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Anna Jackson, Kimono, musée du Quai Branly : des samouraïs à la Pop culture !

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A l’origine de l’exposition « Kimono : Kyoto to Catwalk » au Victoria & Albert Museum (2020), malheureusement très peu vue par le public en raison de la pandémie, Anna Jackson conservatrice en chef au Victoria & Albert museum est heureuse de pouvoir en présenter une nouvelle version au Musée du Quai Branly dans des conditions normales de visite. Avec un total de 200 kimonos et objets associés, le parcours déroule les métamorphoses de ce vêtement iconique qui a accompagné la vie des japonais depuis l’époque Edo avec la culture de l’ukiyo-e, jusqu’ à sa diffusion dans le monde entier au XIXème et XXème siècle avec une véritable renaissance de nos jours sous l’impulsion d’une nouvelle vague de designers qui en font une relecture dynamique, décomplexée et subversive en remettant le kimono dans la rue et sur les podiums avec David Bowie, Madonna ou Björk.

Anna Jackson revient sur son parcours et l’origine de sa passion pour les textiles japonais qu’elle étudie depuis 25 ans. Si l’espace en mezzanine de l’exposition du musée du Quai Branly présentait de nombreux défis, le résultat est tout à fait pertinent, car selon elle un.e curateur doit d’abord et avant tout se demander quel genre d’histoire raconter au public et par quel biais. Imposer une exposition autre sur la mode a été aussi l’une de ses motivations, auprès d’un public français toujours exigeant dans ce domaine. Elle a répondu à mes questions.

Anna Jackson est la Directrice du Département Asie du Victoria and Albert Museum. Spécialiste des textiles et des vêtements japonais, elle est la commissaire de l’exposition Kimono : Kyoto to Catwalk et responsable éditoriale de la publication qui l’accompagne. Parmi ses autres ouvrages, citons Japanese Country Textiles (1997), Japanese Textiles in the Victoria and Albert Museum (2000) et Kimono : The Art and Evolution of Japanese Fashion – the Khalili Collection (2015).Un autre de ses axes principaux de recherches concerne les liens interculturels entre le Japon et l’Occident et elle a ainsi contribué à un nombre important d’expositions et de publications du V&A, parmi lesquelles : Art Nouveau 1890-1914 (2000) et Art Deco 1914-1939 (2003). En 2044 elle a co-curaté Encounters: the Meeting of Asia and Europe 1500-1800 et en 2009 elle a été la commissaire générale de Maharaja: the Splendour of India’s Royal Courts qui a eu une itinérance internationale. En décembre 2020 Anna Jackson a reçu La Mention Honorable du Ministère des affaires étrangères par le Gouvernement Japonais pour son engagement en faveur de la promotion de l’art et de la culture du Japon en Grande-Bretagne.

Vue de l’exposition Kimono musée du Quai Branly © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine

Directrice du Département Asie au Victoria & Albert museum, pourquoi avoir choisi de vous spécialiser sur le kimono et les textiles japonais ?

En tant que directrice du Département Asie, je dirige au quotidien une équipe de plusieurs curateurs et nous gérons plus de 150 000 objets d’art datés entre le 3ème siècle avant JC et la période actuelle, tous supports confondus. Cela est très stimulant et exigeant et nous menons de nombreux projets associés : expositions mais aussi recherches, conférences…En tant que commissaire et plus personnellement, parmi les nombreuses expositions que j’ai organisées l’exposition « Kimono : Kyoto to Catwalk » a une place particulière dans mon cœur car elle est liée à mes recherches autour des textiles japonais, des échanges entre le Japon et l’Europe et des implications transculturelles sous-jacentes.

Comment avez-vous découvert les textiles japonais ?

En réalité je n’ai pas suivi de cursus d’histoire de l’art asiatique mais d’histoire de l’art occidental. Je suis arrivée un peu par hasard dans le Département et j’ai commencé par me tourner vers le côté transculturel véhiculé par le vêtement alors que mes collègues avaient une hyper spécialisation par catégorie : céramique, estampes.. J’ai choisi les textiles japonais de façon purement subjective pour leur qualité esthétique, notamment le kimono. Ma collègue, experte en textiles chinois était ravie que je prenne en charge les textiles japonais, ce qui m’a permis de compléter mes connaissances en techniques d’impression ou de teinture.

Kimono for a woman, possibly Isesaki, 1915 -1930 The Khalili Collection of Japaneses Art

Comment le kimono est-il intrinsèquement lié à la culture de l’ukiyo-e ?

Littéralement ukiyo-e veut dire « images du monde flottant », renvoyant à cette culture urbaine très dynamique, de divertissement et d’élégance, qui s’est développée à la fin du 17ème siècle et au 18ème, autour des acteurs et des courtisanes qui deviennent les icônes de l’époque. Le kimono est un sujet central des estampes avec ces paysages et magnifiques personnages féminins. Même si ce ne sont pas des représentations fidèles de la réalité, ces estampes permettent de suivre l’évolution du vêtement et des styles. Elles soulignent aussi l’importance de la mode à l’époque. De plus ces estampes étaient très abordables, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Quels étaient vos principaux défis en tant que curatrice de cette exposition au Musée du Quai Branly ?

Les défis concernaient plutôt les équipes sur place, l’exposition ayant déjà été montrée au Victoria & Albert museum en 2020 même si avec la pandémie nous avons dû la fermer très vite pour la rouvrir selon certains quotas, ce qui a fortement nui à sa visibilité. Elle a ensuite voyagé en Suède où elle a connu les mêmes mésaventures, c’est pourquoi il était très excitant de la découvrir à Paris où l’on peut enfin la proposer dans des conditions de visite optimales ! D’autant que le public français est très amateur de mode et de ce qui touche au Japon. Les challenges sont toujours renouvelés selon l’espace qui accueille une exposition, par exemple au V&A nous avions deux grandes galeries rectangulaires, tandis qu’au Musée du Quai Branly, la mezzanine impliquait des configurations inhabituelles, parfois étroites mais le résultat est tout à fait satisfaisant. C’est toujours très agréable de découvrir l’exposition sous un nouveau jour dans d’autres espaces et partis pris scénographiques.

Vue de l’exposition Kimono musée du Quai Branly © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine

Comment avez-vous choisi le nombre de kimonos et d’objets associés en termes de scénographie et d’espace ?

Nous partions d’une liste très conséquente d’objets même si notre démarche consiste à se demander en amont, quelle sorte d’histoire l’on souhaite raconter, comment on souhaite organiser ce récit de sorte qu’il soit reçu par le plus grand nombre.

Nous avons défini trois grandes sections dans l’exposition. La première « Le kimono au Japon » principalement sous l’Epoque Edo, la suivante « Le kimono autour du monde » autour des interactions à la fin du XIXème entre le Japon et l’Europe et la dernière « Le kimono transformé » selon les évolutions après la Seconde Guerre mondiale. L’idée n’est pas de surcharger le visiteur de trop d’objets et de savoir faire des choix pertinents pour qu’il puisse établir des liens, entre les sections, ouvrir les horizons et les perspectives. Ce n’est jamais un moment facile mais cela partie des grands défis de nos métiers.

La dernière partie sur la renaissance du kimono est l’une des révélations de l’exposition, comment l’avez-vous imaginée ?

Il y a tellement d’expositions sur la mode à présent même si la mode a toujours fait partie des sujets souvent dépréciés, considérée comme légère et ne méritant pas une exposition alors que la façon dont nous nous habillons révèle tout d’une société. La plupart des expositions concernent la mode occidentale ou des designers très célèbres et nous voulions démontrer que la mode s’épanouit partout dans le monde et en particulier au Japon, renforcé par ce phénomène de renaissance du kimono. Dans les années 1990 lors de mes voyages je voyais rarement des personnes porter le kimono à l’exception de certaines femmes âgées ou de serveuses de restaurant, alors qu’à présent le kimono est largement porté dans la rue. Cela a commencé par la nouvelle vague de designers indépendants qui déconstruisent et redéfinissent le kimono. Ce captivant transfert a été l’une des révélations de l’exposition. Bien que connaissant certains créateurs de kimonos plus renommés comme les « trésors nationaux vivant » que j’avais déjà rencontrés, je n’avais jamais encore rencontré ces jeunes designers qui se réapproprient le kimono. Cela a été très enrichissant d’échanger avec eux, de découvrir leur motivation, leur processus créatif, certains étant formés dans des écoles de mode ou de design, occidentales ou non, Pourquoi le kimono reste si spécial à leur yeux et comment ils souhaitent le rendre attirant pour les jeunes générations en proposant des kimono plus casual à partir de coton ou de polyester sur impression digitale, ce qui le rend très accessible.

Le kimono n’a pas disparu, il ne cesse de se réinventer même s’il est l’héritier d’une longue tradition et c’est ce que nous voulons montrer à travers cette exposition.

🎧 En écoute : Anna Jackson (English version)

Catalogue Editions de La Martinière (boutique du musée), 336 pages , 55 €
une belle idée pour les fêtes !

INFOS PRATIQUES :
KIMONO
Commissaires : Anna Jackson, Conservatrice en chef du département Asie du Victoria and Albert Museum, Londres
Josephine Rout, Conservatrice au département Asie du Victoria and Albert Museum, Londres
jusqu’au 28 mai 2023
Seule la réservation d’un créneau horaire dédié garantit l’accès.
Billets
Plein tarif : 12,00 €
Tarif réduit : 9,00 €
musée du quai Branly – Jacques Chirac – Expositions
37 Quai Jacques Chirac
75007 Paris
https://m.quaibranly.fr/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.