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Partager Partager Je me suis rendu à Paris Photo avec une impression tenace : une grande partie de la photographie d’auteur n’est plus tant un ensemble d’images qu’un système de signes parfaitement lisibles. En lisant Hanif Abdurraqib dans The New Yorker, à propos d’Elvis Presley et de Taylor Swift, j’ai compris ce malaise. Il décrit Elvis comme l’un des premiers « blank-slate pop stars », surface sur laquelle une société projette ses désirs et ses peurs. Il ajoute que Taylor Swift occupe aujourd’hui une place similaire : chaque chanson, chaque concert devient un miroir où les fans relisent leur propre biographie. Surtout, il insiste sur le fait que ni Elvis ni Taylor Swift n’ont besoin de ressentir profondément les grands thèmes dont leurs chansons sont porteuses : ils peuvent les incarner sans nécessairement les éprouver. Ce qui compte alors n’est plus ce qu’ils vivent, mais tout ce que chacun peut déposer sur eux. À Paris Photo, j’ai eu le sentiment que beaucoup de séries fonctionnent désormais de la même façon : non comme des regards singuliers, mais comme supports de projection pour les récits attendus de notre époque. La nouvelle hiérarchie des sujets En parcourant les stands et en feuilletant souvent les photobooks en vente, on sent le poids des « bons thèmes » : les grandes causes sociales du moment, les identités blessées, les récits de réparation, toutes ces idées à la mode qui confèrent d’emblée une légitimité morale. Ces réalités existent, elles sont graves et méritent d’être vues. Le problème, c’est leur statut préférentiel. Certains sujets jouent le rôle de sésame : ils rassurent jurys, galeries, institutions, collectionneurs. On voit alors se multiplier des travaux où le sujet tient lieu de talent, tandis que des œuvres plus silencieuses, moins résumables en trois lignes, mais plus profondes, se retrouvent marginalisées. Un public nouveau, peu formé à distinguer ce qui compte de ce qui semble compter, achète alors surtout des positions morales plutôt que des images. Et quand on ose questionner cette hiérarchie, la réponse tombe souvent : De gustibus non est disputandum – les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Formellement, c’est vrai. Mais utilisé ainsi, c’est un paravent commode pour éviter les vraies questions : • Pourquoi ces mêmes thèmes reviennent-ils partout, sous des formes parfois interchangeables ? • Comment distinguer une image habitée par une nécessité intérieure d’une image principalement conçue pour cocher les attentes du moment ? Le goût a sa part de subjectivité, mais le regard, lui, peut s’éduquer. Refuser toute discussion au nom de De gustibus…revient à renoncer à parler de photographie. Taylor Swift, les blank-slate images et Serra La comparaison d’Abdurraqib entre Elvis et Taylor Swift m’aide à nommer ce que je vois : dans bien des expositions, les images se comportent comme des chansons de stade. Leur singularité formelle compte moins que leur capacité à accueillir sans résistance des récits déjà prêts sur l’injustice, la résilience, la rédemption. L’œuvre devient un vecteur de consensus plus qu’un lieu d’inconfort ou de découverte. C’est là que la réflexion de Richard Serra introduit une coupure nette. Serra affirme que l’art doit son indépendance à son ultime inutilité : une œuvre d’art n’a pas de but pratique. C’est pourquoi, selon lui, les bâtiments de son ami Frank Gehry ou les meubles dessinés par Frank Lloyd Wright ne peuvent en aucun cas passer pour des œuvres d’art. Ils répondent à un programme : abriter, meubler, résoudre des contraintes. Serra précise que Gehry et Norman Foster sont d’accord avec lui sur ce point. Ce sont des créateurs majeurs, mais leur domaine reste celui des arts appliqués. Transposée à la photographie, cette distinction est éclairante. Quand une série sert avant tout à illustrer une cause, à produire du capital moral, à cocher les attentes d’un appel à projets ou d’un commissariat, elle glisse vers la photographie appliquée. Au sens de Serra, elle perd de son statut d’œuvre autonome pour devenir un instrument, un outil de communication, même sophistiqué. Art, cause et indépendance Il ne s’agit ni de mépriser les luttes, ni d’exiger un art indifférent au monde. Mais si toute image doit désormais prouver son utilité sociale, politique ou thérapeutique pour exister, alors l’art se dissout dans le champ du « utile ». Une photographie peut naître d’une compassion réelle pour les plus vulnérables et malgré tout refuser d’être réduite à cette fonction. Elle peut laisser de la place au doute, à l’ambiguïté, à ce qui ne se résout pas. Sa force tient justement à ce qu’elle ne sait pas, ne prouve pas, ne revendique pas entièrement. À l’inverse, une image trop parfaitement alignée avec le discours du moment devient l’équivalent d’un slogan visuel : elle circule vite, se partage facilement, rassure tout le monde – et s’épuise tout aussi vite. Paris Photo, Grand Palais 2025 © Marie de la Fresnaye Ce que les images nous doivent encore Depuis des mois, une formule me sert de boussole : celle de Francis Hodgson, co-fondateur du Prix Pictet, parlant de « photographs that matter ». L’idée que certaines images comptent réellement – to matter – a formulé avec une clarté saisissante ce que je ressentais confusément sans savoir le dire. C’est à lui que je dois ce noyau conceptuel : la différence entre des images qui ont un véritable poids, et celles qui n’en ont que l’apparence. La vraie question n’est donc pas : « ce sujet est-il légitime ? », mais : que fait réellement cette image ? Nous ouvre-t-elle un espace intérieur, ou se contente-t-elle de confirmer ce que nous pensions déjà ? Nous oblige-t-elle à regarder plus longtemps, ou nous demande-t-elle seulement de reconnaître des signes convenus de bonne conscience ? Au milieu du vacarme des foires et des réseaux, je continue de chercher les photographies qui se tiennent du côté de Serra et de cette exigence formulée par Hodgson : inutiles au sens pratique, mais nécessaires pour une autre raison, plus difficile à formuler. Celles qui ne nous enrôlent pas, qui ne nous flattent pas comme des fans devant une idole, qui gardent leur indépendance précisément parce qu’elles refusent d’être de simples surfaces de projection ou des supports de campagne. Ce sont ces images-là, même si elles ne sont pas à la mode, qui continueront de compter quand beaucoup d’autres – portées par les causes et les idées du moment – auront disparu de la playlist du regard. Marque-page0
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