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Pour sa deuxième carte blanche, notre invitée, l’historienne d’art et critique suisse, Nassim Daghighian a choisi de nous parler de la série « Vivants » réalisée par le photographe franco-suisse Matthieu Gafsou. Un travail mêlant pratiques documentaire et plasticienne autour de quatre thématiques face aux crises contemporaines. Cette série vient d’être exposée à Paris, mais on retrouvera Matthieu Gafsou dans une grande rétrospective au Musée de Pully en 2022.

Face à l’anxiété contemporaine provoquée par la problématique de l’anthropocène et les risques d’effondrements environnementaux et sociétaux, le photographe Matthieu Gafsou propose un projet sensible qui réinscrit l’humain au cœur du vivant. Dans la continuité de ses projets précédents centrés sur la dualité entre nature et culture, mêlant les approches documentaire et plasticienne, l’artiste opte ici pour une démarche plus poétique et intime. Le projet Vivants se présente comme un essai visuel articulant librement quatre axes de recherches thématiques.

Matthieu Gafsou, Feu I, 2021, impression pigmentaire contrecollée sur aluminium et encadrée, 100×120 cm, éd. 5 + 2 AP, de la série Vivants, 2018-2022. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie C, Paris

Matthieu Gafsou, Serre, 2021, impression pigmentaire encadrée, 30×37.5 cm, éd. 5 + 2 AP, de la série Vivants, 2018-2022. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie C, Paris

Premier thème du projet Vivants lancé en 2018 : l’inquiétude face aux crises contemporaines telles que le dérèglement climatique, notamment illustré par la vue d’un glacier dont la fonte est inexorable, image qui rappelle la série Alpes (2009-2012) du photographe. Ce dernier n’hésite pas à expérimenter d’autres approches. En faisant appel au gros plan, physiquement en contact direct avec les végétaux, il nous plonge au cœur des plantes qui semblent étouffer, enfermées dans une serre.

Matthieu Gafsou, Colère I, 2021, impression pigmentaire encadrée, 30×37.5 cm, éd. 5 + 2 AP, de la série Vivants, 2018-2022. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie C, Paris

Matthieu Gafsou, Fils II, 2021, impression pigmentaire encadrée, 30×24 cm, éd. 5 + 2 AP, de la série Vivants, 2018-2022. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie C, Paris

Comme un contre-point à cette première partie, le second axe de recherches montre la colère, la révolte et, parfois, l’absurdité de l’actualité. On pense aux nombreuses images véhiculées par les médias mais, chez Matthieu Gafsou, le choix du noir et blanc, l’aspect figé des personnes qui évoque une mise en scène, la netteté même des moindres détails, tendent à conférer un côté artificiel voire irréel à ses photographies.

Quelques portraits des fils du photographe suggèrent que celui-ci s’interroge sur leur avenir et, malgré la noirceur de certaines images de ses enfants, qu’il tente de répondre à l’angoisse par une volonté de la dépasser. Le troisième axe thématique montre avec douceur et tendresse un univers plus onirique, sensuel et poétique : vivre, malgré tout. L’artiste exprimerait-il ainsi l’importance d’échapper à l’antagonisme entre nature et humain ultra-connecté pour envisager une certaine harmonie au sein du vivant ?

Matthieu Gafsou, Ciel, 2021, impression pigmentaire encadrée, 40×50 cm, éd. 5 + 2 AP, de la série Vivants, 2018-2022. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie C, Paris

Matthieu Gafsou, Pétrole VIII, 2021, impression pigmentaire encadrée, 40×50 cm, éd. 5 + 2 AP, de la série Vivants, 2018-2022. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie C, Paris

La dernière thématique propose pourtant un constat non idéalisé de l’état de la planète. Après avoir réalisé des prises de vue en Suisse, en France, en Chine, en Irlande du Nord ou sur l’Ile de la Réunion, entre autres, le photographe souhaite donner à sa série Vivants une dimension universelle. Toutefois, il déconstruit en quelque sorte la dimension documentaire de certaines photographies en appliquant du pétrole brut sur les impressions pigmentaires, ce qui provoque une étrange modification des couleurs et permet d’exprimer le malaise de notre situation actuelle.

Selon moi, l’image Feu I exprime extrêmement bien l’ambiguïté de notre relation à la nature. En faisant flamber du pétrole sur l’eau, Matthieu Gafsou produit un fascinant paysage qui évoque l’esthétique sublime chère aux peintres romantiques. Avec sincérité, l’artiste nous invite à modifier nos représentations du monde vivant.

– Nassim Daghighian

Matthieu Gafsou, Vivants, 2018-2022. Vue d’exposition, Galerie C, Paris, novembre 2021 ; photo : © Aurélien Mole

Matthieu Gafsou, Vivants, 2018-2022. Vue d’exposition, Galerie C, Paris, novembre 2021 ; photo : © Aurélien Mole

Matthieu Gafsou, Vivants, 2018-2022. Vue d’exposition, Galerie C, Paris, novembre 2021 ; photo : © Aurélien Mole

INFOS

Né d’un père juif franco-tunisien et d’une mère suisse, Matthieu Gafsou (1981, FR / CH) a grandi à Lausanne, où il vit. Après un Master à l’Université de Lausanne en histoire et esthétique du cinéma, philosophie et littérature (2000-2006), il est diplômé de la formation supérieure en photographie de l’École supérieure d’arts appliqués de Vevey (CEPV, 2006-2008). Dès son projet de diplôme, Surfaces, il est reconnu internationalement grâce au Prix HSBC pour la photographie (2009). Ses principaux projets ont été publiés sous forme de monographies : H+ (2018), Only God Can Judge Me (2014), Sacré (2012), Alpes (2012) et Surfaces (2009).

L’œuvre de Matthieu Gafsou, y compris la série Vivants, fera l’objet d’une rétrospective en 2022 :
Musée de Pully (Suisse), 16.09. – 11.12.2022.
Une publication éponyme est également prévue.

EXPOSITION
Vivants
Matthieu Gafsou
Du 9 novembre au 4 décembre 2021 (événement terminé)
Galerie C
6 Rue Chapon
75003 Paris
galeriec.ch

La Galerie C est une galerie d’art contemporain créée par Christian Egger à Neuchâtel (Suisse) en 2011. Elle a ouvert un espace à Paris en septembre 2020, sous la direction de Tom Masson. Situé dans le Marais, important quartier de la capitale pour le monde de l’art, cet espace d’environ 50 m2 a été conçu comme un project space. Celui-ci permet ainsi à la Galerie C  » de penser à de nouvelles modalités de présentation de ses artistes, mais aussi de programmer des expositions résonnant avec les événements de l’espace helvétique, les foires d’art contemporain et les expositions institutionnelles des artistes représenté-e-s. » (galeriec.ch).

La Rédaction
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