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Mathieu Farcy a été l’invité de Stimultania, dans le cadre de sa résidence Cinq Étoiles, à Givors en 2023. Le livre d’amour et de rage publié par Stimultania Éditions est le fruit de celle-ci. Mathieu y interroge avec la collaboration d’une dizaine d’habitants de la ville ce qui fait refuge pour chacun d’entre eux. En cette période de troubles nombreux et variés, l’idée proposée par le photographe est d’arriver à renouer les liens aux autres, mais aussi et surtout à toutes les parties de soi, corps et âme.

Ils sont là, dans le pli des images de Mathieu Farcy. Ils sont là, Yamina, Élisa, Nabil, Thierry, M., Filipe, Amélie, Mehdi et Mallory. Ils sont là et en se racontant, ils nous racontent la Vie.
L’une se grime le visage de poudre noire, l’autre appuie sa tête contre un mur d’usine décrépite ; des mots aussi sous les barbelés « des cendres dans les yeux ». Les visages crient et rient, une épaule se dénude, une voiture rouille. Le temps passe, les heures blessent, mais ici, elles ne tuent pas. On marche en forêt, une cabane sert de refuge, un sac percé d’où l’eau coule. Une femme enlace un arbre.
Ce sont une somme d’instants doux et durs, de moments de calme violent, de tristesse heureuse. Les lieux sont anonymes, pourtant tout à chacun peut s’y retrouver. Il y a l’eau, un poisson mort, le soleil sur un visage. Aussi, au cœur du livre, Mehdi qui a choisi de photographier lui-même son refuge et de nous l’offrir.

D’amour et de rage est un travail partagé, un travail d’écoute et de faire-ensemble © Mathieu Farcy / Signatures

Mathieu écrit en préambule : « Ensemble, nous avons imaginé ces œuvres comme des résistances, des actes d’affirmation de soi […]. » Et c’est de ça dont il est question dans d’amour et de rage : l’amour de soi passe d’abord par cette rage de vivre, de se battre, de lutter pour être, pour réconcilier nos parties. Puis, une fois cet acte fait, une fois que nous entrons en résistance contre l’incurie du monde, nous pouvons penser alors en groupe. S’unir pour mieux se construire, tel pourrait être le propos des images de Mathieu. Être à soi pour être aux autres, aussi.

D’amour et de rage est un travail partagé, un travail d’écoute et de faire-ensemble © Mathieu Farcy / Signatures

Le travail de Mahieu Farcy est toujours en lien avec l’autre. Que ce soit ses séries Je n’habitais pas mon visage ou Saint Loups par exemple, le photographe travaille en étroite collaboration avec les personnes qu’il photographie. Plus que de simples modèles dont se servirait le photographe, ce sont de véritables co-auteurs des œuvres réalisées. Et, cette complicité se ressent indéniablement dans d’amour et de rage. En effet, chacune des images, pensée en duo, porte en elle toute une histoire qui fait sens. Ici, chacun.e livre son passé, ses désarrois, les violences subies, les joies perdues et retrouvées, les souffrances, les exils, le travail aliénant, le corps, le sexe que l’on ne choisit pas, l’alcool, la rue, la peau. Un récit plus vaste se tisse, complexe, un récit d’humanité. Les photographies retracent ce qu’est être humain. Tout simplement. Mathieu Farcy aborde ce qui nous compose, ce qui nous crée, nous construit. Nous avons des vécus parfois éloignés, souvent similaires ou reliés. Ici, l’altérité n’est pas un mot. C’est d’abord et surtout une réalité.

D’amour et de rage est un travail partagé, un travail d’écoute et de faire-ensemble © Mathieu Farcy / Signatures

Bien sûr nous n’avons pas tous et toutes connus les souffrances des autres, la violence de certains mots, gestes ou vécus. Pourtant, nos propres passés portent en eux des moments qui nous font dire que l’Autre et Moi sont une seule et même entité. Frères et sœurs humains, nous cherchons aussi nos refuges, nos recours pour nous défendre des avanies de l’existence. Des jeux d’enfant au bord du fleuve, des tissus chamarrés étendus, des mains oiseaux qui s’envolent, nous en sommes aussi, d’une certaine manière, le fruit. D’amour et de rage raconte à la première personne du singulier un récit écrit à la première personne du pluriel et celui-ci est d’une force inouïe.

Mathieu Farcy trace un sillon, au gré de ses travaux, qui prend une forme complexe. Mais jamais il ne dévie de cette voie humaniste pour notre plus grand plaisir. Souhaitons qu’il continue à la parcourir, à l’investir pleinement, parce que notre époque, notre monde ont grand besoin de ça : d’amour, de rage, d’espoir, de vie.

« D’amour et de rage » est exposée jusqu’au 31 juillet 2024 à la Maison du Fleuve Rhône ainsi que sur les vitrines de Stimultania à Givors. Une publication accompagne la restitution.

INFORMATIONS PRATIQUES
D’amour et de rage
Mathieu Farcy
Édité par Stimultania et imprimé chez Escourbiac en 100 exemplaires
Novembre 2023
ISBN : 9782490411122
20€
https://www.stimultania.org/produit/damour-et-de-rage-mathieu-farcy/

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

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