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Manque de culture photographique dans le photojournalisme
Le Coup de gueule de Jean-François Leroy

Temps de lecture estimé : 4mins

Aujourd’hui, Jean-François Leroy, Directeur du festival Visa pour l’image à Perpignan, évoque un problème majeur dans le secteur du photojournalisme de cette génération. Il y a de plus en plus de photographes, mais de moins en moins de bons sujets, ce qui s’expliquerait par un manque de culture photographique.

Il y a 25 ans, je recevais 1000 propositions de reportages par an, j’étais obligé d’en rejeter environ 850. Mais dans tous ceux là, il y en avait au moins 300 d’excellents. Aujourd’hui, j’en reçois plus de 4500 et je n’ai plus que 150 dossiers exceptionnels, et cela vient de plusieurs choses…

Tout d’abord, les photographes ne savent pas éditer, c’est à dire que quand ils font un travail, ils présentent 15 images, mais ils font l’erreur de présenter le même editing à différentes rédactions, alors que justement il faut ajuster son editing, il faut s’adapter au support auquel on s’adresse.

Ils manquent de rigueur dans la construction de leur sujet. Souvent on a quand même l’impression que le photographe qui a fait par exemple un sujet sur la chasse au Japon qui est pratiquée depuis le XVème siècle, est passé dans un village pour faire 10 photos, et qu’il pense que le sujet est fait. Ce n’est pas ça de construire un sujet. Raconter une histoire c’est autre chose, alors il est vrai, que la technique a beaucoup évolué, ce qui fait qu’aujourd’hui, pour rater une photo faut vraiment être mauvais.
Techniquement la photo est devenue beaucoup plus accessible à tout le monde. Maintenant, est-ce que la construction d’une histoire est devenue accessible à tous, je ne le crois pas.

Par exemple, pour cette 30ème édition, les catalanistes me reprochent qu’il n’y ait aucun sujet sur les événements qui se sont déroulés en Catalogne. J’ai en effet annoncé qu’il n’y aurait rien tout simplement parce que je n’avais pas vu un bon sujet dessus ! Alors on me traite de suppôt de Franco, je me fais insulter… J’ai vu beaucoup d’images de manifestations pour et contre l’indépendance, mais je n’ai vu aucun sujet. Aucun qui explique le contexte général, alors on ne comprend pas. L’indépendance ne s’arrête pas aux manifestations.
Alors sous prétexte que nous sommes à Perpignan, nous devons le montrer ?

Pour le festival, les expositions et les projections sont sélectionnées parmi tous les dossiers que l’on reçoit, mais pas uniquement. Je fais beaucoup de recherche également. C’est par exemple le cas du reportage de George Steinmetz sur la mal-bouffe, cela fait 5 ans que je suis dessus. J’ai découvert Luis Tato, qui remporte le Prix Remy Ochlik, au New York Times Portfolio Review, mais à côté de ça un photographe comme James Oatway et son sujet sur les fourmis rouges en Afrique du Sud, je n’en avais jamais entendu parlé. Il a soumis son sujet et à la 3ème image, je me suis dit « je prends! ».

Les gens ne savent plus vraiment raconter des histoires. Entre des photographes comme Guillaume Herbaut, Pascal Maitre, vous voyez un sujet avec eux, il y a 30 images et rien à jeter, il y a une histoire avec un début, un milieu et une fin. Pendant que d’autres vous en amène 300, et… il n’y a rien!
Sans parler du manque d’originalité du sujet qui fait qu’au bout de 3 photos, vous n’avez plus envie de regarder. Je suis désolé, mais les sujets sur les transsexuels en Thaïlande ou les enfants des égouts à Oulang Bator en Mongolie, je n’en peux plus !

Tous ça précède d’un manque de culture photographique, et si un photographe veut faire un sujet sur les enfants au travail sans connaître Lewis Hine, Jean-Pierre Lafont et Marie Dorigny, ou un travail sur les prostitués de Bombay sans connaître Marie Ellen Mark, ça va être dur. J’ai reçu un sujet de 25 images sur les mariages de petites filles au Yemen d’un photographe qui n’avait même jamais entendu parler du travail de Stéphanie Sinclair !
Car il y a quand même de nombreux sujets qui ont été marquants, et l’histoire de la photographie ne s’arrête pas à Nachtwey et Salgado.
Je pense qu’il y a aussi un vrai manque de curiosité.
Mon conseil aux photographes serait donc de regarder autour de soi et de faire des recherches sur ce qui a déjà été fait avant de démarrer un sujet.

INFORMATIONS PRATIQUES

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Pour ceux qui ne peuvent se rendre à Perpignan, pour cette édition anniversaire, Visa pour l’image s’expose à La Villette lors du week-end du 15 et 16 septembre !

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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