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Pour sa quatrième et dernière carte blanche, la nouvelle directrice de Photo Elysée, Nathalie Herschdorfer, revient sur le conflit en Ukraine. Plus de quatre mois sont passés depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Notre invitée de la semaine a choisi de parler de ce drame qui se déroule aux portes de l’Europe à travers le travail du photographe polonais Rafal Milach et des deux photographes français Eric Bouvet et Emeric Lhuisset. Nathalie Herschdorfer, alors encore à la direction du Musée des beaux-arts Le Locle, a programmé l’exposition « Ukraine – Cent visages cachés » d’Emeric Lhuisset, et est visible jusqu’au 25 septembre prochain.

Ma pratique de curatrice et spécialiste de photographie m’incite à regarder les images qui sont produites aujourd’hui. Pas uniquement les images des artistes mais toutes sortes d’images. Sur les réseaux sociaux, dans la presse, dans la publicité, etc. Comme beaucoup, j’ai eu un choc le 24 février au moment où la Russie a envahi l’Ukraine. J’étais frappée par les images qui arrivaient en continu sur mon téléphone. Et plus frappée encore par la quantité de photographes partis sur le terrain. J’ai commencé à suivre plusieurs photographes européens, ukrainiens. Parmi ceux-ci, j’aimerais citer Rafal Milach dont l’esthétique tranche avec celle du photojournalisme classique. J’étais marquée également par le Carnet de guerre d’Eric Bouvet, et en particulier par le son qu’il a produit pour accompagner son récit de la guerre en images. L’enregistrement de son témoignage à travers ses mots, sa voix décrivant ses journées, ses impressions et son quotidien en Ukraine a clairement ouvert un nouveau champ dans la photographie de guerre.

© Emeric Lhuisset, Ukraine – Cent visages cachés, portrait 041, 2022

© Emeric Lhuisset, Ukraine – Cent visages cachés, questionnaire 041, avec traduction, 2022.

Il m’arrive régulièrement de convoquer l’actualité du monde dans mes expositions. Un musée ne vit pas à l’extérieur de la société et les artistes nous parlent du monde à travers leur regard. Quelques semaines après les manifestations américaines du mouvement Black Lives Matter, j’ai présenté une exposition sur ce thème au Musée des beaux-arts du Locle. Un projet qui réunissait des images de jeunes New Yorkais qui prenaient des images dans les rues de New York avec leur téléphone. Ce projet était réalisé avec Ruba Abu-Nimah qui a recueilli sur place les images de ces photographes dits amateurs. Pour ma dernière exposition au Musée des beaux-arts du Locle, j’ai décidé d’offrir un espace aux portraits de résistants ukrainiens d’Emeric Llhuisset. Il s’agit là d’une image de la guerre qui se distingue de la couverture médiatique qui tourne en continu sur nos écrans. A mon sens, il est important d’interroger les images de la guerre : à quoi sert la photographie en temps de guerre, quelle est son rôle et quelles sont ses limites. Alors même que les musées ont plutôt pour habitude de travailler sur un temps de recherche lent… il est aussi important d’être réactif et de pouvoir discuter de l’image d’actualité. Ce fut le cas avec cette exposition actuellement sur la façade du musée qui réunit les 100 portraits qu’Emeric Lhuisset a réalisés en mars en Ukraine. Si aucun visage n’est visible c’est parce que les personnes photographiées appartiennent toutes à la résistance civile ukrainienne et luttent aujourd’hui dans la clandestinité. La série fait écho au projet Maydan – Hundred Portraits réalisé à Kyiv en septembre 2014. Lhuisset y avait fait le portrait de 100 manifestants devenus révolutionnaires sur la place Maïdan, la célèbre place de l’indépendance située au cœur de la capitale ukrainienne. Lhuisset y a photographié 100 personnes en hommage à la centaine de morts qui ont péri lors de la révolution de Maïdan, l’important mouvement de mobilisation sévèrement réprimé et qui a abouti en février 2014 au renversement du président prorusse Viktor Ianoukovitch. Cette révolution violente, causée par le refus du président ukrainien de signer un accord d’association avec l’Europe, fut vue par le gouvernement russe comme une trahison du peuple ukrainien. Poutine annexa ensuite la Crimée et soutint les séparatistes prorusses dans la région du Donbass, à l’est de l’Ukraine. La guerre en cours depuis 2014 s’est intensifiée le jeudi 24 février 2022, avec une invasion russe massive de toute l’Ukraine. Le 13 mars 2022, Lhuisset est retourné en Ukraine réaliser 100 nouveaux portraits, cette fois de résistants ukrainiens. En 2014, le photographe avait posé deux questions à ses sujets : « Qu’espérez-vous qu’il se passe ensuite ? Que pensez-vous qu’il va se passer ? » Huit ans plus tard, Lhuisset pose les mêmes questions aux membres de la résistance civile ukrainienne. Leurs réponses sont toujours aussi émouvantes et troublantes.

INFORTMATIONS PRATIQUES

sam21mai(mai 21)11 h 00 mindim25sep(sep 25)17 h 00 minUkraine – Cent visages cachésEmeric LhuissetMBAL - Musée des beaux-arts Le Locle, Marie-Anne-Calame 6 CH – 2400 Le Locle


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La Rédaction
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