L'Invité·e

Carte blanche à Klavdij Sluban : Lucija Rosc, Femme photographe slovène

Temps de lecture estimé : 6mins

À l’occasion de sa carte blanche, le photographe français Klavdij Sluban a choisi une dizaine de femmes photographes slovènes qu’il nous présentera chaque jour. Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de deux photographes : Lucija Rosc et Maša Lancner. Dans cet article, nous découvrons également une artiste qui vit en Slovénie : Lucija Rosc est une jeune photographe de 25 ans déjà parfaitement consciente que la plupart des portes derrière lesquelles elle pourrait faire exister son travail lui sont fermées. Chaque jour, jusqu’au 11 décembre, et grâce à notre invité, nous consacrerons un ou deux portfolios à ces femmes photographes slovènes qui luttent pour exister.

Lucija Rosc est née en 1995 à Ljubljana, Slovénie, où elle vit et travaille. Elle prépare actuellement un Masters en photographie à l’Académie des Beaux-arts et du design à Ljubljana.

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

Avec plusieurs expositions personnelles et collectives à son actif en Slovénie comme à l’étranger, Lucija Rosc est bien consciente à l’âge de vingt-cinq ans que la plupart des portes derrière lesquelles elle pourrait faire exister son travail lui sont fermées . D’ailleurs, des galeries professionnelles dédiées à la photographie, il n’y en a pas tant que ça. Deux pour être précis. L’une est subventionnée par des fonds publics, Galerija Photon, dirigée par Dejan Sluga. L’autre, Galerija Fotografija, dirigée par Barbara Čeferin, est privée. Si la première est plus axée sur la photographie d’Europe centrale, la deuxième est plus ouverte sur la scène internationale tout en défendant vaillamment les photographes locaux.

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

Arrêtons-nous, brièvement, sur le marché de la photographie en Slovénie. Disons que nous abordons le même sujet délicat, qui peut fâcher, qui va fâcher, que nous avions soulevé en évoquant la tradition de la photographie en Slovénie.
Y’a-t-il un marché de l’art en Slovénie ?
Non.
Et pourquoi non dans ce petit pays surnommé la Suisse des Balkans ?…
Une des raisons majeures est parce que les gens n’achètent pas de photographie. Soit. Car pour acheter des photographies il faut, déjà, savoir qu’une photographie peut être achetée. Soit. Cela implique tout simplement qu’il faut une ouverture d’esprit, une curiosité…le désir de vivre avec une photographie.
Nous n’en sommes pas là en Slovénie.
Et l’on peut très bien comprendre que les gens aient d’autres préoccupations que de dépenser leurs maigres revenus dans l’art. Et lorsque les revenus sont un peu plus gras, l’art n’est pas sur le haut de la liste d’achats.

Avec un gouvernement qui brade le pays, le peuple se débat courageusement pour atteindre à grand peine un niveau de vie moyen, dans le meilleur des cas, pendant que les scandales politico-financiers sont dévoilés l’un après l’autre.

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

Et cette notion de « moyen » pourrait peut-être le mieux définir la Slovénie. La moyenne est le mètre. étalon Et d’enfler cette bourgeoisie moyenne qui est poussée, qui est happée par le maelström de la surconsommation acculturante et de la société de divertissement. Que dans les petites et moyennes villes règnent les enseignes globalisantes des super-hyper-archi-marchés, pas besoin d’aller en Slovénie. Mais la spécificité locale se voit, à vous aveugler, en traversant les villages de ce petit pays écrin. En l’absence de toute loi dans ce domaine, vous pouvez peindre la façade de votre maison de la couleur qui vous plaît. Traverser les villages est une chute dans Barbie Land. Même pas Disney. La pureté d’excitation, comme on dit en colorimétrie. Le jaune, vous le voulez canari, citron ou mimosa ? Le bleu, électrique ou roi ? Quant au vert, du perroquet au persan, en passant par le pomme, vous allez irradier. Le zinzolin pourrait sembler terne entre vos voisins rouge feu et chartreuse.

Paradoxe slovène. Allez voir le site internet de Lucija Rosc.
Tout ce qui vient d’être décrit et décrié plus haut s’y trouve. Mais utilisé avec une gaîté communicative, une utilisation du design minimaliste, ludique et jamais gratuite, avec intelligence, talent et brio. Et c’est de cette moyenne ambiante que s’élèvent des esprits révoltés, concernés, consternés, archi-doués. Toute cette répulsion à voir leur pays aimé saccagé, une partie des artistes slovènes la traduit sous forme de manifeste esthétique.

Tout ce qui échappe au rouleau compresseur de la société de divertissement donne naissance à une prise de conscience pour laquelle grand nombre de Slovènes luttent, parfois, souvent, à leurs propres dépens.

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

La série Birthday Maypoles montre les mâts de cocagne érigés devant la maison de celui ou celle qui fête son anniversaire, en général le début d’une nouvelle décennie.
Le mât de cocagne est décoré selon des goûts très personnalisés. Il y a de l’inventivité, de la création. Dans le cadre fixe du divertissement. Au final, le but est que ça fasse marrer.

Le regard systématique de Lucija Rosc de ces symboles du temps qui passe, sans âme qui vive sur aucune de ses photos, laisse imaginer l’ambiance de fête qui accompagne la célébration.
Nous pouvons, si nous le voulons, imaginer l’ambiance, avoir envie d’en être ou bien, traumatisé par la Danse des canards, avoir envie de les enchaîner.
Mais aucun jugement chez Lucija Rosc. Une énumération rigoureuse menée à travers tout le pays de l’expression de la représentation populaire de la célébration. L’obscène n’est pas exclu et en cette occasion peut être montré sur la place publique. C’est toléré. Des objets divers sont utilisés, détournés, caricaturés, toujours à cette seule fin de divertir.
Enumérons plutôt les artistes qui inspirent Lucija Rosc. Dans ce choix, partiel, toujours cette même cohérence et ce fil conducteur permanent : Max Siedentopf, Edward Cuming, Samuel Pasquier, Kesley McCellan, Bruna Kazinoti, Xiaopeng Yuan.

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

Birthday Maypoles © Lucija Rosc

L’œuvre de Lucija Rosc est à la croisée des vents qui se rencontrent en Slovénie : le pétillant d’Italie, la rigueur de l’empire austro-hongrois, le disjoncté des Balkans.

Lucija Rosc, c’est la rigueur des Becher aux couleurs des façades des maisons slovènes.

En savoir plus
https://lucijarosc.com/

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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