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Covid-19 et les artistes : Claire Chesnier «Là où les obstacles se présentent, il s’agit de réinventer»

Temps de lecture estimé : 5mins

Je suis vraiment entrée en résonance avec la démarche de Claire Chesnier à l’occasion de l’exposition de Léa Bismuth «L’aire des aurores» accompagnant le Prix Art [ ] Collector qu’elle remporte en 2014. Il est toujours question de silence, de fragmentation, de résonance, d’écoulement dans un protocole sensible. Ecoulement de l’encre et du temps, de l’attente jusqu’au possible horizon. Sa dernière exposition à la galerie «Le ciel aussi est un fracas» a du être brusquement interrompue.

Claire Chesnier est née en 1986 à Clermont-Ferrand. Elle vit et travaille à Paris. Lauréate du Prix agnès b. des Amis des Beaux-arts de Paris et du Prix Talents Contemporains de la Fondation François Schneider (Fondation de France) et du prix Art Collector initié par Jacques et Evelyne Deret, son oeuvre a fait l’objet de nombreuses expositions notamment à la Galerie du jour agnès b. Paris, à la Galerie Jocelyn Wolff Paris, à la Maison des Arts de Pékin, à L’art dans les chapelles, à La Banque de Béthune, aux Tanneries d’Amilly, au FRAC Auvergne ainsi qu’au MAC/VAL. Soutenue par la Galerie ETC à Paris, Claire Chesnier rejoint l’association L’ahah en janvier 2020.

Cette période est-elle inspirante, anxiogène, stimulante ou tout à la fois ?

C’est une suspension et un temps de réflexion. Je crois que le ralentissement qu’elle crée peut être quelque fois bénéfique. Je ne répondrais qu’à titre individuel et en tant que peintre avec la plus grande précaution, car si l’on considère le reste du monde et toutes les situations qui peuvent se présenter, cela semble manquer d’humilité que de parler de crises, ou d’angoisses, même si elles sont éprouvées. Comme tous, je suis acculée au réel, et ce constat qui nous lie est aussi une part de notre force. L’artiste n’a pas plus de solution ou de vision sur ce bouleversement qu’un autre. Cette déprise est celle de tous. Ma peinture appartient à ce monde, dans la fragilité et l’incompréhension parfois qui va avec. Donc en tant qu’artiste, oui, c’est une période extrêmement préoccupante. Là où les obstacles se présentent (annulation ou report des expositions, des foires, des visites d’atelier, des ventes, des collaborations, etc..) il s’agit de réinventer. Et je pense que c’est le plus gros travail actuellement pour les créateurs. Repenser les modèles dans leur intégralité. Ce qui est stimulant si l’on peut dire, c’est de prendre pleinement la mesure de ce qui est essentiel. Et quand on a la chance de pouvoir y accéder relativement sereinement, dans des conditions de vie à peu près normales, cela peut constituer un temps précieux de remise en question, oui. Reste que ce moment est hors norme et ne place pas la création dans la même fluidité ou dynamique qu’en temps normal, c’est évident.

Quels sont vos projets susceptibles d’être ajournés du fait de la crise ?

Cinq expositions et une foire ont été reportées ou annulées pour le moment. Des collaborations en suspens. Des travaux et un déménagement d’atelier gelés. Il se pourrait que la liste s’allonge puisque chaque structure doit se réorganiser entièrement, et c’est normal, ne serait-ce qu’au niveau de la programmation.

Quelles menaces pèsent sur les artistes notamment ceux sans galerie, et l’aide de l’Etat vous semble t-elle adaptée ?

Une menace de très grande précarité, évidemment. Et les artistes soutenus par des galeries ne sont pas épargnés non plus. L’aide de l’Etat est un effort que je salue, mais au combien insuffisant. L’endettement est démesuré par rapport à ce qui est proposé. Mais je veux rester optimiste malgré tout et croire que les artistes, comme les galeries et les structures culturelles sauront adapter leurs organisations, leurs modes de diffusion, leurs économies. Je crois en la force vive des artistes qui sont, de toute manière, en permanence dans cette dynamique de résistance, d’invention, de générosité et de persévérance pour continuer à créer.

Comment imaginez- vous le monde d’après ?

Il faut d’abord souhaiter qu’il y ait un monde d’après. Ce n’est pas certain malheureusement. J’ose l’espérer, notamment en plaçant la priorité dans l’urgence écologique (qui va avec la santé, la faim dans le monde, etc..), l’éducation et la culture, toute nourriture qui a un impact fort sur le reste des problématiques. Je fonde l’espoir que l’on ne se tourne pas uniquement sur des solutions de courtes portées. Ce serait justement l’occasion de remettre en question le système dans sa globalité. Encore une fois, pour donner le temps de se préoccuper des choses qui comptent réellement. Aux artistes de créer, aux enseignants d’enseigner, aux soignants de soigner, etc… Beaucoup d’obstacles relèvent des moyens mais aussi de l’organisation globale.

Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entrainera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ?

Sur le développement d’une réelle conscience écologique c’est une évidence, il faut se saisir de cet arrêt pour penser à nouveau les priorités. Et l’écologie en est l’une des plus brûlantes. Cependant, il est toujours délicat de faire une analyse à chaud de la situation et je crois qu’il faudra attendre un vrai recul pour comprendre ce qui se joue sur tous les plans. A ce titre, je ne suis pas la mieux placée, je suis peintre, j’observe comme tout le monde les changements. J’espère qu’ils placeront le vivant avant tout. Quant à notre expérience de l’art, en tant qu’acteurs ou spectateurs, je pense qu’il y aura comme je le disais des inventions dans la manière de montrer, de penser les expositions, les évènements. Seulement la présence aux oeuvres est primordiale et je souhaite que l’on n’oublie pas que les flux d’images lancés aux écrans sont des passerelles précieuses, mais qu’elles ne sont que fantômes si elles ne servent pas à se rendre au lieu du sensible et de la matière, de la rencontre.

Ecouter FRANCE CULTURE Les Carnets de la création Aude Lavigne
du 26 février 2020
https://www.franceculture.fr/emissions/les-carnets-de-la-creation/la-plasticienne-claire-chesnier

http://www.clairechesnier.com/

visite virtuelle exposition :
https://www.galerie-etc.com/

 

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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