Juin, 2025

Jonàs Forchini Un apprentissage du trouble chapitre #3

dim22jui(jui 22)10 h 00 mindim31aou(aou 31)18 h 30 minJonàs Forchini Un apprentissage du trouble chapitre #3Un apprentissage du trouble chapitre #3 Galerie Hasy, 21 grande rue 44510 Le Pouliguen

Détail de l'événement

La Résidence Recherche Photographique est organisée depuis 2017 par HASY qui bénéficie depuis 2021 du soutien du programme national de résidence photographique « CAPSULE ».
Après un premier cycle de résidences orientées sur la « matière paysage » en partenariat avec le Musée des Marais Salants de Batz sur Mer, HASY souhaite proposer pour les trois années à venir une orientation tournée vers la mer, ses acteurs et ses enjeux.
HASY, du fait de sa situation géographie (presqu’île Guérandaise et St Nazaire) offre un accès privilégié à la mer, aux activités et aux acteurs du littoral.

OBJECTIF
Offrir à un ou une artiste, le temps et les moyens de produire un travail, et qui par son sujet, sa mise en oeuvre, interroge et met en lumière une problématique liée à la mer.
Dans le cadre de cette résidence les membres d’HASY se mobilisent pour accompagner au mieux l’artiste dans sa production que se soit sur le terrain à travers la mise en réseau avec les acteurs locaux, l’aide aux déplacements, l’editing et la production de son exposition .

Texte curatorial : Alejandro León Cannock

Un apprentissage du trouble #3

01. Le monde sous-marin, traditionnellement associé à l’archaïque, est devenu, au fil des siècles, le dépositaire des projections les plus fantastiques de notre culture. Malgré cette fascination, l’histoire de la photographie compte très peu d’artistes ayant développé leur œuvre à partir de ce fond subaquatique. Les images réalisées dans les profondeurs marines sont bien plus rares que celles produites à la surface terrestre, et même plus rares que celles capturées dans l’espace extra-atmosphérique. Paradoxalement, la science a davantage cartographié visuellement le cosmos que les fonds marins. Animé par un esprit d’exploration désireux de renouveler les possibilités de la pensée, le photographe catalan Jonàs Forchini explore, depuis quelques années, cette terra incognita, situant ainsi sa pratique créative au-delà des frontières strictes de l’art. La photographie et l’eau sont ses médiums : la première comme langage ; la seconde, comme habitat. Forchini incarne ainsi une figure singulière du chercheur-créateur : l’ « artiste-plongeur ».

02. Contrairement à ce que prétend la pensée techno-scientifique dominante en Occident — voir et connaître tout avec certitude —, Forchini ne cherche pas à représenter le monde subaquatique selon les codes de transparence propres au régime visuel de la modernité. Bien au contraire, son objectif est de réaliser une immersion visuelle et existentielle, une phénoménologie, respectueuse de la nature opaque de l’habitat sous-marin. De cette intention critique émerge Un apprentissage du trouble, projet que Forchini développe depuis quelques années dans les zones littorales de la mer Méditerranée et de l’océan Atlantique. L’ensemble des images — paysages panoramiques, autoportraits, mises en scène et natures mortes — exposées et produite au centre photographique HASY dans le cadre de la Résidence Recherche Photographique et réalisées en collaboration avec la Station biologique de Roscoff (Sorbonne Université) et l’équipe d’archéologues subaquatiques d’ADRAMAR de Saint-Malo, constitue le troisième chapitre de “Un apprentissage du trouble”, intitulé : « L’artiste-plongeur : le corps mis à l’épreuve dans le monde sous-marin ».

03. Forchini sait bien qu’habiter l’Eau n’est pas habiter la Terre. Son travail de création-en-immersion à 20, 30 ou 40 mètres de profondeur implique donc une mise à l’épreuve de soi. Dans ce contexte, toutes les facultés sont altérées. Il ne s’agit pas seulement d’une difficulté à voir. L’odorat, le goût et l’ouïe sont affectés par la densité de l’eau ; et le toucher, soumis à la pression et aux basses températures, bouleverse la sensation du propre corps. L’orientation dans l’espace et le temps devient alors difficile. Et respirer, acte réflexe de notre organisme, devient une affaire de conscience profonde. Ces effets physiologiques modifient la perception de la réalité extérieure et la proprioception, générant à leur tour des altérations affectives : le plongeur peut ressentir des sensations d’étouffement conduisant à la panique, mais aussi une agréable « sensation océanique » de fusion avec le tout. Dans ce processus, nos capacités cognitives peuvent se voir altérées, affectant la compréhension de notre environnement et générant, dans des situations extrêmes, des états de délire temporaire. C’est donc la totalité de l’être-au-monde de l’artiste-plongeur qui se trouve transformée durant le processus de création immersive.

04. C’est à cette expérience que Forchini donne le nom d’« apprentissage du trouble ». Cet apprentissage est bien plus profond que celui lié à une activité sportive, technique, artistique ou scientifique. Il s’agit, en réalité, d’un geste philosophique critique, d’un processus de désapprentissage nous invitant à oublier l’ethos de la pensée léguée par l’homo modernus. En ce sens, l’œuvre de Forchini suggère trois lignes de désapprentissage : technologique, épistémologique et éthique. D’un point de vue technologique, il ne s’agit pas de produire une image-transparente destinée au spectacle, mais une image-opaque vouée au déchiffrement. D’un point de vue épistémologique, il ne s’agit pas de créer des surfaces visuelles informatives au service de l’appareil de connaissance, mais des signes visuels qui, grâce à leur opacité, activent des processus de pensée chez les spectateurs. D’un point de vue éthique, il ne s’agit pas de mettre les images au service de la pensée extractiviste qui cherche à connaître, contrôler et exploiter la réalité, mais de les utiliser comme des espaces de pensée nous incitant à « nous laver les yeux » pour pouvoir imaginer d’autres façons de voir et d’habiter le monde.

05. Les images de Forchini n’offrent pas de réponses, mais des questions. Elles n’illuminent pas, mais permettent de voir autrement. L’exposition invite ainsi aux spectateurs à renoncer à la quête de certitudes et à plonger, par le regard, dans une expérience qui déstabilise nos habitudes visuelles et mentales. Voir le trouble n’est pas un échec de la vision, mais une manière de penser. Penser le trouble n’implique pas de renoncer au savoir, mais d’ouvrir une disponibilité à vivre ce que, d’ordinaire, nous préférons ignorer. Vivre (dans) le trouble n’est pas une situation transitoire à dépasser, mais bien la condition même du monde contemporain, marqué par une crise planétaire éco-politique qui nous exige d’apprendre à naviguer en eaux troubles. Dans ce contexte, le corps de Forchini et sa caméra, loin d’être de simples instruments, se transforment en un médium unique et sensible, en un dispositif incarné de médiation entre un monde qui annonce son déclin et un autre, encore inconnu, que nous commençons peut-être à entrevoir.

Dates

22 Juin 2025 10 h 00 min - 31 Août 2025 18 h 30 min(GMT-11:00)

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