L'Invité·e

Carte blanche à Adrian Bondy : Des temps difficiles

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Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invité de la semaine, le galeriste et mathématicien britannique Adrian Bondy, fait un triste état des lieux des galeries photo. Comme il nous le précise, il y a quelques temps dans le 5ème arrondissement de Paris, on comptait trois galeries consacrées à la photo, aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une. C’est également un coup de gueule qu’il souhaite pousser contre l’indifférence des journalistes : en dix ans, pas un seul est venu visiter sa galerie…

Les galeries ont la vie dure ces temps-ci. Il n’y a pas si longtemps, le cinquième arrondissement comptait trois galeries de photos. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une, les autres se sont dématérialisées. Il est tout simplement trop coûteux de gérer une petite galerie compte tenu de la rareté des visiteurs et, plus encore, des collectionneurs, qui ne fréquentent que les galeries et les salons établis. Mind’s Eye se maintient pour l’instant car ce n’est pas une galerie commerciale et l’espace est gratuit. Mais pour combien de temps ?

Les journalistes de la presse n’ont pas été d’un grand secours. Malgré des annonces répétées par courrier et par e-mail, aucun n’a montré suffisamment d’intérêt ou de curiosité pour visiter la galerie en dix ans. J’ai parlé à plusieurs d’entre eux, distribuant des informations sur la galerie et nos expositions, lors d’événements tels que Paris Photo, les Rencontres d’Arles, et la déclaration du Prix Nadar. « Vous avez bien fait », m’a-t-on dit à Arles. Après avoir reçu une invitation à une exposition collective de portraits, qui était complétée par des œuvres d’Albin-Guillot, de Karsh, de Meatyard et d’autres provenant de ma modeste collection personnelle, j’ai reçu une demande d’un critique : « Combien y a-t-il de Karsh ? ». Lorsque j’ai répondu qu’il n’y en avait qu’un seul, et qu’il s’agissait d’un portrait de groupe officiel du gouverneur général du Canada (l’auteur John Buchan), de sa famille et de sa suite, mon interlocuteur a perdu tout intérêt. Un autre journaliste, après un bref échange de courriels, a promis de passer mais ne l’a jamais fait. Un autre encore a découvert le travail délicat et sensible de Chieko Shiraishi dans une autre galerie, un an ou plus après sa deuxième exposition à Mind’s Eye.

Même un diaporama rétrospectif d’une demi-heure sur les 42 expositions mises en place depuis 2012 n’a pas pu les tirer de leur indifférence. Le fait que Mind’s Eye ne soit pas situé dans un quartier de galeries y est peut-être pour quelque chose, mais alors Camera Obscura non plus, par exemple. Nos artistes sont peut-être moins connus (pour l’instant), mais plusieurs d’entre eux seraient tout à fait à leur place dans des galeries plus importantes, où ils recevraient l’attention qu’ils méritent.

Les médias électroniques, en revanche, nous ont beaucoup soutenus, notamment L’Œil de la Photographie et 9 Lives, et nous leur en sommes reconnaissants. Néanmoins, le flux constant d’images sur internet tend à noyer rapidement dans son sillage presque toutes celles qui les précèdent ; seules quelques rares images restent imprimées dans l’esprit. Le livre photo semble présenter une issue à ce trou noir. Alors que la production d’une seule photographie peut demander beaucoup de travail (prise, sélection, postproduction), un livre demande beaucoup plus de réflexion et d’investissement en temps (et en argent). Cependant, le nombre de livres photo augmente également rapidement. Si cela témoigne de l’attrait et de l’influence croissants de la photographie, cela commence à poser un problème similaire.

Dans le film Amadeus, Salieri disait des compositions de Mozart « Trop de notes ». On pourrait de même se plaindre de trop de photos et de trop de livres. À un niveau individuel, on peut choisir de pratiquer la ‘photographie lente’. Mais on n’échappe pas à la marche du temps.

Galleries are having a hard time these days. Not long ago, the 5th arrondissement boasted three photo galleries. Now there remains just one; the others have dematerialised. It is simply too expensive to run a small gallery given the scarcity of visitors and, still more so, of collectors, who frequent only established galleries and salons. Mind’s Eye soldiers on for the time-being because it is not a commercial gallery and the space is rent-free. But for how long?

Press journalists have not been helpful. Despite repeated announcements both by mail and email, not one has shown sufficient interest or curiosity to visit the gallery in ten years. I have spoken to several of them, handing out information about the gallery and our exhibitions, at events such as Paris Photo, les Rencontres d’Arles, and the pronouncement of the Prix Nadar. “Vous avez bien fait”, I was told at Arles. Upon receiving an invitation to a group exhibition of portraits, which was supplemented with works of Albin-Guillot, Karsh, Meatyard and others from my modest personal collection, I received an enquiry from one critic: “How many Karsh’s are there?”. When I replied that there was just one, and that it was a formal group portrait of the Governor General of Canada (the author John Buchan), his family and retinue, the caller lost interest. Another journalist, following a brief email exchange, promised to come by but never did. Yet another discovered the fine sensitive work of Chieko Shiraishi at another gallery a year or more after her second exhibition at Mind’s Eye.

Not even a half-hour retrospective slide show of the 42 exhibitions put on since 2012 has aroused them from their indifference. The fact that Mind’s Eye is not located in a gallery district is perhaps a contributing factor, but then neither is Camera Obscura, for instance. Our artists may be less well known (for now), yet several of them would not be out of place in more prominent galleries, where they would receive the attention they deserve.

Electronic media, on the other hand, have been quite supportive, particularly L’Œil de la Photographie and 9 Lives, and we are grateful to them. Nonetheless, the constant flow of images on internet tends to rapidly drown in its wake almost all the ones preceding them; only a few rare images remain imprinted in the mind. The photobook seems to present a way out of this black hole. Whereas the production of a single photograph may require much work (execution, selection, postproduction), a book demands considerably more reflection and investment of time (and money). However, the number of photobooks is also growing rapidly. Although this speaks to the increasing attraction and influence of photography, it is beginning to pose a similar problem.

In the film Amadeus, Salieri said of Mozart’s compositions “Too many notes”. One might likewise complain of too many photos and too many books. On an individual level, one may elect to practise ‘slow photography’. But there is no escaping the march of time.

INFORMATIONS PRATIQUES

sam26nov(nov 26)14 h 00 minsam24déc(déc 24)19 h 00 minMind's Eye fête ses dix ansMind's Eye - Galerie Adrian Bondy, 221 rue Saint-Jacques 75005 Paris


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