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Quelle étrange expérience que de se perdre soi-même… Ce pourrait être en substance le résumé de l’ouvrage de Céline Ravier, Déperdition, paru aux Éditions Images Plurielles. Comme l’écrit la photographe en préambule : « Puis brutalement, à nouveau, une disparition. De lui d’abord. Et rapidement de ma propre présence au lieu, au monde. » Lui, c’est l’homme qui accompagne Céline, le lieu, c’est une route de montagne saisie soudain par le brouillard, la perte, c’est ce sentiment de faiblesse qui envahit tout.

Mais Déperdition n’est pas que le récit de la perte, n’est pas que le voyage dans la brume. Déperdition est perte et retrouvailles, brume et forêt, lac et montagne, rencontre…

Des silhouettes de pins immenses dans un brouillard moiré. Les arbres comme les piliers d’une cathédrale inouïe, on y croise le silence et une silhouette qui s’efface peu à peu. La peur glace la photographe. La disparition induit-elle la mort ? A—il chuté dans quelque gouffre, dans un abîme ? Le couvert végétal devient muraille, la brume linceul. On se heurte à un horizon inexistant, on court, on halète. Les terreurs enfantines surgissent à nouveau, alors qu’on les croyait enfouies à jamais. C’est le brouillard partout, tout le temps, la route qui s’efface, un lac immobile où nulle vie ne semble gîter. Plus loin, une fois dérouté, perdu, les rochers, immenses sentinelles du désespoir.

France, Corsica, 2022-03-21. Foret et brume. © Celine RAVIER / Hans Lucas.

Il n’y a plus rien, plus un bruit, peut-être simplement une respiration presque haletante. Il faut se perdre pour se retrouver, affronter un monde inconnu pour affronter nos propres limites.

Ce livre a quelque chose d’initiatique, comme si Céline Ravier avait vécu une forme d’expérience mystique et qu’elle nous en faisait le récit. Nous sommes, peut-être, convaincus d’une certaine immuabilité des choses. Nos vies filent sur des rails sans à-coups majeurs. Les jours se succèdent, prévisibles, nous apportant une sécurité routinière mais rassurante. Pourtant, il suffit parfois d’une petite chose, d’un minuscule basculement pour que tout devienne profondément différent, souvent angoissant.

France, Corsica, 2022-03-16. Foret et brume © Celine RAVIER / Hans Lucas.

Les arbres ici présentés, cette nature dans laquelle la photographe erre en quête d’elle et de lui, sont en général des lieux agréables. Ces balades forestières dominicales, ce pique-nique au bord du lac, ou même une randonnée entre les rochers, voilà qui nous agrée. Mais à bien y réfléchir les espaces naturels ne sont accueillants que parce que nous y sommes confrontés qu’à des moments de plaisir. Or, il suffit ici que le brouillard envahisse le monde, que l’on perde ses repères pour que les lieux deviennent hostiles. La métaphore est évidente : nos vies sont comme ces lieux : tranquilles en apparence. En apparence seulement.

Avec Déperdition, Céline Ravier nous pousse dans une voie de réflexion sur nous-même. Ce que nous tenons pour acquis ne tient parfois à rien. Tout peut s’effondrer subitement, la perte surgira quand nous nous y attendrons le moins. Elle sera un décès, une rupture, un chômage… Tant de choses qui font l’incertain de la condition humaine.

France, Corsica, 2022-03-16. Foret et brume. © Celine RAVIER / Hans Lucas.

Est-ce à dire qu’il faut sans cesse s’inquiéter, s’angoisser ?

Non.

Les images ici proposées nous invitent plutôt à l’acceptation. Cela peut arriver. C’est ainsi. Ayons en conscience, gardons cette possibilité en tête, mais vivons. Il faut accepter les brumes et les brouillards, il faut marcher dans l’immensité des forêts de pins, il faut contempler les eaux dormantes du lac.

Mais, dans le même temps, garder à l’esprit que l’homme qui disparaît dans la brume disparaîtra un jour, que nous ne contrôlons pas grand-chose, que c’est ainsi depuis toujours.

Céline Ravier semble avoir fait ce voyage aller et retour vers ses propres Enfers, et elle a choisi de ne pas se retourner en en sortant. Elle a acquis ainsi une forme de sagesse qu’elle nous livre ici, dans un ouvrage délicat.

INFOS PRATIQUES
Déperdition
Céline Ravier
Éditions Images Plurielles
Préface Philippe Bresson
35 photos en couleur
72 pages, 15 x 22 cm
ISBN : 978-2-919436-67-5
25€
https://celineravier.com/fr/accueil
https://www.imagesplurielles.com/fr/livres/132-deperdition.html

A LIRE
Verdon Underground, une série de Céline Ravier

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

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