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Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invitée de la semaine, Brigitte Trichet, co-fondatrice d’Hemeria, revient sur trois travaux édités ces dernières années au sein de la maison d’édition avec les photographes Wahib Chehata, Patricia Canino et Emanuele Scorcelletti. Trois démarches et trois univers différents portant une même force. Enfin, pour finir, Brigitte nous invite à (re)découvrir son podcast qu’elle produit avec Yannick Le Guillanton qui s’intitule L’Œil écoute et qui donne la parole aux photographes…

Je l’avoue, j’ai toujours voulu être journaliste. Dieu sait que ce métier n’a jamais été aussi difficile, et ce n’est pas mon séjour à Sciences Po Paris en 2017 qui m’a réconfortée sur son avenir. Photographe ou journaliste, il s’agit toujours d’assouvir une curiosité de l’autre ou de l’ailleurs. La mienne est insatiable. Je ne connais pas grand monde finalement qui n’aime pas, au fond, parler de soi, ou, tout du moins, raconter son histoire. Il suffit simplement d’écouter. Chaque histoire est unique. Unique au sens d’exception, ce qui est en dehors de la norme, du commun. C’est tout l’enjeu d’un travail qui se doit de respecter une vérité individuelle, sans préjuger, sans se laisser soumettre aux biais d’interprétation, sans généraliser. Et c’est toute l’essence du travail des artistes. Ils font pour nous le pas de côté, ils nous montrent le sens caché des choses et des âmes, ils voient le monde autrement et partagent leur vision, unique elle aussi, en créant des formes nouvelles.

Je pense en ce dernier jour où l’on me confie les pages de 9-lives aux artistes dont j’ai pu découvrir le travail grâce à Hemeria. La photographie est l’outil plastique de leur mode d’expression. Leur maîtrise technique est vertigineuse, au point de disparaître sous la puissance d’évocation de leur travail. Leurs œuvres vous attrapent le cœur, et parfois les tripes.

UT PICTURIA / Wahib Chehata © HEMERIA

UT PICTURIA / Wahib Chehata © HEMERIA

Wahib Chehata est un de ces artistes. Sans compromis. La radicalité dérange surtout quand elle sonne juste. Ut Pictura est le nom de la monographie que nous avons éditée en 2019. Sous forme de séries, ses portraits ou ses mises en scène nous plongent dans l’abîme des mythologies d’aujourd’hui, au carrefour des religions, des croyances, des grands siècles d’or de la peinture et de l’histoire politique récente, héritée de la colonisation ou de la société du capitalisme.

© Wahib Chehata

© Wahib Chehata

© Wahib Chehata

© Wahib Chehata

© Wahib Chehata

© Wahib Chehata

Exposition Wahib Chehata © Julien Hay pour HEMERIA

Patricia Canino Lux in tenebris Petit coffret

Patricia Canino en est une autre. Avec Lux in Tenebris, un travail photographique sur les icebergs à la dérive du Grœnland, les images deviennent matières à transformation et métamorphoses de la lumière. Des éclats de lumières négatives solarisées vibrent, la profondeur du noir se déploie dans toute sa puissance, le blanc des glaces devient minéral, la surface de l‘eau prend des reflets métallisés. Le calme est là, mais tout présage d’une catastrophe passée ou à venir. À la question de Lydia Kamitsis (historienne de la mode) « Comment passer du monde du luxe au monde des glaciers, comment photographie-t-on la mode, et après, les icebergs », Patricia Canino répond : « C’est tout le chemin entre l’intérieur et l’extérieur. J’aime à travailler la mise en lumière de la matière, des tissus, des formes, des silhouettes de la mode. Ce travail sur la lumière, j’ai eu envie de l’éprouver avec l’extérieur lointain, un monde de l’extrême fait de glace, d’eau, de nuages. Il y a une vraie continuité, un traitement qui se prolonge. »

Lux in tenebris © Patricia Canino

Lux in tenebris © Patricia Canino

Lux in tenebris © Patricia Canino

Lux in tenebris © Patricia Canino

Emanuele Scorcelletti, enfin, avec Elegia Fantastica, nous entraîne dans une élégie du vagabondage et des immortels dans la région natale de son père disparu, les Marches, cette région méconnue de la côté adriatique de l’Italie… Merveilleux et émouvant voyage dans la mémoire et les strates qu’elle dépose dans nos âmes, en images mentales révélées par le truchement d’un outil magique inventé il y a presque deux siècles, et devenu un art, la photographie.

Avenali – CINGOLI (MARCHE) © Emanuele Scorcelletti

Comme la lanterne de Kircher ou le sésame des Mille et une nuits, la photographie est cette constante tension entre la naissance et la disparition, entre l’obturation et l’ouverture.

Je terminerai cette semaine en vous disant que je réussis parfois à tenir moi aussi un sésame entre mes mains grâce au podcast L’Œil écoute que nous produisons. Yannick Le Guillanton ou moi-même partons régulièrement à la rencontre des acteurs du monde de la photographie. Ces conversations sont une autre manière de faire leur connaissance, et de mieux comprendre leur trajectoire et leurs images.

Clarisse Rebotier, l’UPP, Franck Ferville, Amira Alsharif, Olivia Gay, Frédérique Founès (Signatures), Pascal Maître, Sylvie Hugues, Laurence Leblanc, André Carrara, Bernard Plossu, Sabine Weiss, Sophie Zénon, Isabelle Boccon-Gibod, Régis Samba-Kounzi, Patricia Canino, Denis Dailleux et Jérémy Lempin ont ainsi participé à ces rencontres. Je ne peux que vous inciter à les écouter…

À bientôt.

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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