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Le Musée du quai Branly – Jacques Chirac vient de dévoiler les noms des lauréat·es du premier Prix pour la photographie. Le musée avait lancé en 2008 un programme de résidences pour apporter un soutien à la création photographique contemporaine. Cette année, avec la création de ce prix, le musée inaugure une nouvelle formule et une nouvelle dotation qui permet le soutien à la création photographique contemporaine extra-européenne. Les trois lauréat·es sont Gayatri Ganju (Inde), Seif Kousmate (Maroc) et le collectif Ritual Inhabitual (Chili). Découverte des projets lauréats.

Someone who’s here and there
Gayatri Ganju

Lieu du projet : Tamil Nadu, Inde du Sud, Inde

© Gayatri Ganju, Someone who’s here and there

Someone who’s here and there est la continuité d’un projet commencé en 2016, dans la région forestière des montagnes Nilgiri, où plusieurs communautés autochtones vivent et organisent leur monde autour de l’eau, des plantes et du sol. En s’appuyant sur leurs mythologies et leurs histoires orales, l’artiste veut construire un récit photographique en collaboration avec ces communautés, longtemps marginalisées après plus d’un siècle d’oppression par les castes, de colonisation et de déforestation. Entre 2016 et 2019, elle effectue plusieurs voyages dans la région, établie des contacts et identifie des personnes ressources de son projet parmi les habitants et les chercheurs rencontrés. Questionnant à la fois les représentations stéréotypées du passé et sa position d’artiste privilégiée qui raconte une histoire vécue par d’autres, elle délaisse volontairement le portrait pour diriger son objectif sur les forêts. À travers ce travail, elle veut rendre hommage à la forêt comme élément central de la vie des communautés.

Gayatri Ganju est une photographe de l’Inde du Sud. Diplômée en 2013 du London College of Communication avec un Master en photographie documentaire, elle retourne ensuite à Bangalore dont elle est originaire et où elle est actuellement basée. Sa pratique artistique se situe à l’intersection entre le genre, la mythologie et le monde naturel. Elle se concentre en particulier sur les femmes et le monde naturel, avec un intérêt personnel pour la forêt. Actuellement son travail est ancré dans un rapport profond au paysage. Gayatri Ganju est membre d’un projet artistique féministe sud-asiatique, appelé « Fearless », qui travaille avec les communautés minoritaires de la région, avec lesquelles elles co-créent de l’art public à grande échelle. Elle a été exposée dans plusieurs festivals et galeries en Inde, en Chine, au Cambodge, à Singapour et en Suisse depuis 2016.

Waha
Seif Kousmate

Lieu du projet : Oasis de la région de Tinghir, Zagora et Errachidia au Maroc

© Seif Kousmate, Waha

Son projet Waha est un essai photographique qui explore l’impact du changement climatique et de l’exode rural sur l’écosystème des oasis au Maroc. Autrefois foyers agricoles, haut lieux de commerce, et réserves de biosphère, les oasis souffrent de la surexploitation de leurs matières premières, et sont dévastées par les cycles de sécheresse. Leur surface diminue progressivement. Découragée, la nouvelle génération les déserte. Seif Kousmate est sensible à ces transformations. Afin de lier sa démarche artistique aux habitants et à leur environnement, il développe un langage visuel puissant et original. Il mêle ainsi à ses photographies des éléments organiques collectés sur le lieu de prise de vue, des poèmes ou des citations des habitants. Il recourt également à l’acide pour exprimer les effets de la pollution par des activités industrielles. Ainsi, fond et forme, sujet et matière se fondent dans un questionnement de la représentation. Poésie et engagement oscillent, tant dans la pratique du photographe qu’à la surface des images où prend forme le récit des enjeux écologiques, économiques et sociaux des oasis aujourd’hui. Seif Kousmate a débuté le projet en novembre 2019 et a pu effectuer six voyages entre 2020 et 2022. Grâce au Prix, il souhaite poursuivre en se concentrant sur l’une des zones les plus peuplées du pays : la région entre Tinghir, Zagora et Errachidia, dans le sud-est du Maroc.

Ancien ingénieur et photographe autodidacte, Seif Kousmate développe un vocabulaire visuel qui se situe entre la photographie documentaire et une esthétique plus poétique. Depuis 2016, Seif Kousmate a exploré différents sujets en Afrique : la migration, la jeunesse, l’esclavage. Il s’est concentré pendant trois ans sur l’immigration des subsahariens à la frontière terrestre entre le Maroc et l’Europe, plus précisément sur le Mont Gourougou où il a passé plusieurs semaines en immersion. Il s’est également penché sur la problématique de l’esclavage traditionnel en Mauritanie et sur la jeunesse rwandaise en 2018 et 2019. Depuis 2019 Seif Kousmate travaille sur son projet Waha qui saisit les conséquences du changement climatique et de la mondialisation sur l’écosystème des oasis au Maroc. Explorateur au National Geographic depuis 2018, Seif Kousmate a été sélectionné dans le cadre du 6X6 Global Talent Program par World Press Photo en 2020 et est lauréat de la Fondation Magnum et du Prince Claus. Il fait partie des Foam Talents of 2022 et son projet Waha a été sélectionné pour le Prix Découverte des Rencontres d’Arles cette année. Son travail a été exposé en Europe et en Afrique ; il a également été publié dans des magazines et journaux internationaux tels que The New York Times, Newsweek, Libération, The Guardian, El País et Neue Zürcher Zeitung.

Oro verde
Ritual Inhabitual

Lieu du projet : Ville de Chéran, État de Michoacán, Mexique

© Ritual Inhabitual, Oro Verde

Oro Verde est le nom donné par les Mexicains au marché de l’avocat qui est en partie aux mains d’organisations criminelles dans l’État de Michoacán, et dont la production intensive a causé d’importants dommages environnementaux dans cet État. En 2011, une révolte sociale initiée par les femmes de la communauté Puréhpechas dans le village de Chéran, réussie à expulser les narcotrafiquants, les partis politiques et les forces de l’ordre municipale. Depuis les villageois ont fondé une communauté autonome qui place la protection de l’environnement au centre de leur organisation politique. Le projet Oro Verde veut restituer à la révolution des Puréhpechas de Chéran un élément de l’imaginaire à travers une enquête photographique alliant documentaire et fiction. Mêlant à leur propre interprétation artistique, esthétique documentaire, mythologie locale, les artistes créent trois personnages fictifs en collaboration avec des sculpteurs locaux, qui deviennent les sujets de scènes symbolisant des événements passés de Chéran. Depuis 2020, ils ont réalisé trois voyages de plusieurs mois dans le village de Chéran pour mener leurs recherches, rassembler la documentation et commencer le travail avec les membres de la communauté. Le Prix leur permettra de poursuivre ce travail à Chéran, et de réfléchir plus particulièrement sur la représentation photographique du rituel.

Basés à Paris et d’origine chilienne, Florencia Grisanti et Tito González García fondent le Collectif Ritual Inhabitual (RI) en 2013. En recourant à différents formats et dispositifs, leurs projets proposent une réflexion sur la place du rituel dans le monde contemporain. Ils font émerger dans leurs récits des formes de représentation de la nature, qui deviennent langage et territoire pour différentes communautés humaines au centre de conflits environnementaux. Leurs oeuvres ont été acquises par le Fonds d’art contemporain de Seine-Saint- Denis en France, la Fondation Rothschild en Suisse et des collections privées en Amérique du Sud. En 2021, le projet Oro Verde a été lauréat du fonds de soutien à la photographie documentaire du Centre national des Arts Plastiques (CNAP). Ils sont finalistes du LUMA Rencontres Dummy Book Award. Leur précédent travail Forêts Géométriques, luttes en territoire Mapuche a été présenté aux Rencontres d’Arles en 2022 et a fait l’objet d’une publication aux éditions Actes Sud.

https://www.quaibranly.fr/

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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