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Ce sera sans aucun doute l’édition de la résilience et de la résistance. Après une édition annulée en 2020 par la crise sanitaire, et une situation de marché particulièrement difficile, Cécile Schall, fondatrice de fotofever a été contrainte de renoncer. Alors qu’elle pensait tout arrêter, elle décide finalement de se battre pour sauver fotofever et de revenir à sa volonté première de faire de ce salon, un événement intimiste. Après 4 mois d’intense travail, l’édition anniversaire des 10 ans fera son entrée au sein du Bastille Design Center du 11 au 13 février, pour vous offrir un tout nouveau fotofever ! Nous avons rencontré Cécile Schall à quelques jours de l’inauguration.

Portrait Cécile Schall © Florence Levillain / Agence Signatures

9 Lives magazine : Fotofever fête son dixième anniversaire. À cette occasion, la foire se déroule dans un nouveau lieu et à de nouvelles dates. On dit adieu au Carrousel du Louvre et à cette période du mois de la photo, pourquoi de tels changements ?

Cécile Schall : Après l’annulation de l’édition de 2020, il a fallu se réinventer, quitter les bureaux, je me suis séparée de l’équipe, j’ai fait le dos rond pendant quelques mois, j’ai même failli tout arrêter. Et après mûres réflexions, j’ai décidé de revoir le concept. Je suis finalement revenue aux sources, à ce que je souhaitais faire au départ, à savoir une édition avec peu d’exposants dans un lieu convivial qui favorise les rencontres avec les œuvres, notamment par rapport à ce public qui n’est pas forcement connaisseur de la photographie.
La première édition de fotofever a eu lieu en 2011 à l’Espace Cardin, mon objectif était de grandir au sein de cet espace, mais les choses se passent rarement comme on le souhaite. L’année suivante, Paris Photo a changé ses dates et malheureusement le lieu n’était pas disponible. J’ai fait ma demande au Carrousel du Louvre, mais ils ont refusé trois fois jusqu’à accepter finalement. Si en 2012 j’ai lancé l’édition à Bruxelles, j’ai du assumer d’être dès 2013 dans cet espace gigantesque qui abritait Paris Photo jusqu’à ce qu’ils emménagent au Grand Palais. Le Carrousel du Louvre est très cher et nécessitait d’avoir un très grand nombre d’exposants et d’être par conséquent, beaucoup moins sélective !

Yubari, Hokkaido,2021 © Eiji Ohashi / Echo 119

L’idée de ce retour aux sources était avant tout de retrouver un lieu qui ait une âme, et le Bastille Design Center est un espace que j’ai découvert il y a une dizaine d’années, je l’ai trouvé très beau, et je l’ai toujours gardé en mémoire. Je voulais organiser un événement dans cet endroit sublime.
Pour les 10 ans, il était important de se réinventer, avoir un lieu accessible aussi financièrement, plus convivial, et changer de dates parce que maintenant fotofever est assez grand pour ne plus être dans l’ombre de Paris Photo. Finalement cette volonté du départ d’organiser cet événement en même temps que Paris Photo pour apporter « un complément nécessaire à cette foire » – pour reprendre les dires des journalistes – est plus devenue un handicap qu’un atout. Parce que c’est un événement qui prend toute la lumière. Il était temps de sortir de l’ombre ! Et de proposer au public un événement à une période où il se passe assez peu de choses dans le domaine de l’art.

Le troisième grand changement, c’est une nouvelle organisation. Comme j’ai été contrainte en 2020 de me séparer de mon équipe, j’ai eu l’idée d’appeler Nicolas Laugero Lasserre, directeur de l’école ICART. Je l’ai connu car il dirigeait l’Espace Cardin lorsqu’on a inauguré fotofever en 2011. Nous avions déjà collaboré ensemble en 2019, nous avions un partenariat avec l’école pour nous accompagner dans la médiation, et suite au succès de cette collaboration, je lui ai proposé de co-organiser cette édition 2022 avec un collectif d’étudiants. Cette idée est née en mars-avril l’an passé, et depuis mi-octobre il y a un collectif de 25 étudiants avec qui je collabore pour organiser cet événement ! C’était un vrai challenge et je suis très fière d’eux.

Douceur n° 2 © Sophie Legendre

La Peau du Monde © Fabrice Domenet / Galerie L’Angle

9 Lives magazine : Peux tu nous raconter la façon dont s’est organisée cette édition dans ce contexte si particulier de crise sanitaire ? Avec la possibilité que l’événement soit annulé, comme en 2020 ? …

C. S. : Il y a eu un moment où j’ai eu peur d’être obligée d’annuler la manifestation. C’était arrivé en 2020, c’était donc difficile à oublier.
J’avais confié à l’équipe d’envisager une alternative, mais c’était difficile à gérer au niveau du moral. Puis, assez rapidement, je me suis apaisée car j’avais l’intuition que cette édition aurait lieu, que le gouvernement ne pouvait plus interdire les événements, en particulier dans un lieu comme le Bastille Design Center avec une jauge maximale à 200 personnes, donc nous nous sentions moins menacés.
Ce qui a été très compliqué c’est plutôt du côté des galeries. Elles avaient de vraies craintes. Ça a été un cauchemar, beaucoup de galeries n’ont pas souhaité s’engager. Je ne peux pas leur en vouloir. Et j’avais d’ailleurs bien préciser pour les rassurer qu’en cas d’annulation, je ferais comme en 2020, je rembourserais tous les exposants. D’ailleurs je pense avoir été l’une des rares à l’avoir fait ! Ce qui fait qu’aujourd’hui, fotofever est dans une situation financière compliquée.
J’ai donc du composer avec la crainte des galeries, nous devions en accueillir une vingtaine, nous aurons finalement 11 exposants. Nous avons également moins d’événements corporate de prévus, cette édition va être difficile, c’est certain.

Au pied du mur © Florence Levillain / Agence Signatures

Une goutte d’eau © Florence Levillain / Agence Signatures

Il y a néanmoins de belles choses qui sont arrivées : Glory Paris, une agence de communication – habituée de fotofever – m’a contactée. Ils m’ont proposé de développer une campagne très spécifique pour cette édition anniversaire. L’idée était de partir sur ce qui poussait les gens à acheter une photographie. Nous avons interrogé notre communauté et l’agence nous a proposé cette accroche « Coup de foudre à fotofever » ! Il y a un vrai parallèle entre le coup de foudre que l’on peut ressentir en amour et le coup de cœur que l’on a avec une œuvre.
Leur idée a donc été d’organiser un partenariat avec une plateforme de rencontre, Adopte, de soumettre à leur communauté une sélection d’œuvres qui seront exposées et de leur demander de voter pour leur photographie favorite. Il y aura un tirage au sort pour sélectionner deux personnes qui aiment le même tirage. Ce concours est lancé sur les réseaux jusqu’au 7 février inclus, et le couple gagnant remporte un dîner aux chandelles à fotofever samedi soir à 20h. La foire est privatisée pour ce couple, qui se rencontre pour la toute première fois ! Comme fotofever se déroula à la veille de la St Valentin, c’était une manière de faire un petit clin d’œil original. J’ai hâte de voir ça !

Jean Moral photographie la mode pour Harper’s Bazaar, 1938 © Roger SCHALL

9 Lives magazine : Peux-tu nous présenter cette édition anniversaire ?

C. S. : Au début, je ne voulais que des exposants parisiens pour faciliter l’organisation, s’il y avait eu des restrictions liées à la crise sanitaire cela aurait été plus simple. Finalement, les choses ne se sont pas du tout passées comme je l’attendais, avec une cinquième vague menaçante. Nous aurons donc des galeries parisiennes, régionales mais aussi deux galeries étrangères pour inaugurer cette nouvelle édition. Nous avons souhaité sortir de la présentation classique des foires par stand, en proposant un accrochage plus proche de celui d’une grande exposition, avec une scénographie très ouverte.
Autre nouveauté, j’ai demandé à ce que les galeries présentent un ou deux artistes, avec un éclectisme de genres et de styles propre à fotofever.

Enfin, j’ai tenu à rendre hommage à Roger Schall, en consacrant à son œuvre un étage entier, en présentant un corpus photographique issu de deux expositions. La première que j’ai organisée à Paris en 2005 : « Paris vu par Schall » et la seconde sur le thème de la mode, exposée de son vivant au Salon d’Automne au Grand Palais en 1982. Il s’agira de montrer au public et de mettre en vente ses tirages uniques d’exposition.

2016 Nemuro City, Choboshi © Chieko Shiraishi / Echo 119

2016 Betsukai Town, Hokkaido © Chieko Shiraishi / Echo 119

9 Lives magazine : fotofever s’est réellement positionné dans le start to collect, quel public vises-tu et comment initier les gens à l’achat d’œuvres photographiques ?

C. S. : Pour moi, la mission start to collect, était dès le départ, la raison d’être de fotofever. La photographie doit être considérée comme un art à part entière et intégrer son caractère multiple, sachant qu’il existe encore des réticences de la part de certains publics, collectionneurs ou non et qu’il est crucial de poursuivre cette mission de la façon la plus pédagogique possible. La photographie est polymorphe, et j’ai souvent eu des remarques du public surpris « ah mais la photographie, c’est ça, ça peut-être ça!? » – loin de l’image un peu dépassée de la photo classique en noir et blanc à la Doisneau.
Beaucoup d’achats se font d’un côté par des collectionneurs qui souhaitent découvrir de jeunes auteurs encore peu connus et accessibles, et de l’autre côté, des primo accédants.
Beaucoup se sentent intimidés par le marché de l’art, ils ont besoin de se sentir en confiance, c’est essentiel que l’on puisse accueillir tout le monde dans un lieu convivial et chaleureux.

9 Lives magazine : Cela fait quelques temps d’ores et déjà que l’on entend parler des NFT dans le marché de l’art et pour cette édition, vous accueillez le concept « We lock love ». En quoi les NFT peuvent-ils être innovants pour le marché de la photo ?

C. S. :
En effet, on accueille un artiste qui vend son concept de photographie en NFT. Avec We lock love, il a photographié les cadenas du pont des arts et il propose son travail uniquement de manière dématérialisée en NFT. J’ai trouvé l’idée originale, on devient de plus en plus nomade, et on se détache de plus en plus de l’objet. Le fait de pouvoir acheter des œuvres en NFT est aussi une façon de pouvoir vivre avec ses œuvres sur soi. C’est un atout indéniable.
Et il y a quelque chose de très important, c’est le second marché, il y a une certaine forme de spéculation que je ne trouve pas inintéressante ! Les gens achètent et revendent pour acheter de nouvelles choses et cela se fait très simplement sur les plateformes dédiées. Cela simplifie considérablement le processus d’achat et je trouve cela formidable.

9 Lives magazine : Est-ce qu’on s’adresse aux mêmes collectionneurs avec les NFT qu’avec les tirages photographiques classiques ?

© We Lock Love

C. S. : Personnellement, je reste très attachée à l’objet et aux finitions des tirages. Alors je pense qu’on s’adresse à une cible plus jeune, qui pour la plupart ignore ce qu’est un tirage argentique. Avec une génération plus détachée de l’objet. Les NFT est une façon d’élargir le marché à un nouveau public, plus jeune, plus en affinité avec ce format, qui peut également conduire à un format physique d’ailleurs. C’est ce que fait la plateforme Arago que je suis depuis quelques temps, leur particularité, en plus d’être dédiée à la photographie, est de donner la possibilité à chaque acquéreur de NFT de pouvoir avoir le tirage.

Je crois beaucoup à cette nouvelle technologie pour la photographie. Je pense que cela va sûrement apporter une réponse à la crainte qu’ont les collectionneurs sur l’authenticité des tirages. Et aussi que les smart contracts soient inscrits dans la blockchain, cela va apporter une sécurisation qui parfois fait défaut dans la photographie.
Avec ces technologies, on peut apporter de vraies solutions à ces inquiétudes.
Le NFT dans le marché de l’art va être une révolution, comme l’a été internet. Nous n’en sommes qu’au début, mais j’y crois !

Galeries participantes et photographes exposé·es
• Galerie L’Angle : Fabrice Domenet & Aurélien David
• Echo 119 : Chieko Shiraishi & Eiji Ohashi
• Yasuo Kiyonaga
• Florence Levillain – Signatures, Maison de photographes
• Bel Air : Patrick Rougerau & J Léo
• Sophie Le Gendre
• Ionnyk
• We lock love
• Tableaux éditions
• Artekermitage
• Formento+Formento

https://www.fotofever.com/

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu10fev(fev 10)11 h 00 mindim13(fev 13)20 h 00 minfotofever 10ème éditionstart to collectBastille Design Center, 74 Bd Richard-Lenoir, 75011 Paris Organisateurfotofever

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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