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À l’issu d’un appel à candidatures international à destination des photographes européens de plus de 60 ans indépendants et toujours en activité, le Prix Viviane Esders dévoile les cinq finalistes de sa seconde édition. Ces derniers sont en lice pour remporter le prix exceptionnel doté de 60.000€, dont une partie cette dotation, 10 000 euros, servira à contribuer à la réalisation d’un ouvrage. Le photographe italien Mario Carnicelli a remporté la première édition, il faudra attendre l’automne pour connaître le ou la lauréate 2023 ! Découvrez les cinq finalistes.

Jean-Claude Delalande

© Jean Claude Delalande / Prix Viviane Esders 2023, Finaliste

Né à Paris, France, en 1962.
Après des études de comptabilité, il intègre une compagnie d’assurances à 18 ans ; il y travaille pendant 37 ans. Parallèlement il n’a jamais délaissé sa passion pour la photographie. Il réalisait des portraits de sa famille, il photographiait des paysages tristes après l’orage et se prenait en photo. Plus tard il met en scène ses proches dans leur quotidien.
En 1993 il suit des cours de photographie dans une école à Montreuil sous Bois en région parisienne, durant une année. A ce moment là, il eu l’idée de combiner autoportraits et mise en scène avec ces mêmes proches.
En couple, c’est son propre quotidien qu’il photographiait et quand l’occasion s’y prêtait il invitait famille et amis à y participer. La série « Quotidien » était née.
D’autres réalisations photographiques l’occupent telles : Asymétrie, Clair et Obscur, Mortes Natures, En construction, La vie en rose … Certaines de ces séries ont fait l’objet d‘expositions : à la Maison Européenne de la Photographie et à la Bibliothèque Nationale de France François Mitterrand, au MuCEM de Marseille, aux Rencontres photographique d’Arles, à la Galerie Claude Samuel à Paris, au MAMAC de Liège, à l’Imagerie de Lannion… Certaines photographies ont rejoint les collections de la BnF, du musée de la photographie de Bièvres, de l’Imagerie de Lannion… Plusieurs portfolios ont été publiés dans des revues ; Images Magazine, Réponses Photo, Eyemazing, Photographie magazine…
Il collabore également avec les quotidiens ; La Croix, Le Monde et le magazine Têtu.

http://jeanclaudedelalande.eu

Markéta Luskačová

PILGRIMS, Slovakia 1964 -1971 © Markéta Luskačová / Prix Viviane Esders 2023, Finaliste

Markéta Luskačová est une photographe d’origine tchèque qui a passé une grande partie de sa vie à vivre et à travailler au Royaume-Uni. Fréquemment attirée par les personnes marginalisées, elle est particulièrement connue pour son travail dans les villages slovaques, mais aussi sur les marchés de l’East End à Londres.

Née à Prague en 1944, elle a grandi en Tchécoslovaquie à l’époque du régime communiste. En 1963, elle tombe par hasard sur un groupe de pèlerins se rendant dans la ville de Levoča et devient déterminée à documenter ces traditions culturelles et religieuses menacées d’effacement. Elle a étudié la sociologie à l’Université Charles, obtenant son diplôme en 1967 avec une thèse intitulée Pèlerinages en Slovaquie. Elle a ensuite étudié la photographie à l’école de cinéma et de télévision de la FAMU à Prague.

La série de photographies Pilgrims a valu à Markéta une reconnaissance internationale. Elle a voyagé dans les régions reculées de Slovaquie, se concentrant en particulier sur le village de Šumiac, où la vie n’a pratiquement pas changé depuis des centaines d’années, ayant échappé au collectivisme imposé au reste du pays par le gouvernement communiste. Elle a dépeint la vie, les rites et la religion de ces communautés villageoises durables. Les pèlerinages étant en contradiction directe avec l’idéologie de l’État, Markéta a voulu enregistrer ce mode de vie, craignant qu’il ne soit bientôt éradiqué.
Ces photos ont été exposées pour la première fois à Prague en 1971 à la Galerie des arts visuels. Le rédacteur en chef de Creative Camera, Colin Osman, en visite à Londres, a vu cette exposition et a publié les photographies, attirant ainsi l’attention du monde entier sur le travail de Markéta. La collection sera également exposée plus tard à Londres, au Victoria and Albert Museum, en 1983.
En 1971, Markéta épouse le poète Franz H. Wurm qui, bien que natif de Prague, a la nationalité britannique. Au cours des années 1970-1972, Markéta photographie les productions théâtrales du Theatre Behind the Gate, dont elle est la photographe attitrée. Mais cela lui vaut d’entrer en conflit avec le parti communiste, qui interdit le théâtre en 1972. Elle demande aux autorités de l’État de rendre visite à son mari en Angleterre et finit par émigrer en 1975.
Tout au long des années 1970 et 1980, la censure communiste a interdit le travail de Markéta en Tchécoslovaquie. Néanmoins, elle n’a jamais cessé de considérer la Tchécoslovaquie comme sa patrie. « J’ai toujours considéré ma vie à l’étranger comme une sorte de palliatif qui s’est étiré pour devenir une partie considérable de ma vie », a-t-elle déclaré.

À Londres, Markéta a trouvé une nouvelle source d’inspiration pour son travail dans les marchés de la ville, en particulier ceux de Brick Lane et de Spitalfields. Elle a fait ses achats dans ces marchés par nécessité, mais elle y a aussi trouvé un sujet riche et varié sur lequel elle a pu se concentrer. À la naissance de son fils, Matthew, en 1977, elle le promenait dans les rues dans son landau et prenait des photos des personnes et des lieux qu’elle rencontrait. Elle a continué à photographier ces quartiers et leurs habitants pendant des décennies et a produit une longue série. « Je n’ai pas trouvé à Londres de meilleur endroit pour commenter l’impossibilité même de l’existence humaine », dit-elle. En 1991, Markéta a organisé une exposition personnelle à la Whitechapel Gallery, présentant une sélection de ses photographies prises sur les marchés de l’East End. Peu après que la « révolution de velours » a rétabli la démocratie en Tchécoslovaquie à la fin de l’année 1989, Markéta a été invitée à monter une exposition au musée Levoča. Au cours de l’été 1990, sa série Pilgrims y a été exposée. Elle a ensuite travaillé en République tchèque en photographiant la communauté vietnamienne, des enfants handicapés et des carnavals d’hiver, tout en continuant à prendre des photos au Royaume-Uni, en se concentrant sur la photographie d’enfants en plus de son travail continu sur les marchés de rue de Londres.

Interviewée par The Guardian en 2012, Markéta a déclaré : « Dans la langue tchèque, le verbe photographier signifie immortaliser. Lorsque je suis arrivée en Grande-Bretagne en 1975, j’ai été choquée d’apprendre qu’en anglais, l’équivalent est to shoot. Même après 37 ans passés ici, je trouve cette notion assez étrangère ».

http://marketaluskacova.com

Payram

Syrie © Payram / Prix Viviane Esders 2023, Finaliste

Depuis son départ d’Iran, en 1983, chassé par la révolution islamique, Payram (b. 1959) développe un travail photographique autour de la fragilité de sa condition d’exilé qu’il met en parallèle avec la fragilité du médium argentique. Il expérimente, tel un alchimiste, la transformation de la matière, la trace lumineuse.

En 2011, il publie Syrie 55 (Editions Gang), bouleversant témoignage d’une Syrie en pleine mutation dont les sensations (ouïe, goût, toucher…) lui rappellent son Iran natal : Alep, Damas et Latakieh (savon, métal, pierre), photographiées entre 2000 et 2010 au Polaroïd 55, portent les traces du passé et d’une tradition, mais aussi les germes d’une fatale chute.

En 2015, il participe au 7e Rendez-vous Photographique (Sète) ImageSingulières et au Festival itinéraires des photographes voyageurs à Bordeaux. En 2016, il bénéficie d’une exposition personnelle au Pôle photographie STIMULTANIA à Strasbourg et, en 2017, les Editions
Le Bec en l’Air publient la monographie Il y a beaucoup de lumière ici, à l’occasion de son exposition personnelle à Paris Photo. En 2020, il participe à l’exposition Noir & Blanc : Une Esthétique De La Photographie au Grand Palais.

En 2021, il publie Dialogue photographique sur les route de la soie (photographies de Paul Nadar et Payram, textes de Mathilde Falguière & Michel Poivert) aux Editions Le Bec en l’Air : cette série à la chambre, entamée à l’annonce de la fermeture des usines argentiques de Kodaak, emmène Payram du Tadjikistan (seul pays persanophone de la région), à l’Ouzbékistan, Kirghizistan et Turkmenistan.

Son travail photographique est présent dans de nombreuses collections publiques (Musée Elysée Lausanne, Bibliothèque nationale de France, Macedonian Museum of Contemporary Art…) et privées (Collection Neuflize OBC, Collection JPMorgan…).

http://galeriemaubert.com

Pierre de Vallombreuse

Peuple Basque,Bilbao © Pierre de Vallombreuse / Prix Viviane Esders 2023, Finaliste

« Pierre de Vallombreuse s’est engagé, utilisant le témoignage photographique, pour l’existence et la survie de tous les peuples victimes historiquement des États nationaux et dont les civilisations sont victimes de notre civilisation. Il s’est découvert dans sa propre humanité en découvrant leur humanité. Dans ce combat, s’est révélé également le sens de sa vie ».
Edgar Morin

Né à Bayonne le 23 juillet 1962, iI ressent très tôt l’envie d’être un témoin de son temps au contact de Joseph Kessel, grand ami de ses parents.
En 1984, il rentre à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris avec l’idée de faire une carrière de dessinateur de presse. Un voyage à Bornéo l’année suivante va bouleverser le cours de sa vie avec la rencontre des derniers nomades de la jungle : Les Punans.

D’artiste sédentaire, il devient alors un témoin nomade. La photographie sera son mode d’expression.
Après Bornéo, il découvre aux Philippines, dans la jungle de l’île de Palawan, une vallée qui va structurer une très grande partie de son existence. Cela fait 34 ans qu’il raconte la vie de ses habitants, autrefois isolés, depuis longtemps exposés. Il a vécu avec eux plus de quatre ans, lors de 23 voyages, et continu à documenter son évolution. Une première partie de son travail sur les Palawan fut présentée aux Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles en 1988, alors qu’il était toujours étudiant aux Arts Déco. Sa carrière était lancée. Il fut le secrétaire général de l’Association Anthropologie et Photographie (Université Paris VII) crée par Edgar Morin et Jean Malaurie. Depuis 1986, il témoigne inlassablement de la vie des peuples autochtones sur les cinq continents. Il a constitué un fond photographique unique, en constante évolution, de plus de 140 000 photos sur 42 peuples, rendant ainsi hommage à la précieuse diversité du monde.

La lecture du livre « Tristes Tropiques » éclaire sa trajectoire. Comme le dit Claude Lévi-Strauss chaque peuple souligne la multiplicité des réponses aux conditions de vie imposées par la nature et l’histoire.
Comme l’anthropologue, Pierre de Vallombreuse nous fait découvrir la réalité complexe de leurs modes de vie et défend le respect et la juste représentation de ces populations fragilisées, dont l’héritage nous est vital, loin de la représentation exotique auxquels ils sont trop souvent réduit. Ces populations sont trop souvent les premières victimes de génocides, de guerres, d’idéologies racistes, de prédations économiques, de pénuries alimentaires, de désastres écologiques et de « l’intégration désintégrant » dont parle Edgar Morin dans la préface de son livre « Peuples ». Autant de questions cruciales qui, loin d’être cantonnées à ces territoires plus ou moins reculés, concernent notre humanité. La réalité qu’il nous montre à travers la photographie n’est pas exotique mais celle de leur combat pour survivre.

http://pierredevallombreuse.com

Nancy Wilson-Pajic

My Grandmother’s gestures © Nancy Wilson-Pajic / Prix Viviane Esders 2023, Finaliste

Née à Peru Indiana, État-Unis, en 1941.

Après avoir étudié le dessin, la peinture et la sculpture, ainsi que la littérature et la psychologie à la Cooper Union de New York, Nancy Wilson-Pajic abandonne la forme picturale pour une pratique interdisciplinaire, avec des premières interventions in situ dès 1965, dans les interstices de la vie quotidienne, composées principalement de textes enregistrés. Ses premières expositions new-yorkaises d’installations composées d’objets et de textes, organisées dans l’espace féministe pionnier A.I.R. et au 112 GreeneStreet, attirent l’attention de la communauté artistique avant-gardiste des années 1970 et ouvrent la voie à une carrière internationale. Wilson-Pajic a photographié ces premières installations – souvent éphémères – principalement pour les archiver. Cependant, concluant rapidement que la traduction du travail dans l’espace sous forme picturale ne respectait pas l’énoncé original, elle décide, dès son arrivée à Paris en 1978, d’explorer les mécanismes par lesquels le monde est transformé en images, et la relation du médium photographique à l’information et à la représentation.à cette époque, elle commence à rechercher des procédés photographiques traditionnels tels que les tirages au carbone, le bichromate de gomme et les cyanotypes, leur relation au sujet artistique et à l’écriture.

Sa première série combinant ces différentes disciplines et interrogations, intitulée Le Cirque, est exposée au Centre Georges Pompidou à Paris en 1983. « Le tirage argentique standard n’avait ni la permanence ni l’exclusivité qui correspondaient à la définition des beaux-arts de l’époque (« entièrement de la main de l’artiste », Maison des Artistes). J’ai donc exploré les possibilités de l’impression pigmentaire qui, d’une stabilité exemplaire à la lumière, à la pollution et au temps, nécessitait une intervention manuelle et l’interprétation de l’artiste. Ce travail, ainsi que ma réputation d’artiste, ont été soutenus par un groupe de conservateurs, de critiques et de fonctionnaires très motivés, qui se sont efforcés d’établir la photographie comme un art.

Après une intense période d’expérimentation, j’ai choisi le procédé au bichromate de gomme, qui correspondait le mieux à ma démarche. Les procédés d’impression pigmentaire conféraient aux anciens négatifs le caractère mystérieux inhérent à leur existence en tant que mémoire. La qualité matérielle du tirage ajoute un effet de distance de l’image qui correspond au fait qu’il s’agit du souvenir d’un passé lointain et inaccessible » A partir de 1985, elle décide de réaliser des oeuvres de grand format sous forme picturale ; en 1988, elle complète sa recherche par un projet en couleur qui pose les questions de l’effacement, de la mémoire et de sa disparition. La découverte du procédé du photogramme lui offre un autre champ d’exploration dans la relation entre l’objet et son document, qu’elle explore notamment avec le vêtement, dans une perspective de présence et d’absence, avec une commande pour le nouveau musée de la dentelle à Calais, puis avec les robes de Christian Lacroix Haute-Couture. En s’interrogeant sur le caractère représentatif de la photographie et sur sa relation au texte et à d’autres formes d’information, Nancy Wilson-Pajic s’est rapidement imposée comme un précurseur du mouvement de la photographie d’artiste :

« Mon travail s’intéresse aux processus par lesquels l’information s’accumule et se transforme – par juxtaposition avec d’autres informations, par la mémoire et par l’ordre des priorités de l’individu. J’ai utilisé des enregistrements sonores et des textes écrits, des vidéos et des films, des photographies, des dessins et des technologies informatiques – dans des installations, sous forme de livres et sur le mur – pour créer des espaces mentaux dans lesquels une réflexion créative peut avoir lieu. «

Tout au long de sa carrière distinguée et singulière, Nancy Wilson-Pajic a participé à plus de 450 expositions personnelles et collectives dans des galeries et des musées du monde entier et trois expositions rétrospectives ont été consacrées à son travail par des musées d’art contemporain. Ses œuvres figurent dans les collections permanentes du Musée national d’art moderne (Paris), du Musée d’Élysée (Lausanne), du Fonds national d’art contemporain (Paris), de la Bibliothèque nationale (Paris), du Museet for Fotokunst (Odense), du Nouveau musée national de Monaco, du Daelim Contemporary Art Museum (Séoul, Corée) et du Musée Réattu (Arles), pour n’en citer que quelques-uns.

En 1996, Nancy Wilson-Pajic a été nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

http://nancywilsonpajic.com

A LIRE
Mario Carnicelli, lauréat du premier Prix Viviane Esders
Lancement du Prix Viviane Esders pour récompenser la carrière d’un photographe

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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