communautés qui la fascinent. Fille d’un ingénieur des mines de charbon des Pays-Bas, elle part en 1985 aux États-Unis, dans les Appalaches, à la recherche de femmes travaillant dans les mines. Ces travailleuses du charbon vivent dans des petites maisons, ou parfois entassées dans des caravanes, des mobil-homes ou des constructions improvisées dans les bois. La photographe délaisse son matériel photographique professionnel pour arborer un petit appareil 35 mm d’amateur. Adieu les commandes de mode ou de magazine, c’est dans une autre temporalité qu’elle accède à une intimité intense et sans artifice, qui lui fera partager la vie de cette communauté pendant plus de trente ans, lors de multiples séjours. Jamais cyniques, ses images oscillent entre beauté et chaos, on peut y suivre sur plusieurs générations la vie quotidienne de ces familles dans leurs difficultés et dans leurs rires. Elle y façonne un style documentaire et subjectif
qu’elle exprimera pleinement par le livre plus que par l’exposition. Elle gardera aussi de l’ouvrage de Robert Frank la soif insatiable du voyage et des rencontres, qui ne cesseront d’alimenter son existence. « Je ne dors nulle part aussi profondément que lorsque je voyage, dans un lit anonyme, dans un endroit étrange, me réveillant sans savoir où je suis, pensant que personne d’autre ne le sait non plus », peut-on lire dans les pages de son journal. Ce n’est sans doute pas un hasard si le lit, comme élément de mobilier, apparaît de manière récurrente dans son oeuvre. C’est le lieu le plus privé, où l’intimité se déploie dans le sommeil, les rêves ou les étreintes. Bertien van Manen sera l’une des premières à se glisser derrière le rideau de fer pour documenter la vie post-soviétique en Russie, Moldavie, au Kazakhstan, en Ouzbékistan et en Ukraine, lors de dizaines de voyages entre 1991 et 2009. Elle n’est pas une photographe de rue, les relations qu’elle tisse sont plus intimes : c’est à l’intérieur des appartements, de leurs cuisines, salons et chambres à coucher, qu’elle nous emmène, tard dans la nuit ou tôt le matin.

« Je dois aimer les personnes que je photographie. Je dois ressentir une attirance, une fascination », confesse la photographe. C’est avec le même appétit des autres qu’elle tentera, au tournant des années 2000, de faire le portrait d’une société encore plus opaque : en Chine, où la sphère privée et l’individu ont été rendus suspects par la Révolution culturelle et soixante-dix ans de communisme.

Cette exposition nous fait découvrir pour la première fois en France une artiste profondément féministe et engagée. Quatre séries photographiques majeures y sont regroupées : aux Pays-Bas, aux États-Unis, en ex-URSS et en Chine. Cette oeuvre fait surgir une réflexion sensible, au-delà des réalités politiques, sur ce qui relie les individus et les sociétés plutôt que ce qui les sépare. Spectacle de vies ordinaires et humbles, la photographie de Bertien van Manen, loin du sensationnalisme et des récits dominants, construit une oeuvre documentaire singulière, portée par une empathie de tous les instants.

Exposition réalisée avec la Fondation Bertien van Manen, Amsterdam, en coproduction avec le Centre de la photographie de Mougins. Avec le soutien de l’ambassade du royaume des Pays-Bas.

I am the only woman there est le premier projet documentaire de longue haleine de Bertien van Manen. Il a également donné lieu à son premier livre de photographies en 1979, Vrouwen te gast (« Les femmes comme invitées »).

« Je ne supportais plus le rythme effréné du travail pour les magazines, je désirais avoir plus de temps pour réaliser des photographies moins superficielles. J’ai compris ce que je devais faire en lisant la préface du Septième homme (A Seventh Man: Migrant Workers in Europe, 1975), le livre de John Berger et Jean Mohr. Berger souligne le fait que lui et Mohr n’avaient documenté que les expériences de travailleurs immigrés masculins. Il pensait qu’un autre livre devait être consacré aux femmes et à leurs histoires. »

« Personne n’avait jamais accordé la moindre attention à la première génération de femmes qui, issues de Turquie, du Maroc, d’Espagne, d’Italie, du Portugal, de Yougoslavie ou de Grèce, avaient migré dans d’autres pays d’Europe pour travailler. J’ai décidé de me concentrer sur les Pays-Bas. Personne ne s’était jamais intéressé à leur situation sur le marché du travail ou à la manière dont elles dépendaient de leurs maris. En vérité, personne n’avait conscience de leur existence parce qu’on les voyait à peine. Elles restaient enfermées dans leurs chambres et n’étaient pas autorisées à grand-chose. Je les ai un peu fait sortir de l’ombre avec ce livre, et j’en suis fière. Je les ai photographiées chez elles, au travail, pendant des fêtes. La plupart des femmes dont j’ai réalisé le portrait étaient d’origine campagnarde, elles avaient suivi leur mari et se retrouvaient du jour au lendemain cloîtrées dans un petit appartement au troisième étage d’un immeuble. J’ai aussi photographié des femmes célibataires venues d’elles-mêmes aux Pays-Bas pour trouver du travail. »

« Il existait beaucoup de centres sociaux destinés aux hommes immigrés, et l’un de ces centres proposait des cours de couture pour leurs épouses. Ils m’ont mis en contact avec elles. À partir de là, les choses se sont enchaînées : je réalisais le portrait d’une femme puis je continuais avec la tante, la soeur ou une amie. »

« Les hommes musulmans ne permettaient pas que leurs épouses soient montrées chez elles dans des activités “ordinaires”. Ils voulaient des portraits “en bonne et due forme”. Mais au final, je me suis aussi débrouillée pour prendre des images plus spontanées, où je sentais que j’avais réussi à me rapprocher des femmes. La combinaison des deux a d’ailleurs bien fonctionné. »

« Le livre a été publié par une maison d’édition féministe d’Amsterdam nommée Sara. Malgré tout, je me sentais en désaccord avec le mouvement des femmes aux Pays-Bas, j’avais le sentiment qu’elles ne faisaient rien pour sensibiliser à la situation des migrantes. Sans être une passionnée de politique, une fois le sujet trouvé, j’ai profondément senti le besoin de représenter à ma façon ces femmes invisibles. Le livre a été un succès, dans le sens où il a déclenché différentes initiatives. Il a eu de l’effet. Des offres de cours de néerlandais ont été créées. Les voisins de ces femmes se sont mis à aller vers elles, certaines ont pu sortir de leur isolement. Les médias en ont parlé. »

Cette série marque l’engagement documentaire de Bertien van Manen et pose les bases de son style et de sa démarche : photographier au plus près, avec empathie, des communautés relativement fermées.

Dates

26 Juin 2025 10 h 00 min - 12 Octobre 2025 15 h 30 min(GMT+00:00)

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