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Au détour des allées de la foire Paris Photo, je suis tombée sur un stand d’une grande sobriété. Quelques affiches, un computer et des flyers pour habiller ce stand pas comme les autres…  Trois jeunes femmes présentaient la plateforme « Elles font la culture ». Cette start-up d’Etat s’est donnée pour mission d’augmenter la visibilité les femmes de l’art et de la culture, elles ont choisi la photographie comme étude de cas et premier terrain d’expérimentation ! J’ai donc interrogé Jenn Stephan, Coach méthodologie de cette équipe portée par le Ministère de la Culture dans L’Atelier Numérique du Ministère de la Culture.

Pour moi, la vision d’un photographe homme ne sera jamais la seule façon de voir le monde” Elisabeth Hase, photographe (1905 – 1991)

Quelles solutions sont apportées aux femmes artistes, systémiquement évincées des programmations, sous-représentées dans les professions des arts et de la culture – dans les corps de métiers comme à la direction des structures, et oubliées du grand récit de la création ? La plateforme Elles font la culture propose des réponses concrètes.

Pouvez-vous présenter Elles font la culture ?

De gauche à droite : Laurie Chapotte, Jenn Stephan et Nadia Auger © 9 Lives magazine

« Elles font la culture » est une start-up d’Etat, nous sommes une petite équipe autonome composée d’indépendants et d’agents publics. Nous avons Laurie Chapotte, qui est UX Designeuse au sein du Ministère de la Culture, Nadia Auger, développeuse indépendante qui a réalisé la plateforme et moi-même Jenn Stephan, coach méthodologie, et notre porteur de projet, Paul Vautrin, Chargé de mission Égalité-Diversité au sein du Ministère.
Notre but est de réduire les inégalités de genre dans tout le secteur culturel.
Pour commencer ce long travail, nous avons choisi de commencer par un petit secteur qui est celui de la photographie, car il représente environ 22 000 photographes en France. Nous avons donc interrogé plus de 500 femmes photographes à travers divers outils comme des formulaires en ligne, mais aussi à travers des entretiens pour identifier les points de friction et les problèmes rencontrés dans leur parcours de carrière.
Le chiffre qui nous a le plus interpellé, c’est ce gap entre la formation et la vie professionnelle. À l’école, les femmes représentes 58% des étudiants mais passé dans la vie professionnelle, elles ne représentent plus que 35%. Nous avons essayé de comprendre cet écart, et avons identifié 3 principaux problèmes :
– la précarité lié au statut de photographe qui concerne d’avantage les femmes malheureusement avec la maternité et les problèmes d’inégalités sociales.
– le problème de sentiment de légitimité.
– et l’absence de ressources éducatives sur les femmes artistes ou l’égalité. Beaucoup d’étudiantes nous ont confié leur surprise sur le fait qu’elles n’avaient jamais étudié le travail des femmes photographes à l’école. Ce qui renforce ce manque de légitimité.

Est-ce un phénomène qui touche plus particulièrement le domaine de la photographie ?

Cela touche vraiment tous les domaines. Il est difficile de dire avec exactitude compte tenu de l’avancée de nos recherches, mais ce phénomène serait finalement un peu moindre dans le secteur de la photographie. La photographie est souvent perçue comme un métier technique, avec du matériel lourd, donc naturellement elle s’adresse plus aux hommes, et les femmes auraient plutôt tendance à être face à l’objectif, comme la muse, la modèle.

Pouvez-vous nous présenter la plateforme ?

Mise en ligne il y a deux mois, cette plateforme est un prototype co-construit avec les utilisatrices. Aujourd’hui, on retrouve un accès aux aides financières, pour résoudre ce premier problème lié à la précarité. Nous partageons un catalogue d’aides publiques. Nous avons comme projet de valoriser les commissions et les lauréats paritaires, pour incentiver les institutions à avoir des sélections égalitaires entre les hommes et les femmes. Cela permet également de faciliter et fluidifer le parcours des candidates vers les aides financières, quelles que soient leurs demandes de financement…

Ici exemple issu du catalogue d’aides. Soutien à la photographie documentaire contemporaine avec un logo « parité respectée »

Un jour on m’a dit : Vous ne comprenez rien à la photographie, vous voulez juste être jolie.
avec Marie Docher, photographe, réalisatrice et membre du collectif La Part des Femmes

Et pour résoudre ce problème de manque de légitimité, de manque de rôle modèle et ce besoin d’être inspirée par d’autres carrières, nous publions des articles informatifs ou juridiques. Comme comment choisir son statut juridique, comment gérer ses droits d’auteur… ? Nous avons produit des vidéos et des fiches pratiques pour sensibiliser les jeunes femmes et toutes minorités de genre à se former aux métiers de la photo et à se sentir plus légitimes. C’est là qu’intervient Marie Docher, qui a beaucoup répondu à des verbatims de femmes photographes que nous avons rapportés.

La maternité freine-t-elle la carrière ? avec Lucie Sassiat, photographe et vice-présidente de l’Union des photographes professionnels

Aujourd’hui la plateforme est accessible à cette adresse : ellesfontlaculture.beta.gouv.fr, le beta dans le nom c’est parce que nous faisons partie de l’incubateur beta.gouv des services publics numériques. Nous sommes en expérimentation ; chaque semaine on peut se connecter, il y aura de nouvelles fonctionnalités et une fois cette phase d’expérimentation passée et quand le service aura prouvé son utilité, on passera en .gouv.

Notre but est d’alimenter cette plateforme avec du contenu, d’agrandir le panel d’aides que nous partageons, avec en plus des aides publiques, les privées. Avec la volonté de fomenter les parités pour que cela créé de l’émulation, et que les institutions puissent réfléchir à leur positionnement en terme d’égalité. Nous essayons de faire évoluer les politiques publiques, vers ces prises de conscience. On souhaite bien évidemment enrichir les témoignages et les retours d’expériences des femmes photographes, mais aussi avoir les remarques des utilisatrices de la plateforme pour nous confier leurs besoins, ce qu’elles ont envie de voir et d’apprendre. Et enfin, pouvoir étendre cela aux autres domaines de la culture !

Vous êtes proches des différentes actions menées par exemple par Les Filles de la Photo ou La Part des Femmes… ?

Oui, ce sont nos interlocutrices régulières et privilégiées, puisqu’elles ont déjà fait beaucoup dans ce domaine. Elles ont été en première ligne avec les institutions, leur expérience nous est nécessaire car nous ne sommes pas expertes du sujet, ce qui est un plus puisque nous partons à neuf, sans être biaisés par notre propre expérience. Nous collaborons avec La Part des Femmes, le CNAP pour accéder à toutes les aides, l’UPP, Aware, Women in Photography…, tous ces acteurs qui sont déjà bien engagés et ancrés dans ces problématiques d’égalité. J’aimerais insister sur le fait que la plateforme ne duplique pas des choses existantes, mais essaie de compléter et d’avoir un appui public sur une question qui est de politique publique.

La plateforme est sans cesse en évolution. Et le jour où les inégalités hommes/femmes auront disparu, cela voudra dire que nous pourrons la décommissioner.

Découvrez cette plateforme
https://www.ellesfontlaculture.beta.gouv.fr/
Une question, une suggestion, un témoignage ? Contactez-les : ellesfontlaculture@beta.gouv.fr

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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