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Avec son expérience Alternative Irreality, le photographe Roman Jehanno lance un avertissement clair : l’intelligence artificielle n’a pas fini de bouleverser le monde de la photographie. Son projet interroge de manière frontale la capacité des Intelligences Artificielles Génératives à recréer des images existantes, et surtout, à effacer la main de l’auteur. Le duo de photographes Brodbeck & De Barbuat nous avait déjà produit une histoire parallèle en questionnant l’appropriation des outils de création basés sur l’IA et leur impact sur la photographie, ici, Roman Jehanno illustre ce que beaucoup pense, le travail des photographes a nourri grassement les plateformes d’IAG !

Après plusieurs mois de recherche, Roman Jehanno édite Alternative Irreality, un ouvrage en 250 exemplaires diffusé dans les agences de publicité, galeries et rédactions parisiennes. Au cœur du projet, une question : à quel point l’IA est-elle capable de reproduire des photographies iconniques ? Roman Jehanno a soumis à ChatGPT une liste de plus de 200 images emblématiques, en demandant des descriptions détaillées sans mention des photographes ni des titres originaux. Ces descriptions ont ensuite été converties en images via Midjourney, sans la moindre intervention humaine sur le texte : un protocole strictement confié aux algorithmes.

La production d’une image ne prend que deux minutes et demie — une rapidité déconcertante pour un résultat parfois troublant. Le tout premier test porte sur Migrant Mother, célèbre portrait de Dorothea Lange : le rendu est troublant.

Reproduction de Migrant Mother (Dorothea Lange) par MidJourney. « Alternative Irreality« 

Intrigué, Roman poursuit l’expérience en élargissant la base d’images. ChatGPT lui fournit une liste des 200 photographies les plus iconiques, et l’expérimentation se répète. Les résultats, souvent très proches des originaux, soulèvent une question cruciale : à partir de quand l’inspiration devient-elle appropriation ? Et où commence la contrefaçon ?

Comme nous le rappelait Sylvie Fodor, directrice générale du CEPIC, dans un précédent entretien (consultable en cliquant-ici), « le mal est déjà fait » : des millions d’images issues d’Internet ont nourri les IA sans le consentement des auteurs. Le véritable enjeu aujourd’hui est d’exiger la transparence, aussi bien en amont qu’en aval des images générées par l’IAG, afin de garantir le respect des droits d’auteur. Une bataille engagée depuis deux ans et qui ne semble pas beaucoup évoluer (au grand dam des auteurs).

Reproduction de Sun Kissed (Martin Parr) par MidJourney. « Alternative Irreality« 

Alternative Irreality se positionne comme une expérience critique : aucune œuvre originale n’est reproduite, mais les images générées à partir de descriptions soulèvent avec acuité les débats actuels sur la mémoire visuelle, la propriété intellectuelle et l’avenir du médium photographique. Toute ressemblance n’est pas fortuite — elle est précisément le cœur du problème.

Une version PDF est téléchargeable ici :
https://www.romanjehanno.com/artwork/alternativeirreality

À LIRE
Parlement de la Photographie 2025 : La photographie au défi de l’IA. Entretien avec Sylvie Fodor, Directrice générale du CEPIC

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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