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L'Invité·e Carte blanche à Superpartners (SMITH / Piton) : Désidération (Cosmiel) La Rédaction21 janvier 2021 Partager Partager Temps de lecture estimé : 6minsPour leur troisième carte blanche, le duo Superpartners formé par Nadège Piton, commissaire & productrice indépendante et SMITH, artiste et chercheur nous dévoile l’objet d’étude sur lequel nos deux invités travaillent depuis quelques années, sur le thème de la désidération. Aujourd’hui, tous deux nous invitent dans un voyage hors du commun. Dans « l’hyperrêve, un succédané d’éternité, une brume médicale, un fluide de transport intersidéral : offrez-vous COSMIEL ! » Demain, notre ultime carte blanche introduira l’objet d’étude auquel, depuis 2017, nous nous sommes consacré.es : la désidération. En compagnie d’allié.es – l’astrophysicien Jean-Philippe Uzan, le designer Matthieu Prat (Diplomates), les compositeurs Victoria Lukas et Akira Rabelais, et l’écrivain Lucien Raphmaj, nous explorons la désidération – le sentiment d’avoir perdu quelque chose de fondamental dans notre rapport quotidien aux étoiles au sein de nos sociétés du capitalisme tardif ; et le voeu de s’en rapprocher, en imaginant de nouvelles alliances avec le cosmos. C’est ainsi à Lucien Raphmaj, auteur des récents Blandine Volochot (éditions Abrüpt, 2020) et Capitale Songe (éditions de l’ogre, 2020), instigateur d’images mentales lumineuses et puissantes, que nous avons confié la carte blanche de ce jour. Il s’agit d’une nouvelle publicitaire pour « Cosmiel », e-liquide restituant le goût du cosmos, dans un mélange subtil de framboise, de rhum et de brûlé, que nous avons eu le plaisir de composer avec la Maison Distiller, et de partager avec le public de l’exposition « Désidération (prologue) » à la Galerie les Filles du Calvaire en 2019. Offrez-vous un voyage dans l’hyperrêve, un succédané d’éternité, une brume médicale, un fluide de transport intersidéral : offrez-vous COSMIEL ! C’est l’histoire d’un type type improbable. Appartenant à une espèce qu’il ne servirait à rien de vous décrire si ce n’est pour vous faire peur. Parce que je serais obligé de former des chimères pour vous faire imaginer – très faussement – ce qu’était ce type. Un morceau de ci, un morceau de ça. Sans façon. Ce type improbable donc, est en train de se balader sur la Perspective Esver. Il flâne au milieu des millions de grésillement des néons qui lui crépitent dans la tête des choses insanes auxquelles il ne peut se rendre sourd. Il déambule ainsi parmi les diptères paranoïaques, au milieu des faces de blattes hystériques, croisant du coude les cloportes géants aux gestes si lents et majestueux, si magiquement articulés. Tout un monde punais, fourmillant, en un mot : merveilleux. Un monde où il se sent à part et à sa place. A la fois. A part et à sa place. Parfaitement à sa place. Une des boutiques de la Perspective lui fait de l’œil. C’est une de ces nombreuses agences de voyages de la Perspective Esver, spécialisée dans l’Ailleurs et l’évasion en général – de la boite de sommeil à la poudre de la grande nichée, de quoi filer illico au 9e ciel, loin au-dessus de l’île de Capitale S où ils sont condamnés à rester. La boutique clignote de plus en plus à mesure qu’il se rapproche. Pour une fois, elle ne lui fait pas miroiter des vues d’artistes criardes, des planètes violacées au bord de l’étouffement, des nébuleuses en voie de constitution, ou des étoiles noires auréolées comme il se doit de l’or du mystère et façonnées par l’espace-temps tout courbé autour d’elles. Non, rien de tout ça. Au lieu des écrans, des étagères du sol au plafond, plein de petits rangements où sont placés de minuscules sarcophages de titane, brillant dans la douce obscurité de la boutique. Il s’approche de la bibliothèque et s’apprête à se saisir d’une boite quand un bruit de mandibule l’avertit que quelqu’un est dans la pièce. – Désolé, j’vous avais pas vu. L’Intelligence Animale (IA) lisse son visage de doryphore fatigué d’une de ses quatre pattes chitineuses. Une patte après l’autre. – Qu’est-ce que vous vendez exactement ici ? dit-il pour se racheter, cherchant avec une effrayante spontanéité à justifier tout de suite son existence par une démarche marchande. Il sent que l’IA va devoir user d’un langage commun extraordinairement haché, radiodistant de plusieurs intelligences, pour lui faire saisir la singularité de sa démarche et de son produit. Mais sans un mot, elle se rapproche de lui et saisit une des boites. Presque au hasard à ses yeux. Mais il s’agit peut-être toujours de la même boite dans chacune des étagères. Va savoir. Il est toujours surpris de la dextérité et de la grâce de ces longues quatre pattes insectoïdes, tout aussi efficaces que les pattes doigtées et pataudes des mammifères. Les petites baguettes de ses pattes déposent avec une délicatesse cérémonielle la boite face à lui et la boite s’épanouit en silence sur le comptoir, pareille à une fleur de papier. A l’intérieur une ampoule contenant une matière aussi noire que l’univers, aussi calme que la mer du sommeil. L’IA lui cliquète quelque chose de compréhensible de ses seuls semblables. Elle enclipse ensuite le tube dans un étui brillant et le porte à ses mandibules. Elle aspire et lui souffle sur le visage une lourde fumée. A travers la brume blanche de ce cosmos il voit les facettes noires des yeux de l’IA briller. Entre eux deux, la distance de ce cosmos laiteux, et dans leurs deux corps, la même substance blanche, âcre et vaporeuse, le même ectoplasme à la sève sucrée et mielleuse. Distance et communion absolue. À se demander si l’expérience tient dans cette métaphysique bizarre d’un échange paradoxal du plus lointain et du plus proche, du plus essentiel et du plus contingent, brûlé et métamorphosé en fumée. Mais bon, ça lui semble improbable au jugé des stands putassiers de la Perspective Esver. D’ailleurs l’autre lui présente la facture. Le prix de quelques nuits d’insomnie à vendre ses rêves aux plus offrants. C’est à se demander si on a liquéfié des univers entiers pour créer ce goût de formiate d’éthyle, de framboise nébuleuse et de brûlure de supernovæ. C’est frustrant de pas savoir ce qu’il achète. Ou ce qu’il vient de vivre sans le comprendre. Un succédané d’éternité, une brume médicale, un fluide de transport intersidéral comme celui qu’on injecte aux cosmonautes et aux grands rêveurs dans leur caisson hyperrêve ? Il essaie de comprendre la notice que l’autre lui présente avec la boite-fleur. De petits signes blancs et noirs se baladent sans grande règle, suivant un maelstrom dont il peine à distinguer si c’est là encore un des effets secondaires ou bien un langage qui lui est à nouveau turbuleusement interdit. Il relève les yeux vers les facettes noires et toujours aussi énigmatiques de l’IA. Un sourire semble les parcourir. Il a encore la tête vaporeuse et son crédit plus libre de quelques zollars. Il sort de la boutique et continue de rêver à la question en rejoignant les néons de la Perspective Esver. Favori5
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