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Sarah Moon. La rétrospective Passé Présent au Musée d’Art Moderne de Paris. 2nde Partie

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Notre critique Pascal Therme vous propose la suite de son article paru hier sur la grande rétrospective Sarah Moon présentée actuellement au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Un hommage à une œuvre entière, hors de toute chronologie. Son titre « Passé Présent », choisi par la photographe elle-même évoque le dialogue entre toutes ses créations, tous supports et époques confondus.

Vous avez dit Chronologie ? Je n’ai pas de repères; mes jalons ne sont ni des jours, ni des mois, ni des années. Ce sont des avant et des après… C’est à la fois pour m’approcher et m’échapper de la réalité qu’instinctivement j’ai regardé à travers l’objectif d’un appareil photographique…” – Sarah Moon

Beaucoup de l’Orphisme de Cocteau dans l’exposition Sarah Moon Passé-Présent se déploie et enchante adjointe à une contemplation froide de ce qui surprend cet oeil funèbre où une résonance de la mort et de la disparition, de la corruption assez baudelairienne des corps et des matières, fait ici photographie. Dans un même temps une traversée du miroir a lieu, donnant naissance à cette photographie, assez ambivalente selon les périodes, exhalant un parfum d’encens, de roses fanées, irradiant ses lumières d’argent et ses ombres éteintes, silencieusement et contradictoirement dans leur silence, (la possibilité du cri, de la parole est comme éteinte, message du sujet inavoué…) , comme si toute image exposée était en fait issue d’un film voilé au développement, revenu à ses ombres, retenu par force, situant sa durée au passé présent, et que le mouvement du temps, dans la désagrégation corruptrice ou la pétrification imposait de fait à son regard, son cours.

La part du non dit s’assume par une ellipse du temps. Il faut bien retrouver l’immatériel de l’absence en soi pour assagir cette réalité qui désigne en Sarah Moon un processus d’énonciation paradoxal, quand les ombres grises à la lumière éteinte sont encore l’aveu des ombres cruellement délictueuses, toujours actives au présent de ce passé.

Sarah Moon, Anatomie, 1997
© Sarah Moon

Avec Sarah Moon, tout est complicité fluide, mercurielle, abandon, joies intimes, poudre des parfums évanouis, lambris aperçus au lointain, silhouettes de fer, plumages et yeux d’oiseaux, chiens courants sur la plage, cirques, corps, soies et vêtements, baigneuse à la Bonnard, jeune femme nue à la beauté picturale, peinture plus que photographie, tout danse comme une neige improbable, dans un miracle…. Tout est évènement, preuve du vivant… Il neige… et pourtant…

Opérations inséminantes et vertueuses, caresses de l’oeil, complicités du regard et du temps, l’ombre se fait du soleil de la nuit, la complice caressante et limpide, quand d’ un sommeil de rêveur accompli, le passage s’ouvre, renverse le temps. Ici se dévoile un temps précieux, multiple, fécond, échos qui se répandent et s’enthousiasment, situations des mobilités immobiles devant le regard, temps intérieur où se fixe un monde imaginaire et vertueux, qui apparait par incidence, formulant un cri qui ne s’éteint pas.

Il y a chez Sarah Moon, cette impermanence de la volonté, une intranquilité alerte, proche de dire la violence indomptée que l’on ne peut pas nommer, de passer dans la présence de l’image, une présence réservée et interdite, quelque chose d’un clair obscurcissement, (qui fait aussi photographie), yeux clos sur soi même pour que l’image advienne, cécité qui fait voir, comme un voyage sans retour, comme un voyage d’avant, preuves évidentes des voiles qui se déchirent et qui, à l’infini, s’interposent entre le coeur voyant et ce qu’il désigne, un amour insoluble dans la présence comme dans l’absence, un voyage impossible au retour de soi, d’avant la formation de l’énigme et du secret.

Sarah Moon, Le pavot, 1997
© Sarah Moon

Énigme et secret forment cette trame qui permet à la fois de s’écrire par cette photographie de l’ombre et de dissimuler, de se soustraire soi même au mouvement des apparitions comme s’il s’agissait de fantômes agissants…assez doux dans ces mises en scènes des contes cruels, quand la voix off, celle de l’auteur même, tente d’appareiller et de lever l’ancre, pour embarquer son spectateur à sa suite et en faire, en mains points, un confident. C’est là toute une intimité, hors des sentiers battus, dans la juste énonciation de ce qui est issu des contenus latents, et de ces adresses dont la structure narrative du conte est chargée. Quête incessante de soi par vérité assumée de l’image, photographique, filmique.

En fin d’exposition cette question ouvre un autre espace en retour, dans un mouvement des, « Where does the white goes when the snow melts….Ou va le blanc quand la neige a fondu... ” William Shakespeare, titre sous lequel s’ouvre toute une section de l’exposition. Question qui ne peut trouver de réponse directe satisfaisante, sauf si, un lapsus entre en jeu dans l’énonciation d’une perte, d’un non dit, d’un temps qui s’est dissous en lui même pour rejoindre l’invisible. Nous sommes précédés par le vide. Nous restons en suspension, appelés à de fertiles gravitations. Il faut suivre cette poétique sensible où « l’œil garde son regard “ dans une tension cachée.

Ici, chez Sarah Moon, il semble bien que se décline ce propos, tant l’image fait passer son contenu manifeste sous son contenu latent, de son ombre portée vers l’affirmation d’un soleil noir, comme un deuil impossible. Son monde semble toujours s’affirmer alors qu’il disparait, est ce un hasard si elle déclare à propos de la photographie: « Il n’y a rien de raisonné dans ma démarche. Je n’en connais que la quête incessante. Je ne témoigne de rien, je me mets au diapason du temps qui passe et de cette aventure avec le réel, la photo enfin prise fait exister une fiction en même temps qu’elle me la révèle. Je photographie le privilège, l’improbable, la chimère, l’évanescence. J’avance comme une aveugle, comme si une autre était moi, à la recherche de cette étrange alchimie entre le désir et le hasard qui va soudain m’animer. »

Sarah Moon, En Roue Libre, 2001
© Sarah Moon

Plus qu’un chemin onirique, ”c’est ce mystère dont on doit rechercher la clef ” Mallarmé, en parlant de poésie. Ce Mystérieux mystère au premier plan, texte évanoui, effacé, pré détermine l’action de la photographe, signe son geste. Dans ces miroirs que sont les photographies et qui parlent au premier plan, poétiquement de visages et de corps, d’horloges, de quais, de ports déserts rendus à leurs grues de fer, sous un ciel lourd, de routes et de chemins, d’oiseaux, de gens du cirque, quand l’altérité s’ouvre aux arbres, aux animaux, à l’air et à la Terre, dans une approche baudelairienne, regardant les choses dans un relais habité par la profondeur, il semble qu’un voile se déchire et que la la surface de l’émulsion des polaroids reçoivent par accident dit Sarah Moon, par hasard, le don d’un dialogue avec cette surréalité manifestée….

Il y a déjà cette signature, que sont les lumières sombres de cette « pénombre » permanente à la fusion picturale, au grain tendre, comme un plomb fondu, mais, comme si, au fond, dans cette eau argentée, se reflétait le dynamisme psychique d’une eau des rêves, d’une volonté d’apaisement, d’une alchimie, d’une poétique élégiaque, portant à la vie, ces images. Un combat a lieu dans les profondeurs entre l’immobilisme actif du rêveur et le dynamisme du regard qui cherche à s’éprendre, à établir, à produire, hors de la disparition et du vide.

Disparition, évaporation, changement d’état, la blancheur est devenue symbole de disparition, matière du réel interrogeant les fondements de la vie… Qu’advient-il du souffle de vie, écho organique qui disparait, le temps s’étend à l’ombre de son accélération, le souffle plonge dans l’interstice de la poussière, joint l’invisible, l’apparence se cristallise, énonce Davide Napoli dan son dernier ouvrage Le lapsus de l’ombre.

Sarah Moon, La fin des vacances, 2017
© Sarah Moon

Quand on photographie un arbre, à la fois on photographie ce qui vous attire et ce qui vous est étrange. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas que la beauté que l’on photographie. On passe devant un arbre dix fois, et puis tout à coup on le “voit”, parce qu’on le charge de quelque chose que l’on ressent à ce moment-là.” (L’Atelier de Sarah Moon, interview par Vincent Josse, France Inter, octobre 2013)

Une sorte d’apaisement au regard duquel un paon dans sa superbe ouvre à l’adversité ses cent yeux solaires à l’ange qui relève. Il y a chez Sarah Moon quelque chose d’un Sacré qui oeuvre à la réparation qui adoube, le retour d’un dialogue inavoué avec le divin, la possibilité effective d’une rédemption et d’un pardon, en gloire.

C’est ainsi qu’il faut évoquer le lapsus de l’ombre, ombre qui traverse l’âme, ombre qui défie le temps, ombre de l’absence. Davide Napoli écrit encore ces vers libres:  « la voix se libère là où se pose le hasard …le corps retrouve la disparition du lieu de sa trace…l’ombre perd son souffle invisible…seulement un lapsus peut nous sauver… »

L’ombra perde il suo fiato invisibile., solo un lapsus puo salvarci” – Davide Napoli

INFORMATIONS PRATIQUES :

ven18sep(sep 18)10 h 00 min2021sam30jan(jan 30)18 h 00 minPasséPrésentSarah MoonEn attente de la réouverture des MuséesMusée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 Avenue du Président Wilson, 75116 Paris

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Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..