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Pour la cinquième année consécutive, les Rencontres Photographiques des Amis du musée départemental Albert-Kahn ont organisé de grandes lectures de portfolios afin d’élire des lauréats bénéficiant d’une bourse de 6000€ et d’une exposition au sein du jardin du musée Albert-Kahn. Cette année, ce sont quatre lauréat·es qui viennent d’être annoncé·es et que nous retrouveront à partir du 25 juin à Boulogne Billancourt dans le cadre de l’exposition collective de cette édition 2022. Félicitations à Tim Franco, Karine Pierre,  Morgane Delfosse et Ruben Salgado Escudero !

Fidèle à la démarche d’Albert Kahn, banquier philanthrope, l’association des Amis du musée départemental Albert-Kahn a lancé en 2017 des Rencontres Photographiques destinées aux photographes s’inscrivant dans la continuité du projet d’Albert Kahn et de ses Archives de la Planète : dresser l’inventaire visuel d’un monde en mutation. Ces Rencontres ont pour ambition de promouvoir l’engagement des photographes dans des valeurs d’ouverture sur le monde et de dialogue entre les cultures.Ils étaient 195 photographes à participé aux Rencontres Photographiques des Amis du musée départemental Albert-Kahn. Les 80 experts issus du monde de la photographie, ont sélectionné quatre photographes pour cette cinquième édition.
Découvrez les travaux primés !

Tim FRANCO
UNPERSON
Portaits of North Corean defectors

Noh Cheol-min, sniper pour les Troupes Nord-Coréennes àtenté en Decembre 2017 la traversée de la frontièrenommée DMZ. © Tim Franco

Porte Erenhot, Chine (1,430 km de Seoul) © Tim Franco

Dans l’ouvrage de George Orwell, 1984, un « nonêtre » (Unperson) est une personne qui a été vaporisée, dont l’existence a été effacée. De même, les défecteurs nord-coréens que Tim Franco a photographié ont décidé de disparaître, fuyant parfois pour des raisons idéologiques et souvent par désespoir. La route vers la Corée du Sud est dangereuse et peut prendre des années, à travers les nombreuses frontières qui la séparent de la Mongolie, du Laos, de la Thaï lande et de la Chine. Le périple de ceux qui y parviennent est marqué par la peur d’être arrêté s et renvoyés dans des camps de travail. Une fois arrivés en Corée du Sud, ils luttent souvent pour trouver une nouvelle identité, perdus entre leur passé nord-coréen et leur avenir sud-coréen.
Pour refléter cette incroyable transition, Tim Franco a utilisé un procédé analogique qui n’est pas censé exister : le négatif d’un polaroid se révèle à travers une série de purifications chimiques, donnant un résultat souvent incertain et imparfait. Chaque portrait est accompagné d’un ré cit qui raconte comment et pourquoi ces femmes et ces hommes ont pris cette décision radicale. Afin de remonter leurs traces, Franco s’est rendu aux points de passage frontaliers, dans le but de saisir la diversité des paysages qui pose le décor des défections depuis la Corée du Nord.

Karine PIERRE
LES TERRES DECHIQUETEES
Gaza Hospital – Sabra – Beyrouth

7ème étage – Jihad, réfugiée palestinienne. Elle est arrivée au Liban en1948 pendant la « Nakba ». © Karine Pierre

6ème étage – Ismael, réfugié palestinien de 81 ans. © Karine Pierre

Construit en 1978 par l’OLP, Gaza Hospital a ouvert ses portes l’année suivante à Sabra– Beyrouth ouest. A la fin de la ‘Guerre des Camps’, l’hôpital est totalement démantelé et les installations sont pillées ou détruites. De l’hôpital, il ne reste plus qu’une carcasse vide vers laquelle les Palestiniens affluent pour y trouver un fragile refuge. Peu à peu, l’hôpital abritera des générations de réfugiés palestiniens puis des Syriens échappant aux conflits, mais aussi des travailleurs pauvres libanais ainsi que des migrants fuyant la misère. Gaza Hospital est ainsi devenu une condensation de l’histoire des mouvements migratoires du bassin oriental de la mer Méditerranée. Un palimpseste à lire dans sa verticalité.
L’ancien hôpital implanté à la frange de la ville fut érigé dans une zone surpeuplée à grande majorité sunnite. Son bâti idéologique que fut le combat d’un peuple sous la bannière de l’OLP s’est mué au fil des décennies pour devenir un concentré de pluralités régionales et internationales, sans autre motif premier que celui de la survie. Ennemis d’hier pour certains, ils partagent à présent l’ossature d’une même architecture délabrée aux strates poreuses, conjugués par les nécessités de la précarité extrême et de la promiscuité. Là se constituent par capillarité des familles transnationales, parfois transculturelles. En ce sens, Gaza Hospital propose l’iconographie d’un ‘sur-vivre’ ensemble, d’une société qui, si elle demeure parfois étagée économiquement, se modifie peu à peu au-delà des origines et des confessions. Ici, les lignes de démarcations qui continuent à cloisonner les différentes communautés du pays afin de conserver un système de clientélisme et de corruption, s’effacent un tant soit peu, rappelant en filigrane mais non sans ironie que jadis, cet hôpital était pour tous.

Morgane DELFOSSE
REPARER

Le père d’Enoch lui coupe les cheveux dans la cour de la Maison.Kinshasa, République démocratique du Congo, 2019 © Morgane Delfosse

Christine récupère de son intervention.
Kinshasa, République démocratique du Congo, 2019 © Morgane Delfosse

En septembre 2015, je suis à Kinshasa en Ré publique démocratique du Congo, pour la première fois. J’y rencontre les soeurs de la maison de la Rose de Jéricho. Entre le smesses et les prières, ces religieuses s’occupent de femmes qui attendent d’être soignées ou se reposent après une opération dans la clinique qui se trouve à quelques rues de là. Elles souffrent de fistules obstétricales, iatrogènes ou traumatiques, et je découvre alors l’ampleur de ce drame sanitaire sur le continent africain.
La fistule est une lésion, une ouverture anormale entre les organes pelviens féminins. Elle apparait suite à une grossesse ou un accouchement difficile, des gestes médicaux accidentels ou des violences sexuelles, et provoque des incontinences chroniques. Les conséquences de ce phénomène entraînent exclusion et précarité. Malades, dans l’incapacité de travailler ou d’avoir des rapports sexuels, les femmes souffrantes sont bien souvent rejetées par leurs familles, leurs époux, et par toute la communauté. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, plus de deux millions de femmes vivent avec une fistule non traitée en Afrique subsaharienne et en Asie. Elles sont parmi les plus pauvres et les plus vulnérables de la société.
Profondément marquée par cette réalité, je retourne à la Rose de Jéricho en juin 2019 pour y partager la vie de Nzusi, de Rosette et de Mambuta.
[… ]
Du foyer aux couloirs de l’hôpital, je photographie leur combat intime et universel pour plus de dignité, la résilience qui les anime, et éprouve ce qui nous lie, toute mundele* que je suis, dans notre condition de femme.

* désigne une personne blanche en lingala

Ruben SALGADO ESCUDERO
SOLAR PORTRAITS

Daw Mu Nan, 45 ans, agricultrice de Padaung et mère de 8 enfants,chez son petit-fils dans le village de Pa Dan Kho, dans l’État de Kayah. © Ruben Salagado Escudero

Une chorale chante et danse lors d’une répétition à l’aide de lampessolaires dans la  » Jubilee Revival Church « , la nuit précédant une messespéciale. © Ruben Salagado Escudero

La pauvreté énergétique est un problème mondial qui touche plus de 759 millions de personnes dans le monde. Solar Portraits aborde le manque crucial d’accès à l’électricité et les avantages de la technologie et de l’innovation solaires dans la vie des gens. Ce travail a débuté en 2014. J’ai commencé à photographier des familles qui avaient récemment eu accès à des systèmes à énergie solaire, électrifiant leurs maisons et leurs entreprises pour la première fois dans un pays où les zones rurales ont peu ou pas d’accès au réseau. C’est à cette époque que je me suis passionné pour cette question ce qui a éveillé ma curiosité et m’a donné envie d’approfondir le sujet et de raconter d’autres histoires à travers le monde. À ce jour, Solar Portraits représente 29 sites dans10 pays sur 5 continents. Ces portraits dépeignent la vie d’individus dans des communautés du monde entier, dont beaucoup ont pour la première fois accès à l’électricité grâce à l’énergie solaire. En apprenant comment différentes cultures utilisent l’énergie solaire de manière unique pour résoudre des problèmes universels, nous pouvons mieux comprendre comment mettre en oeuvre plus efficacement les technologies énergétiques durables. Nous avons demandé à chaque protagoniste comment le fait d’avoir l’électricité avait affecté sa vie. Les scènes ont toutes été éclairées uniquement par des ampoules à énergie solaire, les leurs pour la plupart, qui contribuent à l’amélioration du niveau de vie de ces personnes.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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