À partir de ce week-end, la photographe Andréa Vamos explore la mémoire des monuments commémoratifs dans son exposition « Spomenik, mon cœur va exploser » au Centre Culturel Municipal de Bonneuil (94). Andréa compte parmi les lauréates du programme de résidence de recherche Elles & Cité à destination des femmes photographes en milieu de carrière basées hors de la région Île-de-France, elle a développé ce travail aux côtés d’Anna Milone, directrice du Centre culturel Jean Cocteau. Dans cette exposition, sous le commissariat de Madeleine Filippi, il est question de réparation et de mémoire d’une part de l’histoire de la Yougoslavie à travers les monuments aux morts, dans une approche plastique et conceptuelle.

Si ma démarche consiste à me rendre sur place pour réaliser des installations in situ, mon projet était avant tout concentré sur la thématique de la réparation de ces lieux détruits pendant de la guerre. En supprimant ces monuments, on détruit une mémoire collective et on fait disparaître une partie de l’histoire de la Yougoslavie.

Portrait d’Andréa Vamos © Andréa Vamos

Andréa, pouvez-vous nous présenter le projet que vous avez développé à l’occasion de cette résidence Elles & Cité en 2024 ?

Andréa Vamos : J’ai souhaité développer un projet débuté en 2023, sur les Spomeniks, des monuments aux morts qui ont été érigés après la Seconde Guerre mondiale dans le territoire de la Yougoslavie. Ces monuments avaient une dimension architecturale et artistique très forte, avec la mort de Josip Broz Tito en 1980 et la guerre qui a éclaté dans les années 90, ils ont été détruits ou pour la plupart, abandonnés. J’étais très impressionnée de voir les images de ces lieux qui circulaient sur les réseaux, avec ces architectures que l’on qualifie de brutalistes et futuristes.

Pour cette résidence, j’ai proposé de poursuivre ce projet, parce que si ma démarche consiste à me rendre sur place pour réaliser des installations in situ, mon projet était avant tout concentré sur la thématique de la réparation de ces lieux détruits pendant de la guerre. En supprimant ces monuments, on détruit une mémoire collective et on fait disparaître une partie de l’histoire de la Yougoslavie. J’ai compris grâce à la résidence que l’histoire de ces lieux abandonnés est beaucoup plus riche que leurs seuls aspects historique et politique.

In situ. 2024 © Andrea Vamos

Vous ne vous intéressez pas à ce territoire par hasard, vous avez vous-même des origines yougoslaves.

A.V. : Oui, je suis née en France mais ma mère est croate et mon père est serbe. Et cet héritage de la Yougoslavie, de l’époque de Tito, m’a été transmis, probablement de manière idéalisée, parce que mes parents avaient déjà émigré en France. Néanmoins, les valeurs mises en avant pendant cette époque, comme la fraternité, l’unité, créer une nouvelle identité en réunissant des ethnies qui s’étaient entretuées auparavant, ce sont des valeurs que je partage même si elles ont un revers de la médaille, puisque cela a conduit à un état totalitaire et autoritaire. Il est aussi question de cela dans ce projet.

Jedan* 2024 © Andrea Vamos
* Traduit du serbo-croate : Unité

Anna, vous êtes directrice du Centre culturel Jean Cocteau aux Lilas. Quel a été votre rôle en tant que mentor ? Et quel est votre retour d’expérience ?

Anna Milone : Je n’utiliserais pas le terme de « mentor » parce que je ne pense pas que ce soit la relation qui se soit tissée avec Andréa. Je parlerais plutôt d’accompagnement qui est plus le rôle d’une commissaire d’exposition envers une artiste.

La Cité internationale des Arts et le ministère de la Culture m’ont contacté pour me proposer d’accompagner une des artistes lauréates dans le cadre du programme Elles & Cité. On m’a soumis le portfolio d’Andréa pour que je me familiarise avec son projet et j’ai été très touchée par son travail. Nous nous sommes rencontrées toutes les deux pour nous choisir mutuellement. Pour moi, il était très important de déterminer dès le départ si j’étais la bonne personne pour l’accompagner et d’essayer de bien comprendre à quel endroit je pouvais l’aider. Ce qui m’a inquiétée au début, c’est que je ne partage pas cet héritage yougoslave et je ne suis pas experte de cette histoire. Au vu du sujet de sa recherche, avait-elle besoin d’une commissaire qui soit plus spécialisée sur ces questions-là ? C’était une vraie question pour moi et lorsque l’on a échangé avec Andréa, j’ai compris que son besoin d’accompagnement n’était pas sur des questions de recherches scientifiques ou historiques mais sur des questions curatoriales et conceptuelles. C’était parfait !

Notre rencontre a donc eu lieu en amont de la résidence et juste avant son voyage de recherche, la chronologie était idéale parce qu’on a pu échanger pour nourrir tout ce qu’elle pourrait faire lors de la résidence. On a appris à se connaître, et on a pu mettre en place un « non-protocole » puisqu’Andréa me parlait de ses méthodologies, je lui ai proposé d’ouvrir au maximum les possibilités, d’imaginer autre chose et de ne pas s’enfermer dans un temps de création pur sur ce temps de recherche, puisque ce temps elle l’aurait pendant le temps de résidence. Et de profiter de ce voyage pour imaginer tous les possibles, en ne se refusant rien et en ne se mettant aucune pression de création à ce moment-là.

C’est ce qu’elle a fait, et ses œuvres produites dans le cadre de sa résidence ont abordé énormément de nouvelles pistes d’expérimentation, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant, que ce soit d’inclure du texte dans l’image, de s’intégrer elle-même dans l’image par des mises en scène… Elle a expérimenté la vidéo, le son, elle s’est vraiment nourrie de nombreuses matières qu’elle a ensuite mises en forme dans son travail de résidence.

On faisait des points d’étapes sur les œuvres, au téléphone ouen se voyant à l’atelier. On a beaucoup parlé. Je pense qu’Andréa avait aussi besoin d’une forme d’échange dialectique sur son travail et sur les pistes de réflexion qu’elle pouvait développer. Les œuvres ont pris des formes différentes, je lui ai donné mon avis en tant que commissaire, parfois conceptuel, parfois formel. C’était très riche et c’était une formidable expérience pour moi de la voir prendre autant de risques. Parce que cette résidence de trois mois lui a permis de se lancer dans des expérimentations qui, pour moi, sont vraiment un tournant dans son travail.

À gauche : Page 168 – Monument aux combattants déchus et aux victimes du fascisme de Slabinja.
À droite : Page 73 – Monument aux libérateurs de Knin, Croatie.
2025 © Andrea Vamos

Andréa, comment avez-vous vécu cet accompagnement ?

A. V. : C’était une vraie chance, une belle opportunité, parce qu’Anna a toujours eu beaucoup de bienveillance et elle s’est beaucoup souciée de sa place auprès de mon travail.

C’était la première fois que j’avais la possibilité de travailler avec une autre professionnelle dans de telles conditions. Et j’ai compris à quel point il était enrichissant de partager, d’échanger et de s’exposer à la critique. Les projets prennent une autre dynamique et finissent par s’enrichir parce que tu n’es plus toute seule. Et ça, c’est une immense expérience.

La Cité internationale des arts est un lieu unique parce qu’il permet de créer une véritable émulation avec les autres artistes. Et ça a été pour moi une belle opportunité pour m’investir pleinement dans ce projet. Cela restera une étape importante dans mon travail.

Quelle suite pour ce projet ?

A. V. : Ce travail s’inscrit dans un projet plus vaste intitulé « Spomeniks, mon coeur va exploser. En trois chapitres. » Je ne peux pas affirmer que le premier chapitre est terminé. Le deuxième est né grâce à cette résidence parce que j’ai compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’une histoire d’architecture et de témoignage d’une utopie politique qu’engageaient ces Spomeniks, c’était aussi la commémoration et les rituels. Ce second volet va évoquer ces mouvements autour de ces monuments, je vais poursuivre mes recherches grâce aux archives de l’époque et retourner sur place. La réparation est vraiment au cœur de tout ce travail. Le troisième et dernier chapitre concernera la transformation du paysage par la construction et la destruction de ces Spomeniks en mettant en relation la question de la mémoire collective et individuelle construite autour de ces lieux.

À terme, j’aimerais publier un livre, en plus du projet d’exposition, qui montrerait à la fois le travail de recherches et d’archives en résonance avec ma création, parce que mon approche à travers la photographie n’est pas documentaire, elle est plus conceptuelle. Et c’est une autre manière de montrer cette partie de l’histoire.

Andréa, à partir de votre propre expérience, auriez-vous des conseils à donner aux femmes photographes qui souhaiteraient participer à cette résidence ?

A. V. : Il faut vraiment en profiter un maximum et lâcher un peu prise. Je m’étais imposée beaucoup de contraintes et de règles sur ma manière de travailler et grâce aux échanges avec Anna, ça m’a vraiment libérée. Je pense qu’il faut avoir un état d’esprit ouvert, disponible et sans jugement, autant sur son travail que sur l’environnement qui nous entoure. Sur le travail mené avec l’accompagnant, il faut être en mesure de recevoir la critique de manière objective et de s’enrichir de ça. Il faut aussi profiter de chaque artiste, il y a des soirées portes ouvertes et j’ai eu la possibilité de découvrir des démarches que je n’aurais pas su apprécier dans un autre cadre. Alors mon conseil pour les femmes photographes qui veulent le vivre, c’est de le faire à fond !

INFORMATIONS PRATIQUES

sam08nov(nov 8)13 h 30 minmer31déc(déc 31)18 h 30 minAndrea VamosSpomenik, mon cœur va exploserCentre Culturel Municipal de Bonneuil Jean-Pierre Jouffroy, Place Aimé Césaire, 94380 Bonneuil-sur-Marne

Si vous êtes une femme photographe en milieu de carrière basée hors de la région Ile-de-France, l’appel à candidatures pour la résidence Elles & Cité est en cours, jusqu’au 23 novembre !

lun20oct(oct 20)7 h 00 mindim23nov(nov 23)23 h 59 minElles & Cité - Résidences de recherche pour femmes photographes 2026Cité Internationale des Arts, 18 Rue de l'Hôtel de ville, 75004 Paris

Cet article a été rédigé et publié pour la plateforme ellesfontla.culture.gouv.fr 

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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