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Partager Partager Temps de lecture estimé : 7minsNotre invitée de la semaine, Emmanuelle Walter, responsable arts visuels à La Filature, Scène nationale de Mulhouse, consacre sa deuxième carte blanche au photographe Franck Christen. Il s’était fait connaître au début des années 2000 en remportant le Prix de la Fondation HSBC – à l’époque on l’appelait la Fondation CCF pour la photographie. Vingt ans après, en plein cœur de la crise sanitaire, La Filature lui commandait de produire une série de portraits de Mulhousiens. Cette carte blanche est l’occasion de revenir sur ce travail, mais replonger également sur la collaboration du photographe avec La Filature. En 2001, Franck Christen est lauréat du Prix de la fondation HSBC avec une série de portraits, de paysages et de natures mortes aux compositions sobres et élégantes. La même année, il présente pour la première fois son travail à La Filature, Scène nationale de Mulhouse, dans l’exposition collective Photographie contemporaine rhénane, avec Léa Crespi, Roland Görgen, Anne Immelé et Estelle Schweigert, à l’invitation de Paul Cottin. L’eau bénite, Oelenberg © Franck Christen Vingt ans plus tard, je lui propose de réaliser à Mulhouse une série de portraits – genre photographique qui traverse son œuvre et en est au cœur depuis ses premiers travaux (Les Collectionneurs, Les Alsaciens, Les Parisiens). On est au printemps 2021, la crise sanitaire et le port du masque obligatoire nous laissent aller à oublier les visages. Il nous parait essentiel, à La Filature, de convoquer la photographie – ce « miroir qui se souvient » -, et de produire une série de portraits de Mulhousiens dont la vie a été fortement éprouvée dès mars 2020, lorsque la ville était l’épicentre du coronavirus en France. C’est sans le moindre artifice que Franck Christen aborde le sujet, dans la simplicité de la lumière naturelle et du décor des espaces publics La Filature. Nous installons un studio pendant une semaine dans lequel le photographe accueille un à un des habitants, acteurs de la vie économique, sociale et culturelle de la ville. Avec la tranquillité d’une image apparemment classique, ses photographies sont toutes porteuses d’une même élégance et d’un même dépouillement raffiné. Les portraits sont affichés dans la ville tout au long de l’été. Jeanne Bidet © Franck Christen Entre ces deux expositions, de nombreuses rencontres prévenantes nous ont liés. Je voudrais revenir ici sur notre première collaboration. En 2015, Franck Christen propose Dreieckland, une exposition qu’il imagine comme le portrait de sa région natale qui s’étend du sud du pays de Bade en Allemagne, à la Haute Alsace et au nord-ouest de la Suisse. Ses photographies traversent cette région des trois frontières mais aussi les lieux et les paysages de pays lointains, les décennies, les genres, réunis par le fil secret d’une logique intime, d’un goût, d’un propos, d’une culture – on pourrait encore dire d’une Stimmung, d’une humeur ou d’un état d’âme. Des correspondances, des coïncidences de charme et d’intuitions font s’entremêler panoplies de vanités empruntant à la culture picturale classique, paysage alpin de la montagne Jungfrau en référence à la peinture du romantisme, bouquets en hommage à Adolphe Braun qui, au 19e siècle, photographiait des fleurs pour les besoins de l’industrie textile mulhousienne. Jungfrau © Franck Christen Une finalité organique est à l’œuvre dans son projet, qui tisse les uns aux autres des événements et des rencontres selon des motifs imprévisibles : les bambouseraies du Japon ont la même couleur que le lac des Perches du versant alsacien des Vosges, les cèdres du Liban semblent correspondre avec les sapins de la Forêt Noire dans un territoire sans discontinuité. L’âme visuelle du Dreieckland de Franck Christen nous donne à ressentir la beauté des choses, la volupté des formes, une impression tactile, le tissu des pavots sous les doigts, les radicelles d’une plante à fleur d’eau, la matière de l’air. Dans ses images, les valeurs de la nature, la capillarité des liens qui nous unissent à ses éléments, sont beaucoup plus riches que les sources de matières et d’énergies qu’elle nous procurent. Franck Christen recherche les affinités, ces élections naturelles dont la force s’impose avec nécessité, qu’il transforme en une décision de les photographier une fois la relation amicale établie. Cèdres © Franck Christen Cèdres © Franck Christen C’est vrai pour les fleurs, les cèdres du Liban, les pins de Rome qu’il aime « comme une poignée de main » mais également pour les animaux, les lieux, les objets, les œuvres d’art. Il les fréquente comme des personnes qui lui sont importantes. Franck Christen vit à Bruxelles mais revient régulièrement en Alsace saluer sa famille à Heimsbrunn, nous saluer à La Filature mais aussi saluer ses « vieux amis » de la région tri-rhénane (Le Christ mort de Hans Holbein le Jeune, les costumes de feutre de la clique Alti Richtig de Joseph Beuys au Kunstmuseum de Bâle), habiter les lieux (le Vitra Design Museum de Weil-am-Rhein, la Fondation Beyeler à Riehen), les sentir (l’eau vive du Rhin sauvage à hauteur d’Istein, les vapeurs d’eaux thermales de la Forêt Noire) et réassurer ainsi sa relation intime à sa région natale. Vitra © Franck Christen Aussi, les images de Franck Christen donnent-elles parfois à saisir un sentiment de nostalgie, de Sehnsucht, qui semble orienter le photographe de tout son être vers un inaccessible. Ses images relèvent d’une quête qui trouve son origine dans une situation de manque, d’éloignement de la terre natale et d’entrée dans le vaste monde. Son Dreieckland est aussi sa Heimat – mot énigmatique qu’on pourrait traduire par « le pays que chacun porte à l’intérieur de soi » ou encore « les sentiments qu’un ou plusieurs lieux suscitent en soi ». Robert Musil écrit que c’est l’endroit où tout ce que l’on fait reste innocent. C’est sans doute pour Franck Christen, l’endroit où se rejoignent la France, la Suisse et l’Allemagne, qu’il relie à un ensemble de territoires dans le monde auxquels il a noué un fort sentiment d’appartenance : le Liban en particulier, où il expose une première fois en 1999, où de nombreux séjours lui ont permis par la suite de tisser des liens d’amitié, avec entre autres le chef Kamal Mouzawak, la créatrice de mode Milia Maroun, l’artiste Rania Sarakbi et bien sûr sa galeriste à Beyrouth Naïla Kettaneh-Kunigk (Tanit) ; la Belgique également, où il a étudié l’histoire de l’art et la photographie, où il vit et travaille, en collaboration notamment avec Alain d’Hooghe qui était son professeur à l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre et qui le représente aujourd’hui à la Box galerie. Les images créées par Franck Christen dans ces régions de l’intime constituent une représentation allégorique ; par essence destructibles, altérables, elles ne sont jamais qu’un cran poussé contre l’anéantissement, un souvenir de souvenir. Pâquerette © Franck Christen Né en 1971 à Mulhouse (France), Franck Christen étudie la photographie à l’École Nationale Supérieure des Arts visuels de La Cambre à Bruxelles (1993-98). Il vit à Bruxelles et en Alsace. Professeur à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles de 2009 à 2019, il enseigne aujourd’hui la photographie à l’Académie des Beaux-Arts d’Arlon et aux ateliers de la rue Voot à Bruxelles. Franck Christen est représenté par la Box galerie (Bruxelles), la galerie Tanit (Beyrouth et Munich) et Agathe Gaillard (Paris). Favori1
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