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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe français Arno Brignon, nous parle de Résidence(s). Les résidences de création permettent à un grand nombre de photographes, comme Arno, de développer des projets personnels. Si la compétition est rude (beaucoup de candidatures pour peu d’élus), il est triste de constater que certaines structures peu scrupuleuses proposent des conditions de résidence où « le photographe n’a rien à gagner et tout à perdre« . Alors, photographes, restez vigilant·es !

Avec les années, les résidences sont devenues un fil rouge dans ma vie. Derrière cette appellation se cache des réalités diverses, mais toutes ont la forme de l’iceberg : le temps passé sur place, portion congrue du nécessaire à la création. Cette dernière commence presque toujours par la note d’intention, tâche incertaine, porteuse des premiers espoirs. Le plaisir des mots m’est d’ailleurs venu grâce à cette pratique obligatoire. Écrire, c’est déjà un voyage.

Pour qui veut gagner son billet, la règle du jeu à des airs de Koh-Lanta : un seul dossier retenu pour 30 à 100 candidatures, selon la renommée, le territoire, la rémunération, la part de création et celle d’atelier, le jury, et tout un tas de critères plus ou moins objectifs… Je sais l’infime qui fait basculer le choix d’un dossier à l’autre. Alors pour atténuer un refus prévisible, je me convaincs qu’à défaut du projet souhaité, ce sera la possibilité d’en amorcer d’autres. Maigre consolation, quand arrive le message honni. « Malgré l’intérêt de votre dossier… ». Le coup est brutal, la déception, inévitable. Au discrédit se mêlent frustration et colère, parfois de celles qui permettent de repartir, avec comme une envie de prouver.

© Arno Brignon / Signatures

L’aventure comme rêve, depuis mes premières lectures de Stevenson ou Jack London, l’envie de confondre ma vie avec les bandes dessinées d’Hugo Pratt. J’ai toujours eu soif de départ plus que de destination. Et si voyager est l’occasion de s’inventer un personnage, le mien sera photographe. Les résidences m’offrent le hasard des territoires, l’obligation des déplacements.

Dans mes explorations, les lignes de vie et les courbes de niveau s’entrecroisent. En jaillissent des liens éternels, presque fraternels, sertis de promesses de retrouvailles trop rarement tenues. La sincérité n’en est pas moindre. Partir est une douleur, revenir une autre. J’ai, à chaque résidence, la sensation d’un rituel chamanique où, en foulant le sol de ces lieux, j’en ai absorbé une part de l’âme, et laissé une part de la mienne. L’argentique comme catalyseur de la magie qui s’opère, et outil essentiel à la perte de contrôle. Car le hasard ou l’accident est autant un allié du voyage que de la création. Dans un étrange contresens lexical, les résidences sont mon mouvement. Au fils des ans, j’ai habité tant les cités de Corbeil-Essonnes que d’Aussillon – au cœur de la Montagne Noire –, arpenté les estives du Couserans comme les plaines de la Beauce, visité, d’un hémisphère à l’autre, le village de Lectoure comme la Cerro Cordillera de Valparaiso. J’aime ces lieux où celui de passage doit trouver sa place, car il a la chance pouvoir l’écrire lui-même. Flirter avec la légitimité à être quelque part, c’est là mon exploration.

Temps de découverte, de création, de faire ensemble, ou de refuge, les résidences fleurissent, au même rythme que les commandes disparaissent. Si précieuses, elles ne se valent pas pour autant, s’y cachent les mêmes affres que dans les autres champs de la création. La compétition reste trop souvent le point d’entrée et il n’existe pas de barème pour les honoraires, pas de règles pour les frais, pas de code éthique, alors certain n’hésitent pas à « offrir » des résidences où le photographe n’a rien à gagner et tout à perdre. D’autres camouflent derrière ce mot, des commandes où la liberté de création n’a plus sa place. D’autres encore viennent ajouter tant d’ateliers et de médiations que l’on peut se demander si l’objectif n’est pas de s’exempter de payer des heures d’interventions (qui elles ont un barème) plus que de « favoriser » la rencontre entre un artiste au travail et un public. Certains ne prennent pas en charge les frais, les déplacements, les hébergements, d’autres au contraire que les frais… Venir en famille est parfois interdit, comme si les photographes vivaient tous sans enfants, sans conjoints, sans attache, prêts à tout quitter à tout moment… C’est encore le Far West au pays des résidences. 

Heureusement, nombre de lieux qui proposent des résidences, portent attention à la création et aux conditions de vie des artistes. Mais il serait peut-être temps, à la manière de ce qui a été fait pour les festivals de signaler les appels à auteur aux conditions abusives, mieux encore d’imposer des minimums de rémunération. C’est ici l’occasion pour moi de remercier les lieux exemplaires qui m’ont accueilli ces dernières années en résidence : Le bus espace culturel Mobile et la communauté de communes du couserans, Le centre d’art et de photographie de Lectoure, La ville de Cherbourg en Cotentin, le centre photographique de Rouen, 2angles, Zone i, le Graph, le FIFV, la ville d’Aussillon, L’œil Urbain, Tulipe Mobile. 

La Rédaction
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