La quatrième édition du Prix Viviane Esders, qui vise à récompenser chaque année un·e photographe indépendant·e européen·ne de 60 ans ou plus, toujours en activité et témoignant d’une écriture singulière ainsi que d’une approche artistique affirmée, vient de dévoiler hier soir le nom de sa nouvelle lauréate : la photographe allemande Dörte Eißfeldt. Il s’agit, depuis la création du prix, de la première femme lauréate. Elle reçoit une dotation de 50 000 €, dont 10 000 € sont consacrés à la production d’un ouvrage. Les deux finalistes, Oleksandr Suprun et Bohdan Holomíček, reçoivent chacun 5 000 €.

Née en 1950 à Hambourg en Allemagne, Dörte Eißfeldt est une figure de la photographie contemporaine allemande, dont l’œuvre explore les potentialités formelles et conceptuelles du médium. Formée à l’Université des beaux-arts de Hambourg, elle enseigne dans différentes institutions jusqu’à sa nomination en 1991 comme professeure d’arts plastiques et de photographie à la prestigieuse Braunschweig University of Fine Arts, poste qu’elle occupera jusqu’en 2016.

Schneeball 01(Snowball), 1988 © Dörte Eißfeldt

La pratique artistique d’Eißfeldt s’articule autour d’une interrogation sur le statut et les procédés de l’image photographique.

« La photographie est pour moi un travail à partir de fragments de réalité ; c’est une expérimentation avec la matière, qu’elle soit issue du processus analogique ou numérique, avec pour objectif de créer, à travers l’œuvre, un lien autonome, intense et en même temps ouvert avec le monde. Il s’agit de laisser agir — ou advenir — dans l’image ce qui est sauvage, obscur, insaisissable, ou beau, sous une forme ouverte, stimulante, surprenante, qu’elle soit très grande ou infiniment petite. ».

Elle manipule lumière, chimie et papier dans des processus analogiques et hybrides, confrontant les techniques traditionnelles — solarisation, montage, expositions multiples — à celles des nouveaux procédés numériques. Au fil de ces projets, Eißfeldt poursuit une quête profonde : dépasser la simple représentation pour révéler la photographie comme objet processuel, dont la matérialité, l’histoire technique et la mise en tension conceptuelle façonnent un univers visuel à la fois poétique, réflexif, marqué par la surprise et l’intensité.

Parmi ses séries phares, Generator (1987–1988) et Schneeball/Boule de neige (1988) attirent l’attention. Dans Schneeball, à partir d’une seule et unique photographie représentant une boule de neige posée dans la paume d’une main, Dörte Eißfeldt réalise de nombreux tirages, modulant lumière, échelle et tonalité, entrainant le spectateur vers un spectacle cosmique — une sphère roulant dans l’obscurité — qui glisse vers une expérience plus intime. Plus tard, la série Haut/Peau (1991) joue avec les oppositions à travers les antonymes doux/dur, clair/sombre, brillant/mat, face/dos. Le tranchant acéré d’un couteau domine le centre de chaque image, sa pointe entrant en contact direct avec la peau. Ce point de contact — potentiellement blessant — trace la ligne ténue entre la forme et la matière, entre le fait et le fantasme, l’agressivité et la tendresse. Pour Agfa Brovira (2011), les versos de tirages exposés sur du papier vintage ont été photographiés numériquement en studio à la lumière d’un soleil éclatant, comme un hommage à la photographie argentique dans l’indifférence du champ numérique. La série HimmelHimmel/CielCiel (2017) explore les illusions chromatiques et spatiales de ciels apparemment parfaits, résultat de photographie manipulés avec une intelligence artificielle.

Tageslichte 67 (Daylight), 2017 © Dörte Eißfeldt

Depuis 1971, ses travaux ont été exposés dans de nombreuses institutions et galeries nationales et internationales. Ses œuvres sont présentes dans plusieurs collections muséales. Elle a publié plus une vingtaine de livres d’artistes dont le dernier en 2024, Stehen Liegen Hängen, avec les éditions Distanz. Cet ouvrage est la première pierre de son nouveau projet The experimental archive qui a pour objet un examen de ses archives dans un processus d’analyse et de recréation de l’œuvre.

https://prixvivianeesders.com/
https://www.doerte-eissfeldt.de/

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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