Cette semaine, dans notre rubrique L’Invité·e, nous accueillons le photographe Guillaume Holzer, nouveau directeur éditorial de Bergger. Sa mission : accompagner la maison dans le développement de ses projets culturels et éditoriaux, avec une ambition claire : soutenir la création argentique contemporaine. Après avoir remis le 1er Prix Bergger de la photographie analogique au photographe turc Huseyin Ovayolu, une résidence artistique ainsi qu’une nouvelle collection de livres photo aux Éditions Bergger sont actuellement en préparation…

Portrait d’enfance de Guillaume Holzer © Archives personnelles

Je suis né en 1986. Après des études à Cardiff et en Australie, j’ai vécu et travaillé huit ans en Indonésie auprès des communautés Bajau et Bugis, où j’ai fondé en 2010 une ONG de conservation des récifs coralliens. C’est en documentant ce travail pour rendre compte dans les rapports destinés aux bailleurs de fonds, que je suis devenu photographe, développant une pratique qui mêle procédés argentiques, procédés anciens, livres et installations. Mon projet Territoire Nomade (2019–2023), issu de cette expérience, a été présenté notamment à Delta / Kyotographie au Japon. En 2024, j’ai reçu la Bourse du Talent (Picto Foundation / BnF). Aujourd’hui, je poursuis une recherche où l’image matérielle, tirages, objets, mémoire des territoires, dialogue avec la question de l’identité.

En parallèle, je suis directeur éditorial chez Bergger, maison historique française de la photographie argentique, depuis 1858. Mon rôle est de développer une ligne éditoriale qui relie création contemporaine et savoir-faire traditionnel de l’argentique, en renforçant les passerelles entre recherche artistique, édition de livres et initiatives de soutien aux photographes.

Dans ce cadre, et si c’est possible, j’ai souhaité apporter ma contribution avec ce texte, intitulé « Pour que l’image ait encore un corps », comme une lettre ouverte ou un plaidoyer :

https://bergger.com/fr/
https://gholzer.com/

À l’heure où l’immatériel domine et où les flux d’images saturent nos regards, défendre l’argentique, ce n’est pas seulement défendre une technique : c’est affirmer que l’image peut encore avoir un corps. Un corps de papier, de matière, de chimie et de lumière. Un corps fragile et imparfait, où chaque trace, chaque accident devient une empreinte singulière. Un corps que l’on touche, que l’on conserve, qui résiste à l’oubli autant qu’à l’uniformisation. Ce corps, c’est aussi celui de l’artiste qui s’engage physiquement dans le processus : manipuler la chambre, le boîtier, développer, tirer, attendre, recommencer. Dans ce geste, il y a une résistance. Une mémoire. Une présence. Et peut-être, une promesse : celle de rendre au monde des images capables encore de durer et d’habiter nos vies.

« Pour que l’image ait encore un corps »

Depuis sa création, Bergger porte une responsabilité qui dépasse la simple fabrication de produits photographiques. C’est l’héritier d’un patrimoine sensible, celui du noir et blanc
argentique, qui ne saurait survivre sans les gestes, les mains, les regards qui le font vivre. Dans un monde où l’image s’est dématérialisée, instantanée, surabondante, nous affirmons la nécessité vitale de préserver ce lien entre la matière et la lumière, entre la chimie et l’émotion, entre la lenteur et la justesse.

Le tirage argentique n’est pas une nostalgie. Il est un métier. Un métier d’art. Il engage le corps, le temps, la mémoire. Il suppose une culture de l’image, une science du papier, une maîtrise des réactions chimiques, une écoute du photographe. Il s’agit là d’un artisanat complet, exigeant, singulier, dont les tireurs, de moins en moins nombreux, sont les passeurs. Ce savoir-faire, à la croisée de l’art et de la technique, doit être reconnu pour ce qu’il est : une richesse culturelle à protéger, à transmettre, à soutenir. Il ne peut plus rester dans l’ombre.

La fabrication de papiers barytés, la préparation des bains, l’enduction des films, la connaissance des densités, des contrastes, des nuances infinies du gris, tout cela forme un monde qui ne peut pas disparaître en silence. Ce n’est pas seulement la mémoire d’un médium que nous défendons. C’est un langage. Une école du regard. Un territoire sensible à transmettre. Le savoir-faire photographique argentique français est un bien commun. Il est urgent de le considérer comme tel. D’en faire un pilier de notre patrimoine vivant. De le reconnaître, institutionnellement et culturellement, comme un métier d’art.

Mais cela ne suffit pas. Il faut transmettre. Former. Ouvrir les laboratoires. Croiser les générations. Réunir les photographes, les artisans, les enseignants, les historiens. Créer des lieux où la pratique se conjugue avec la pensée. Où l’on apprend en faisant. Où l’on fait en comprenant. Où l’image reprend son poids, sa lenteur, sa matérialité. C’est à cette condition que l’argentique pourra continuer à exister, non comme un geste muséal ou marginal, mais comme une voie contemporaine, vivante, en dialogue avec notre époque.

Bergger s’engage. Nous n’avons jamais cessé de produire les outils de cette pratique, films, papiers, chimies, avec l’exigence qui fonde notre identité. Nous voulons aller plus loin. Porter cette parole. Prendre part à cette reconnaissance. Participer à ce mouvement de transmission. Car nous savons que l’avenir du noir et blanc ne dépend pas de la nostalgie, mais de notre capacité collective à lui donner un présent.

Parce que c’est au laboratoire que la lumière devient matière. Parce que l’art de révéler l’image commence entre les mains du tireur. Faire un tirage aujourd’hui, c’est poser un acte. Autant pour l’auteur que pour celui qui le montre, qui l’accroche, qui le présente. C’est affirmer qu’une image peut avoir une épaisseur, une présence, une histoire. C’est refuser l’oubli. C’est transmettre un regard. Nous croyons en cette valeur. Nous croyons en celles et ceux qui la portent. Nous les soutenons. Et nous continuerons, tant que possible, à faire vivre ce geste, à le faire reconnaître, à le partager. Parce qu’il est beau. Parce qu’il est nécessaire. Parce qu’il est profondément humain.

Dans cette logique, nous avons lancé cette année le prix Bergger, un prix international dédié à la photographie argentique contemporaine en noir et blanc. Cette première édition a déjà connu un bel engouement avec plusieurs centaines de candidatures internationales de grande qualité. Le prix vise à soutenir les photographes qui, à travers l’argentique, explorent des formes nouvelles de narration et de matérialité. Nous avons été particulièrement touché de recevoir des candidatures de photographes vivants dans des pays soumis à des sanctions internationales comme la Syrie, l’Iran, l’Irak, ou la Palestine. Le lauréat, Huseyin Ovayolu, est réfugié politique Turc, sans papiers, et pour le moment dans l’impossibilité de quitter Londres. C’est un écho particulièrement touchant vis-à-vis de l’histoire de Payram, membre du jury, qui a dû fuir le régime Iranien.. Nous faisons tout notre possible pour organiser sa venue en France afin qu’il puisse recevoir son prix et participer au vernissage de son exposition. Nous sommes encore dans l’attente des retours des services consulaires pour pouvoir annoncer une date de remise du prix.

Enfin, en avant-première pour vos lecteurs : nous préparons le lancement d’une résidence artistique ainsi qu’une nouvelle collection de livres photo aux Éditions Bergger, qui viendront prolonger notre engagement à donner de la visibilité et du temps aux créateurs qui font vivre la photographie argentique aujourd’hui.

Le portrait chinois de Guillaume Holzer

Si j’étais une œuvre d’art : Les Nymphéas de Monet, pour leur immersion sans fin dans la lumière et la matière.
Si j’étais un musée ou une galerie : Le Art House Project à Naoshima, l’ensemble des maisons-galeries dispersées dans le village, où l’art s’insinue dans le quotidien.
Si j’étais un·e (autre) artiste (tous domaines confondus): : Michelangelo Pistoletto, pour la variété des projets qu’il a explorés, toujours entre matière et société.
Si j’étais un livre : Contes de la folie ordinaire de Bukowski, pour l’humour cru et la lucidité désenchantée.
Si j’étais un film : Human Traffic parce que j’ai fait mes études à Cardiff et que ce film capte l’énergie, les excès et les amitiés de ces années.
Si j’étais un morceau de musique : Dinner Time de Stand High Patrol, pour ses basses profondes et son atmosphère nocturne.

Si j’étais une photo accrochée sur un mur : Le portrait de Mishima par Eikoh Hosoe (Ordeal by Roses), pour son intensité tragique et théâtrale.
Si j’étais une citation : « Le territoire, c’est la distance parcourue par la mémoire. » (en référence à mon travail sur les nomades des mers et les réflexions de Deleuze & Guattari sur la déterritorialisation)
Si j’étais un sentiment : Le vertige, entre perte et exaltation.
Si j’étais un objet : Une boussole ancienne, celle que mon grand-père utilisait dans le Sahara, celle qui indique toujours ailleurs.
Si j’étais une expo : Daisuke Yokota lors de KG+ Kyotographie 2025, pour l’audace, l’expérimentation et l’excès des formes.
Si j’étais un lieu d’inspiration : Une île lointaine, battue par les vents, au milieu de la mer.
Si j’étais un breuvage : Un Saint-Estèphe 2015, charpenté avec une profondeur minérale, ample comme une mémoire qui ne s’efface pas.
Si j’étais un héros ou héroïne : Ulysse, pour l’errance et la quête impossible du retour.
Si j’étais un vêtement : Une vareuse, rugueuse, indestructible… et imprégnée d’iode.

CARTES BLANCHES DE NOTRE INVITÉ

Carte blanche à Guillaume Holzer : L’image a encore un corps (mardi 18 novembre 2025)
Carte Blanche à Guillaume Holzer : L’industrie du papier photo en péril (mercredi 19 novembre 2025)
Carte Blanche à Guillaume Holzer : Les images voyagent, les gestes disparaissent (jeudi 20 novembre 2025)
Carte Blanche à Guillaume Holzer : Faut-il encore être moderne ? (vendredi 21 novembre 2025)

À LIRE
Le photographe turc Huseyin Ovayolu, lauréat de la 1ère édition du Prix Bergger de la photographie analogique

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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