Le Centre Culturel Canadien inaugure son exposition « Une coopérative Inuit dans le Grand Nord canadien » qui s’articule autour de nouvelles lithographies et sculptures de la célèbre Collection Claude Baud et Michel Jacob. L’exposition réunit 130 œuvres illustrant la richesse d’une coopérative unique à travers de grandes thématiques telles que : les légendes arctiques, les esprits, la cosmogonie.
Nous avons une première impression du village de Kinngate, où vivent de nombreux artistes présentés dans cette exposition, avec un dessin au crayon de Shuvinai Ashoona qui représente le point de vue de l’oiseau de haut, ce qui est plutôt approprié compte tenu de la prédominance de la représentation des oiseaux au cœur de l’art inuit, comme nous l’apprenons tout au long de l’exposition. Sa participation à la Biennale de Venise 2022 a reçu une mention spéciale du jury et lui a donné une envergure internationale. À côté, un écran diffuse une vidéo prise au studio de Kinngate pour nous donner une idée concrète du lieu.

Shuvinai ASHOONA, Sans titre (femmes en ville), 2024 © WBEC, Kinngait, Nunavut
La lithographie est un médium important qui occupe une place prépondérante dans la culture et l’art inuit depuis de nombreuses années. Grâce à elle, les artistes donnent vie aux histoires folkloriques locales sur les animaux et leur métamorphose. Un mur de la première salle de l’exposition est entièrement consacré à des lithographies de divers oiseaux indigènes, tels que des corbeaux, des faucons, des canards et le plus célèbre d’entre eux, le hibou. La communauté inuit a appris la technique de la lithographie parce qu’elle lui permettait de s’exprimer de manière indépendante, sans avoir recours à un maître graveur. C’est également un outil artistique facilement accessible et abordable qui est traité avec le plus grand soin.

Kenojuak ASHEVAK, Raven’s Proposal, 2012 – Claude Baud and Michel Jacot Collection © WBEC, Kinngait, Nunavu
Kenojuak Ashevak est une artiste de premier plan dans cette exposition, dont les œuvres occupent presque la moitié du mur des oiseaux. Sa gravure « Raven’s voyage » de 2001 représente deux corbeaux se tenant dos à dos. Elle utilise l’aquatinte pour créer une riche combinaison d’ailes indigo sur les oiseaux orange brûlé et de rouge cramoisi s’écoulant à leurs pieds. La symétrie est également un élément clé de cette œuvre et se retrouve souvent dans la lithographie inuit, évoquant la notion d’équilibre chez les êtres vivants.
Elle explore également la symétrie dans ses œuvres plus récentes, telles que « The gathering of throat singers » (1991), qui représente de nombreuses femmes avec le bas du corps d’un oiseau. Elles se font toutes face pour le chant de gorge, une pratique historiquement importante dans la culture inuit, qui avait été interdite au début du 20e siècle par les missionnaires chrétiens. Elle a connu néanmoins un regain d’intérêt dans les années 1980, lorsque la communauté n’a plus eu peur des répercussions et a affiché fièrement ses coutumes.
La pierre est un matériau souvent utilisé dans l’art inuit et que l’on retrouve tout au long de cette exposition, puisqu’elle est utilisée pour réaliser des lithographies ainsi que les sculptures présentées dans le même espace. Ce matériau n’est pas une matière morte, pour la communauté inuit, il est considéré comme habité par des esprits, comme toutes les choses de la nature. Au cours du processus de lithographie, s’il y a ce que nous considérons comme des erreurs, la communauté inuit y voit plutôt la personnalité de la pierre qui s’exprime. L’idée de métamorphose chez les animaux et les humains est souvent présente dans les récits traditionnels inuits. On le voit notamment dans les sculptures en pierre de Ningeeoschiak Ashoona, qui dépeignent la métamorphose spirituelle de figures humaines entrelacées avec des animaux.
La vie contemporaine de la communauté inuite de Kinngate est au cœur de l’art de l’artiste Shuvinai Ashoona, qui dépeint leur vie quotidienne dans ses dessins aux crayons de couleur à grande échelle. L’œuvre « Untitled, drinking at camp » 2024 évoque les effets dévastateurs et durables de la colonisation sur les Premières nations, tels que l’alcoolisme et la toxicomanie. Le travail d’Ashoona rompt avec la tradition dans ses sujets contemporains en nous donnant un aperçu de la banalité du quotidien du peuple inuit. Contrairement aux légendes grandioses de spiritualité et de métamorphose que l’on trouve dans les autres œuvres de l’exposition. Elle met également l’accent sur la notion de groupe et d’unité par rapport à l’individu, ce qui est courant dans l’art inuit, car le genre du portrait n’est pas courant.

Shuvinai ASHOONA, Sans titre (boire au camp) – Untitled (Drinking at Camp), 2024 © WBEC, Kinngait, Nunavu
Le monde en constante évolution qui affecte l’isolement ancestral du village de Kinngait est un sujet clé que Pudlo Pudlat explore dans ses lithographies. C’est ce que montre son œuvre « Interrupted Solitude » (1985), où un bœuf musqué est allongé sur le dos, face au ciel. La tranquillité de l’animal est cependant interrompue par le passage d’un hélicoptère d’un rouge saisissant qui contraste avec le reste du travail au trait, bleu marine et vert émeraude. L’image contemporaine de l’hélicoptère se retrouve souvent dans l’œuvre de Pudlat, dans des scènes d’animaux indigènes, avec ses autres lithographies placées à côté. Il s’agit également d’un symbole évocateur, car l’artiste aurait un jour été bloqué sur une plaque de glace avant d’être secouru par un hélicoptère qui passait par là et qui l’avait repéré.

Exhibition view « An Inuit art cooperative in Canadian great north » Canadian Cultural Center, 2024 © Vincent Royer, OpenUp Studio/Canadian Cultural Center
Cette exposition offre au village isolé de Kinngate, dans le Grand Nord canadien, une tribune à l’échelle internationale qui permet aux visiteurs de découvrir la riche histoire qui façonne l’art inuit. La variété des œuvres exposées illustre l’importance de la spiritualité, comme en témoignent les représentations de légendes articulaires, d’esprits d’animaux et de leurs métamorphoses. Elles montrent également les coutumes et les traditions de la vie quotidienne des premières nations sous un angle contemporain grâce à l’implication d’un duo franco-suisse de collectionneurs passionnés.
Curator : Catherine Bédard
L’exposition est organisée en partenariat avec la West Baffin Cooperative de Kinngait (Cap Dorset, Ile de Baffin) au Nunavut qui fête son 65ème anniversaire.
INFOS PRATIQUES
« Une coopérative d’art inuit dans le Grand Nord canadien »
Jusqu’au 17 Janvier 2025
Centre Culturel Canadien
130 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
Entrée libre et gratuite.
Ouverture du lundi au vendredi de 10h à 18h.
Dernière entrée 30 minutes avant la fermeture.
https://canada-culture.org