L'Invité·e

Carte blanche à Marie Robert : La photographie est-elle un art ?

Temps de lecture estimé : 3mins

Pour sa première carte blanche, notre invitée, Marie Robert, a souhaité nous parler de sa toute première acquisition en tant que conservatrice en chef chargée de la photographie au Musée d’Orsay. C’était il y a tout juste 10 ans, lorsqu’elle fait entrer dans les collections du Musée, une épreuve intitulée The « First Negative » datant de 1857. Elle est réalisée par le photographe anglais d’origine suédoise Oscar Gustav Rejlander et représente pour notre invitée, le paradigme tout entier de la photographie…

Je voudrais commencer cette carte blanche en évoquant la première acquisition que j’ai réalisée pour le compte du musée d’Orsay, à mon arrivée dans l’établissement en 2011. Cette épreuve, réalisée en 1857 par le photographe anglais d’origine suédoise Oscar Gustav Rejlander, est légendée The « First Negative » (« Le premier négatif »). La scène qu’elle représente puise aux sources mythiques de l’histoire de l’art. Elle s’inspire du récit que Pline l’Ancien (23-79) fait de l’invention combinée du dessin et de la sculpture dans son Histoire naturelle : afin de conserver l’image de son amant partant à l’étranger, la fille du potier corinthien Butadès trace au mur le contour de l’ombre projetée du visage bien-aimé, grâce à la lumière d’une lampe. Le père transforme ensuite ce premier dessin en bas-relief en le fixant avec de l’argile. De l’Antiquité à aujourd’hui, cette histoire n’a cessé d’être reprise, transformée, réinventée, par les peintres et les sculpteurs pour évoquer la naissance de leur discipline. Rejlander est le premier à raconter cette fable en photographie, peu de temps après son invention officielle en 1839. Nourri du modèle pictural – il a probablement vu le tableau (The Origin of Painting, 1775) de son compatriote écossais David Allan qui a, comme lui, longtemps séjourné à Rome-, Rejlander ambitionne avec ce manifeste visuel de faire reconnaître la photographie par ses contemporains. Assignant au premier négatif la même origine légendaire que les arts nobles, il tente d’élever le nouveau medium à leur rang, selon le projet porté par la High Art Society dont il est l’une des figures de proue. Pragmatique cependant, il dépouille la scène, se défait des nombreux accessoires présents dans les tableaux : lampe, pilier, socle, tenture, tabouret, etc. Le plan est rapproché, l’espace semble sans profondeur. A cause du réalisme de l’image photographique, le sublime est proche du trivial : les visages sont un peu disgracieux, les coiffures à la mode victorienne, les vêtements à l’antique et les corps très incarnés (par la moustache du modèle masculin, les poils de ses mollets, la noirceur de ses doigts de pieds) créent une dissonance, brisent l’illusion et ramènent l’observateur à la réalité du studio et de la prise de vue !

Cette image est comme le paradigme tout entier de la photographie : en plaçant l’art de fixer les ombres au fondement de l’acte photographique, Rejlander renvoie à l’invention du procédé négatif-positif par William Fox Talbot. Elle met aussi en valeur la dimension collaborative de la création artistique (finalement, qui est l’auteur de la première image figurative ? La jeune femme ? Son père ? Ceux qui se sont réapproprié ultérieurement le récit ?). Surtout, elle déclare que toute photographie naît de la pulsion amoureuse et de la nécessité d’en garder l’empreinte.

A savoir plus sur cette épreuve :
https://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/recherche/commentaire/commentaire_id/the-first-negative-23243.html

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