PhotoPortfolio

A-côtés, une exploration du territoire par Eric Courtet

Temps de lecture estimé : 6mins

Cette semaine, dans notre rubrique consacrée aux photographes, nous avons choisi de partager avec vous la série A-côtés du photographe français, Eric Courtet. Cette série interroge le territoire du centre Bretagne et plus particulièrement les lieux situés aux bords de la départementale D769 qui relie Lorient vers le nord de la région. Plongée dans un road trip qui témoigne d’un monde qui est en train de disparaître…
Cette rubrique est la vôtre, si vous souhaitez soumettre votre travail, envoyez-nous vos séries !

Quelles sont les raisons qui m’obligent à rouler sur la départementale D769 depuis Lorient pour remonter vers le nord de la Bretagne ? Qu’est-ce qui me pousse à prendre le volant, le boitier posé sur le siège avant passager, pour bifurquer vers des routes aux bordures incertaines ? Est-ce pour témoigner d’un monde qui s’en va, une désaffectation aux volets fermés, aux rideaux tirés ? Est-ce pour saisir des solitudes croisées en chemin, en quête de répit, de silence. Ou n’y a-t-il pas plutôt une intention plus obscure, une intuition souterraine : c’est en s’en remettant au hasard que la vie peut apporter du neuf ?
– Eric Courtet

Ici, aux lisières de l’ailleurs

Il y a ceux qui s’attachent et ceux qui s’arrachent, ceux qui persistent et ceux qui fuient, ceux qui traversent et ceux qui s’installent. D’ailleurs, sait-on toujours pourquoi l’on reste, ou pourquoi l’on s’exile ? Il peut être impossible de partir, ou d’arriver, ou de continuer. En parcourant l’ancienne route nationale 169, reliant Hennebont (Morbihan) à Roscoff (Finistère), Eric Courtet a rencontré le peuple de l’intérieur, habitants de territoires ruraux parfois peu représentés. Avec l’infinie précaution qui le caractérise, le photographe a regardé des visages, des paysages, des objets. Des attitudes, des organisations formelles, des gestes. Attentif aux silences, l’art d’Éric Courtet est de dimension introspective. Plane en ses images une interrogation permanente sur ce qui relie un être humain au lieu de son quotidien. La solitude est perceptible, et les signes d’une lente déréliction, mais aussi la beauté des ancrages, doublée d’une mélancolie faisant parfois songer à un voyage au long cours dans les steppes de l’Asie centrale, ou dans quelque contrée oubliée par l’Histoire. Une femme contemple depuis l’habitacle de sa caravane le promeneur à l’objectif. Voit-elle un fantôme, ou est-elle elle-même d’outre-tombe ? Le ciel est gris, il a plu, tout est neuf et très ancien dans l’éternel retour du même. Chaque photographie lève des possibilités de narration, mais la fiction doit être muette, il ne faut pas trop interpréter, juste se laisser percuter par la force de ce qui apparaît. Une bâtisse sombre, un bosquet, une silhouette. Des jeunes en conciliabule, un tatouage, deux sentes qui se croisent. Les panneaux indicateurs désignent bien des directions, mais vers des villages ou lieux-dits semblant appartenir davantage au domaine du rêve qu’à celui de ce qu’on aime nommer, sans se questionner sur ses véritables contours, la réalité. Privilégiant une chromie dénuée d’effets de joliesse, très loin du pop publicitaire, le photographe situe sa démarche artistique aux franges d’un fantastique sans fracas. Ses personnages sont les héros modestes d’une campagne ne cherchant pas à se distraire d’elle-même. En un sens, Eric Courtet est pascalien : acceptation de sa place dans le vaste concert des vivants, vertiges métaphysiques, accueil sans révolte de la finitude, attente de la grâce. Dieu est peut-être absent, protagoniste d’une fable qu’on refuse, mais tout est indéniablement divin : une fougère sur laquelle s’est posé le gel du petit matin, un renard empaillé ressemblant à un chat étique errant tel un égaré dostoïevskien, un homme hanté par un cheval. En ces espaces érodés par le temps, où la mort est un verre de vin vide posé près d’un gilet en laine, les coeurs doivent être de bronze de peur qu’ils ne se brisent. Un fusil de chasse, des bottes, des cartouches alignées sur la porte d’une grange : la nature morte est ici un memendo mori offert aux bêtes bientôt saignées. On rencontre des chamanes, des bars désaffectés, une soupe froide. Il faudrait crier pour que quelque chose se passe, mais pour qui ? pour quoi ? pour quelles solidarités d’âmes ? Dans Le théâtre et son double, Antonin Artaud écrit : « Pas de cruauté sans conscience, sans une sorte de conscience appliquée. C’est la conscience qui donne à l’exercice de tout acte de vie sa couleur de sang, sa nuance cruelle, puisqu’il est entendu que la vie c’est toujours la mort de quelqu’un. » On croyait qu’Éric Courtet nous proposait une promenade en Centre-Bretagne, mais non, nous dérivons plutôt dans quelques limbes discrètes et implacables, en attente du Jugement dernier.

Texte – Fabien Ribery

Eric Courtet est né le 30 janvier 1968. Passionné de théâtre et de littérature, il s’initie à la photographie au début des années 90 sur les scènes de la région parisienne, et plus particulièrement au théâtre de la Commune d’Aubervilliers, dirigé alors par Didier Bezace. Diplômé de l’Ecole Française d’Enseignement technique (EFET), il s’installe à Lorient et s’oriente vers une photographie plus personnelle, puisant toujours son inspiration dans les oeuvres d’auteurs qui interrogent les « affaires d’âmes ».
En 2013, il obtient le 3 ème Prix ex aequo du concours proposé conjointement par la cinémathèque de Paris et Télérama autour du thème photographier sa ville comme Pasolini a photographier Rome.
En 2022, il obtient le 1 ier Prix des Rencontres Photographiques d’Arlon (Belgique) puis le Prix du Public lors des projections des films photographiques au Festival Présence(s) Photographie à Montélimar.
En 2023, il obtient le Prix du Jury au festival EmoiPhotographique à Angoulême.
(par Catherine Riand, éditrice)

Website : https://ericcourtetlo.wixsite.com/


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