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Photo Days : Rencontre avec sa directrice, Emmanuelle de l’Ecotais

Temps de lecture estimé : 9mins

Emmanuelle de l’Ecotais lance Photo Days, une virée photographique dans Paris qui nous mène d’une rive à l’autre de la Seine, entre institutions emblématiques, galeries engagées et lieux plus inédits et confidentiels en signe de solidarité dans un contexte de grande incertitude et sous un format particulièrement généreux. Au départ imaginé autour de 30 lieux pendant 30 jours, le festival s’est élargi et prolongé à une quarantaine de lieux sur une durée de deux mois. Emmanuelle de l’Ecotais revient sur les motivations qui l’ont guidées, les temps forts attendus et l’impact de cette crise, confirmant plus que jamais l’exigence de son regard en matière de photographie et d’art.

Portrait d’Emmanuelle de l’Ecotais © Mathilde de l’Écotais

« Je suis persuadée que l’on ne peut se priver du contact physique avec les œuvres dans une période très éprouvante où la solidarité est plus que jamais nécessaire, où l’art nous permet de rêver et de retrouver du lien »

Quel est l’ADN de Photo Days ? 

Photo Days est un nouveau festival dont l’ambition est de relancer l’ex « Mois de la Photo » avec la volonté de faire vivre la photographie à Paris pendant le mois de novembre, doublée cette année d’un esprit solidaire, avec une volonté de permettre à tous d’exister, et de soutenir le milieu de l’art sérieusement impacté dans ce contexte de crise, notamment par l’annulation de Paris Photo. Rassembler les projets, fédérer les foires, les galeries et les institutions, être généreux dans nos propositions, et proposer des « parcours à la carte » pour les collectionneurs.

© Elsa & Johanna

Des initiatives comme Paris Gallery Week-end ou Marais Guide qui visent à nouer des passerelles entre différents types d’œuvres et de public vous ont-elles inspirées ?

C’est vraiment dans l’air du temps, et la photographie, qui souffre parfois d’être isolée, s’intègre naturellement à l’art contemporain ; les artistes se disent d’ailleurs plus souvent plasticiens que photographes. Donc on a tout intérêt à créer ces ponts, ces passerelles, et d’ailleurs un certain nombre de galeries qui font partie de Photo Days ne sont pas des galeries spécialisées en photo. Mon souhait était donc d’arriver à fédérer ceux qui avaient envie de se regrouper pour créer un évènement au mois de novembre, qui a dû être repoussé, mais qui repart de plus belle et pour deux mois finalement, ce qui est positif. Comme c’est souvent difficile de tout voir en un mois, nous donnons ainsi à chacun le temps d’apprécier toutes ces propositions.

Comment avez-vous conçu le parcours ?

C’est en discutant avec mon amie Charlotte Flossaut (fondatrice de Photo Doc, partenaire de Photo Days) qu’est née cette idée de parcours dans les galeries. Et celui-ci s’est étoffé à plus de quarante lieux, enrichi avec les foires et les institutions. Nous aimons aussi ouvrir le parcours à des lieux atypiques, comme l’appartement d’une collectionneuse ou la Rotonde Balzac – où le festival produit une exposition Alkis Boutlis avec Suzanne Tarasiève.

Pourquoi avoir choisi pour l’affiche Photo Days l’Equation du Temps de Raphaël Dallaporta (exposition à la galerie Jean-Kenta Gauthier)

Raphaël DALLAPORTA, Équation du temps, 2020 © Raphaël Dallaporta, courtesy Jean-Kenta Gauthier et The Eyes publishing

Il n’est pas facile en effet de trouver une image qui résume le positionnement d’un évènement photographique. Cette « Equation du temps » de Raphaël Dallaporta est la trace quotidienne du soleil sur le sol de l’Observatoire de Paris (salle Cassini qui abrite la méridienne de Paris). Cette installation, grâce à un protocole automatisé, rend sensible la mesure du temps à partir de cette ellipse du déplacement du soleil. C’est à la fois beau (sur la forme comme sur le fond) et symboliquement en cohérence avec notre identité : chaque jour est photographié, illustrant de manière littérale les « Photo Days ». En outre, le temps est plus que jamais un sujet d’actualité, en cette année de confinements qui restera sans doute une parenthèse pour beaucoup de gens. Certains ont la sensation d’avoir perdu leur temps, d’autres ne l’ont pas vu passer, mais nous avons tous un peu perdu la notion du temps.
Raphaël Dallaporta, qui s’entoure de scientifiques et mène des recherches approfondies, va réaliser une performance pour son exposition à la galerie Jean-Kenta Gauthier. Partant du principe que les 24 heures d’une journée ne sont qu’une convention, avec en réalité des écarts allant jusqu’à 16 minutes au cours d’une année qui sont rattrapées lors les années bissextiles – il a décidé de faire prendre conscience à chacun de ce temps qui lui est volé, en proposant aux visiteurs une rencontre de 6 minutes et 6 secondes avec lui, qui correspondent au décalage existant le jour de son vernissage, le 12 décembre.

Jean-Kenta Gauthier propose également dans son nouvel espace, des œuvres offertes aux visiteurs avec l’exposition Free Lunch

Jean-Kenta Gauthier a en effet proposé aux artistes qu’il représente de créer spécifiquement des œuvres gratuites pour son exposition – qui était prévue au départ à Paris Photo. Partant du principe que cette édition serait sans doute une année blanche en termes de ventes, il a décidé d’offrir les œuvres. Cette générosité correspond à l’ADN de Photo Days. J’ai beaucoup d’estime pour sa démarche et l’exposition est une vraie réussite car chaque œuvre a du sens.

Autre temps fort : l’exposition d’Alkis Boutlis à la Rotonde Balzac (Fondation des artistes), lieu inédit, avec la galerie Suzanne Tarasiève. 

Alkis BOUTLIS
Sans titre, 2018.
courtesy galerie Suzanne Tarasiève

Ce projet est en réalité la version béta de ma démarche initiale : quand il y a 2 ans j’ai lancé ce nouveau festival de photographie j’avais comme objectif d’ouvrir des lieux fermés au public en faisant des commandes aux artistes, en résonance avec le lieu. Puis tout a été remis en question lors du premier confinement et plusieurs sponsors se sont désengagés, à l’exception d’Inocap gestion grâce à qui j’ai pu réaliser ce projet, ainsi que Suzanne Tarasiève qui s’est beaucoup investie. Ce lieu est totalement inconnu du public ; la Rotonde Balzac est un véritable petit bijou architectural qui vient d’être restauré, planté au milieu du jardin de l’Hôtel de Rothschild. La Rotonde accueille une série d’œuvres de l’artiste Alkis Boutlis inspirées de la Comédie Humaine de Balzac. Il expose des clichés verres, cette technique photographique particulière où l’on réalise des tirages photographiques à partir de plaques de verre peintes au préalable. Ces œuvres sont accompagnées de textes choisis par le directeur de la Maison de Balzac et commissaire de l’exposition, Yves Gagneux. Cette relation entre littérature et photographie se prolonge pour ceux qui le souhaitent à la Maison de Balzac.

Autre proposition singulière dans un appartement, chez Véronique Hublot-Pierre

© Sophie HATIER, Camargue
courtesy Véronique Hublot-Pierre

Cette rencontre s’est organisée par l’intermédiaire de l’artiste Sophie Hatier dont j’apprécie beaucoup le travail sur le paysage aux confins de l’abstraction. Elle m’a signalé son exposition chez Véronique Hublot-Pierre qui ouvre son appartement une fois par an pour des artistes. Après avoir rencontré cette collectionneuse, j’ai décidé d’inclure son initiative généreuse dans Photo Days, qui rejoint également la philosophie du festival autour de différentes modes de partage et de monstration de la photographie. Il est assez passionnant de voir qu’au-delà des musées ou des galeries, chacun peut s’approprier certaines œuvres, et être chez un collectionneur pour voir un travail et éventuellement l’acheter directement à l’artiste.

Que pensez-vous des initiatives digitales qui ont surgi pendant cette période et y avez-vous songé pour Photo Days ?

Il y a eu en effet beaucoup d’initiatives dans ce domaine avec des effets positifs et indispensables (pour les foires notamment), mais l’on ne peut s’en contenter. Je trouve la 3D assez décevante en réalité ; il faudrait pouvoir profiter complètement de l’intelligence artificielle pour mener ces expériences jusqu’au bout et obtenir un résultat vraiment intéressant. Et cela ne remplace pas le rapport physique aux œuvres, surtout pour une photographie qui se veut un objet de collection. Je n’ai pas envisagé de faire de version digitale car Photo Days se présente avant tout comme un parcours dans les galeries et les musées. Retourner physiquement dans une galerie, discuter avec les artistes, engager de vraies rencontres comme nous allons le proposer à Photo Days, dans le respect de tous et selon les mesures sanitaires en vigueur (masques, jauges réduites), est fondamental pour retrouver du lien social. Trop de gens souffrent d’être isolés et l’on ne mesure pas encore les conséquences que cela aura sur le mental de beaucoup d’entre eux.

Julien BERTHIER, Thepartyisover
courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

Quel regard portez-vous sur la crise traversée et son impact sur l’écosystème de la photographie et de l’art ?

Cette crise sanitaire est ce qui, dès septembre, a motivé ma décision de repenser Photo Days, quand j’ai réalisé la situation catastrophique qu’allaient connaitre les galeries. La solidarité est plus que nécessaire aujourd’hui de manière générale, et pour la culture et les artistes en particulier. Il m’a semblé important de fédérer tout le monde autour d’un événement qui redonne vie aux projets qui avaient été stoppés nets. C’est pourquoi dès l’annonce du Président de la République de la réouverture des commerces à partir du 28 novembre et des institutions le 15 décembre, j’ai remis la machine en marche pour que Photo Days puisse ouvrir le 4 décembre. Il était important d’être réactifs car nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve. C’est maintenant que nous devons agir. Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, je dirais qu’heureusement que l’art et les artistes existent dans ces périodes où l’on se retrouve cloîtré chez soi ; heureusement que l’on peut écouter de la musique, regarder des films ou des documentaires, lire… sans quoi on vivrait un enfer ! Mais aujourd’hui tout le monde a envie de retrouver les œuvres, sortir de chez soi et se libérer de nos écrans, même s’ils nous ont sauvés pendant quelques mois. On rêve tous de retourner dans les musées, les théâtres, les cinémas… L’art vivant doit véritablement redevenir vivant, au sens littéral du terme.

 

Chantal STOMAN
My Darling Clementine, 1946, Glen Miller, 1954
série Ōmecittà, 2017
© Chantal Stoman, courtesy galerie Sit Down

INFORMATIONS PRATIQUES

ven04déc(déc 4)0 h 00 min2021sam06fev(fev 6)0 h 00 minPhoto Days


https://photodays.paris/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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