Le jury de la 14ᵉ édition du Prix Camera Clara vient d’élire sa nouvelle lauréate : la photographe iranienne Randa Mirza remporte ce prix, qui récompense chaque année un travail photographique inédit réalisé à la chambre par un artiste contemporain, avec sa série Atlal (Ruines). Elle immortalise à la chambre grand format les paysages détruits de villages du Sud du Liban, bombardés par l’armée israélienne entre août et décembre 2024.
La lauréate reçoit une dotation de 8 000 euros et sera présentée à l’occasion de l’exposition collective « La photographie a tout prix », inaugurée à la BnF le 15 décembre prochain.

Depuis 2012, à l’initiative de Joséphine de Bodinat-Moreno, ce prix récompense les photographes qui utilisent la chambre grand format, afin de soutenir une technique pratiquée à rebours de l’accélération de notre ère numérique. Cette distinction met en lumière une approche longue, patiente et réfléchie de la photographie.

Avec sa série Atlal (Ruines), la photographe iranienne Randa Mirza s’inspire des poèmes arabes préislamiques qui évoquent les vestiges comme traces de perte, de séparation et de mémoire. En photographiant, à la chambre grand format, les décombres du Liban contemporain, elle redonne une présence symbolique à ces paysages marqués par la guerre. Entre réflexion sur le temps, dénonciation de la destruction et acte de réparation poétique, Atlal interroge la possibilité de reconstruire un lien entre passé et présent, transformant les ruines en espace de résistance et de beauté.

Édifice détruit par les bombardement israéliens au Sud Liban en 2024 © Randa Mirza

La série primée

Le titre fait référence au prologue des poèmes arabes de l’ère préislamique, rappelant que les vestiges et les décombres ont été des piliers fondamentaux de la poésie arabe ancienne comme de la représentation iconographique du Liban ces dernières décennies. Les atlal sont des amas de pierres, des blessures dans le paysage qui soulignent la cruauté de la nature humaine et les ravages de la guerre. Ils symbolisent aussi la nostalgie de l’amour perdu, le perpétuel changement, le départ et la séparation comme dans l’ancien poème de Antar – « Les poètes ont-ils laissé pièce à poser ? As-tu reconnu la demeure imaginée ? » – ou plus récemment dans les vers du poète égyptien Ibrahim Nagi, chantés par Oum Kalthoum en 1966.

Partant de la distinction que faisait l’historien d’art H. W Janson au milieu du XXe siècle entre la ruine, fenêtre bien cadrée sur le passé et les décombres, masse informe de débris, Randa Mirza constate que les maisons détruites ne sont même plus des ruines mais seulement des matériaux sans signification, destinés à être débarrassés, voués à l’effacement. L’artiste cherche alors à leur redonner cette présence des vestiges et à rétablir une continuité historique face à la machine de rupture qu’est la guerre.

Ses prises de vue à la chambre grand format Crown Graflex 4×5 nécessitent des manipulations longues avant chaque déclenchement et de ce fait s’apparentent à la tradition ancestrale de composer des vers devant les ruines. Il en ressort des images de haute qualité, notamment pour les fins détails et pour les dégradés de valeurs, qui fixent au mieux les enchevêtrements des formes et la perte des repères spatiaux engendrée par le chaos de la destruction. L’acte photographique de prise de vue à la chambre devient ainsi un rituel de dénonciation, de réparation et de résistance face à la brutalité de la guerre. Atlal conjugue sens du présent, sublime et portée universelle, rappelant que l’art devient ainsi un moyen collectif de faire face à la catastrophe.

Édifice détruit par les bombardement israéliens au Sud Liban en 2024 © Randa Mirza

Née au Liban, en 1978, Randa Mirza vit et travaille entre Paris et Beyrouth. Artiste plasticienne, elle pratique la photographie, la vidéo, l’installation, la performance pour mettre en évidence les contextes de production des images et rendre visibles les constructions symboliques et socio-politiques qui les façonnent.
Les traces de la guerre civile libanaise (1975-1990) et la politique de reconstruction qui s’en est suivie effaçant l’identité urbaine et faisant table rase de l’histoire violente du pays, sont au coeur de ses projets comme Beirutopia – lauréat du prix PhotoFolio review aux Rencontres d’Arles en 2023 et qui y a été exposé en 2024. Espace de réflexion, de réparation et de résistance face à la violence, son travail se situe entre document, expression personnelle et écriture artistique.
Randa Mirza a fait l’objet d’expositions monographiques notamment au Fotomuseum Den Haag aux Pays-Bas (2025), Fotohof en Autriche (2020), Biennale des photographes du monde arabe contemporain à Paris (2017) – et collectives – MUCEM (Marseille, 2019), IVAM (Valence, 2018), Sursock Museum (Beyrouth, 2015), Visa pour l’Image (Perpignan, 2008)….
Elle est représentée par la Galerie Tanit (Munich /Beyrouth).

Le jury était composé de Joséphine de Bodinat-Moreno (créatrice du Prix Camera Clara), Dominique de Font-Reaulx (conservatrice au musée du Louvre et Présidente du jury), Héloïse Conésa (conservatrice pour la photographie contemporaine à la BnF), Marc Donnadieu (commissaire indépendant), Anne Lacoste (directrice de l’Institut pour la Photographie des Hauts-de-France), Chantal Nedjib (conseil en image et en photographie), Guilllaume Piens (commissaire général d’Art Paris), Michel Poivert (historien de l’art) et Fabien Simode (directeur des médiathèques de Maisons-Alfort).

INFORMATIONS PRATIQUES

mar16déc(déc 16)9 h 00 min2026dim29mar(mar 29)20 h 00 minLa photographie à tout prix 2025Une année de Prix Photographique à la BnFBnF - Bibliothèque nationale de France, Quai François Mauriac 75013 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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