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Comme celui de l’artiste,
comme le cri assourdi par une année blanche,
comme le cri que je ne pourrais retenir parfois.
– Emprunté au poète surréaliste Jean-Louis Bédouin extrait de son poème « Les beaux draps ».

Nous voici donc,

Bourse déliée, jean déchiré, talon chic sans baiser choc,

Écouter la clameur, ce ronronnement chaleureux entre tous,

Répondre les yeux dans les yeux à toutes ces phrases perdues dans l’espace,

Voir sans vitre le soleil avalé par la nuit au son cristallin du tintement des verres.

Se frôler, se sentir et voir des oeuvres. J’adresse une spéciale dédicace à Laurent Lafolie qui m’a offert un voyage magnifique, où hypnotisée par ses portraits, le mot art prend tout sens. Immense merci, je suis venue, j’ai vu, j’ai vibré.

A Duchamp qui écrivait bête comme un peintre, je répondrais faux. Non Marcel tu n’as pas toujours raison.

« Picasso a rendu notre siècle visible ; Duchamp nous a montré que tous les arts, sans exclure les arts visuels, naissent et finissent dans une zone invisible » Octavio Paz. La photographie est morte ! Vive la photographie!

Quid de l’artiste? Et sortis de cette zone invisible, allons-nous redevenir visible?
Voir? Voit-on avec nos yeux? Voit-on avec le coeur?

La persistance rétinienne dûe à nos Retina ne nous joueraient-elles pas des tours?
Camarade volontaire ou non de nos écrans, je me demande si la façon dont nous voyons va se transformer.
Et si l’on ajoute notre perception occultée d’alters egos durant un an, nos sens entravés par une bande de tissu et la distance corporelle imposée, comment ne pas craindre une modification de notre rapport au sensible ?

La publicité elle n’a pas attendue et s’est déjà emparée de ce nouvel appendice. Quelques protagonistes apparaissent masqués afin de nous ressembler. Si notre propre représentation (certes, censée nous inciter à consommer) nous renvoie des demi-visages, les portraits de demain seront-ils masqués ?

En 1514, le mot masque au double genre (une masque fut au 17e siècle, une maquerelle, une sorcière )- dont les origines fait débat – désigne un « faux visage qu’on met pour se déguiser » Il faudra attendre 1831 pour que le mot masque désigne le visage. Le masque désigne alors à la fois la vérité (l’expression du visage) et le mensonge ou dissimulation (déguisement, appendice). Etonnant de constater et presque trop facile, la binarité et polarité du mot dans une langue si féconde. Et tiens,
poussons côté photographie aussi joueuse de masques : du phototype à photoshop. Elle voile, dévoile, positive, négative, apparaît et disparaît en se parant de milles fards. Tandis que nous, narcissiques humains capitulons à ses artifices.

Quelle ironie de voir notre monde si enclin à se montrer derrière le « masque » de l’écran du smartphone porter désormais un autre masque quasi en toutes circonstances pour continuer de tenter de se dévoiler entièrement en selfie.
Masque sur masque, souriez, rien ne bouge, masque contre masque, circulez, tout fout le camp.
Comme si la photographie presque trop puissante avait peur d’elle-même. La vérité a changé de camp. Le réel n’est plus, l’écran c’est nous.

Je fais le voeu que nous n’irons pas toujours en masque. Dare-dare, ils tomberont pour voir un autre jour se lever.

Comme il (nda: l’artiste) les perçoit pour elles et non pour lui, c’est la vie intérieure des choses qu’il verra transparaître à travers leurs formes et leurs couleurs. Il les fera entrer peu à peu dans notre perception déconcertée […] et il (l’artiste) réalisera ainsi la plus haute ambition de l’art, qui est de nous révéler la nature . (Henri Bergson)

Selma Bella Zarhloul
Après une double formation en Information et Communication à la Sorbonne et histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, elle choisit de se consacrer à la photographie. D’abord, en tant que praticienne afin de bien comprendre et maîtriser les spécificités du médium pour pouvoir s’exprimer avec. Parallèlement, en 2001, elle rejoint la Donation Henri Lartigue, sous tutelle du Ministère français de la Culture. Pendant plus de 10 ans, elle contribue au développement, assurant la production et la distribution de la collection à travers le monde. En 2017, elle commence à travailler en tant qu’ indépendante endossant plusieurs casquettes : commissaire d’exposition, critique d’art et cheffe de projet spécialisée dans la photographie contemporaine. Entre autres, elle assure le rôle d’administratrice générale du Festival Voies Off à Arles en 2018-2019. En 2021, sa passion pour la photographie contemporaine la pousse à ouvrir La Volante à Arles, une galerie d’art dédiée à la photographie et autres arts.

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