Alexandra Pouzet

Le terrain de Roger Rousseau

ENTRE 1995 ET 2020, dans les bois de Beauregard sur le causse de Limogne-en-Quercy (Lot), Roger Rousseau s’est lancé dans un travail solitaire de creusement et de bâtisseur. À la main, équipé de peu d’outils, il a décaissé en profondeur un espace d’environ 1 000 m2, mettant au jour un ensemble chaotique fortement lapiazé de blocs rocheux et de grandes dalles calcaires naturellement enfouis. Il a aménagé une enceinte sinueuse en pierre sèche (couloirs, murs, cour, escaliers, terrasses, sièges), préparant, dans un progressif dévoilement, la surprenante vision de la composition qui se tient d’ordinaire sous nos pieds. Ce site minéral, il l’appelle « le terrain », un lieu privé et ouvert aux visites, sans indication ni ticket de caisse, qu’il entretient pour permettre à d’autres cette confrontation avec le sol. Le visiteur est pris de court. On ne comprend pas bien devant quoi l’on se tient, on est étonné et très souvent ému. Est-ce une oeuvre, un monument, un sanctuaire, un paysage en abîme ? Pourquoi ce lieu, pour quel public, quelle attention ? De la nature ou de cet homme, qui a fait quoi ? Pour Roger, l’émotion du visiteur vient dire qu’un lien profond et archaïque à la pierre peut saisir encore chacun de nous ; le terrain le réveillerait. À partir du geste inaugural de Roger Rousseau, le terrain est devenu une recherche artistique au long cours qu’Alexandra Pouzet (photographe) et Bruno Almosnino (auteur) conduisent avec lui depuis quatre ans, pour documenter cette expérience, transcrire et organiser ce que ce lieu fait voir et dire.

Terrain.s. Qui ?
Roger Rousseau. (1943), vit dans le Lot. Carrière dans l’éducation spécialisée auprès de psychotiques. Une vie riche d’expériences poussées. Le bûcheronnage, l’architecture, le dressage de chevaux, la sculpture, la gravure, le jardin, la pensée, la réparation. En 1995 il acquiert une parcelle sur une commune des causses du Quercy, dévoile les pierres affleurantes enfouies et invente le Terrain.
Alexandra Pouzet et Bruno Almosnino vivent dans le Lot. travaillent en binôme depuis 2016 en mêlant photographies et textes.
Alexandra est artiste photographe depuis 20 ans, jeunement diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie, Arles (2020). Elle montre son travail en France, à l’étranger. Ses enquêtes photographiques ont intégré les collections du CNAP, des FRAC, de la BNF, et d’artothèques. Elle intervient régulièrement dans le cadre de workshops, passe du temps en résidence de créations, s’intéresse à l’expérience habitante, découvre le sol. Elle vient des lettres modernes, de la philosophie, des cours du soir aux Beaux-arts, d’Algérie et du Poitou.
Bruno est diplômé en Histoire et en Anthropologie, est ethnologue de formation, artiste auteur depuis 6 ans et attaché aux façons d’épuiser la connaissance d’un territoire. Il collabore avec des plasticiens, une compagnie de théâtre documentaire. Il réfléchit aux forces qui comptent, aux gestes de soins, aux fables. Son travail est régulièrement exposé, il fait partie de la collection du FNAC et a été édité à la Martinière ou au Bec en l’air. Il vient de Tarbes, d’une petite communauté aux liens fragiles et sacrées, de l’oralité, d’Algérie et du Lot. Il rejoint pour les deux années à venir (2022-2024) le master écopoétique et création (Université Aix-Marseille).